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« Tous les abattoirs français ne sont pas des salles de torture »


« Tous les abattoirs français ne sont pas des salles de torture »
Olivier Falorni. Sipa. Numéro de reportage : 00639311_000011.
olivier falorni abattoirs animaux
Olivier Falorni. Sipa. Numéro de reportage : 00639311_000011.

Gil Mihaely. Comme préambule au projet de loi sur la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, vous avez choisi cette citation de Gandhi : « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ». Après deux mois de travaux, de visites d’abattoirs, d’auditions d’experts et d’acteurs de la filière, qu’avez-vous conclu du niveau de civilisation du peuple français ?

Olivier Falorni[1. Olivier Falorni est député PRG de Charente-Maritime et président de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux.]. Il est encore prématuré de tirer des conclusions définitives sur la situation des abattoirs en France. Ce sera l’objet du rapport qui sera présenté mi-septembre.

J’ai souhaité la création de cette commission d’enquête à la suite des vidéos de L214 qui m’ont profondément choqué comme beaucoup de Français. En effet, on y voyait des actes de maltraitance voire de barbaries absolument odieux et inacceptables. Nous avons interrogé les responsables des trois abattoirs concernés (Alès, Le Vigan, Mauléon) et des procédures judiciaires ont été lancées. Mais tous les abattoirs français ne sont pas des salles de torture. Certes, l’acte d’abattre un animal de boucherie est forcément violent, difficile à regarder, mais nous avons pu observer des établissements, des salariés qui faisaient leur difficile métier en respectant au maximum l’animal et en leur épargnant toute souffrance inutile.

Néanmoins, beaucoup de progrès restent à accomplir mais nous avançons avec détermination. Nous avons voté des changements importants ces derniers mois. D’abord, la modification du statut de l’animal dans le Code civil. Il n’est désormais plus considéré comme un bien meuble  mais il est reconnu comme un être vivant doué de sensibilité. Ensuite, dans le cadre de la loi Sapin 2, nous avons introduit un amendement faisant de la maltraitance sur animaux dans les abattoirs et dans les transports un délit pénal et protégeant les lanceurs d’alertes qui dénonceraient ces faits délictueux.

La législation française progresse donc de façon positive. Encore faut-il qu’elle se traduise concrètement sur le terrain.

Quels sont donc les points faibles des abattoirs français ?

En France, plus d’un milliard d’animaux sont abattus. L’inspection générale diligentée par Stéphane Le Foll en mars a permis de dresser un état des lieux. 259 établissements, soit 460 chaînes de mise à mort de bovins, ovins, porcs ou gibiers ont été contrôlés. Deux abattoirs ont été fermés. Quatre-vingt-dix-neuf avertissements ont été donnés et soixante-dix-sept exploitants ont été mis en demeure d’apporter des corrections à l’organisation de leur travail.

Les très nombreuses auditions que nous avons menées, comme les visites inopinées auxquelles nous avons procédés ont permis de mieux mettre en lumière la situation. Cela se résumerait succinctement en trois points :

–          Des contrôles du bien-être animal parfois défaillants ;

–          Des infrastructures, des équipements trop souvent inadaptés faute d’investissements suffisants ;

–          Une formation du personnel insuffisante voire inexistante.

Ces insuffisances ont-elles pour cause fondamentale un manque de moyens ?

Il y a une grande hétérogénéité des abattoirs en France. Vous avez des grands abattoirs industriels privés qui ont la capacité d’investir de lourdes sommes dans leurs infrastructures. Je pense par exemple à l’abattoir Bigard de Feignies dans le Nord que nous avons visité et qui a coûté 50 millions d’euros. Mais vous avez aussi des petits abattoirs artisanaux de proximité, souvent publics, fréquemment déficitaires car peu rentables, et que les collectivités locales rechignent de plus en plus à renflouer. Tout cela créé bien évidemment des conditions de travail extrêmement différentes. Au-delà, des dérives individuelles qui peuvent se produire, la question du bien-être des salariés étant indissociablement liée au bien-être des animaux.

Existe-il des pays exemplaires dont les abattoirs peuvent servir de modèle à la France ? Que peut-on apprendre des expériences étrangères ?

Chaque pays a ses spécificités mais aucun ne peut, je crois, s’ériger en modèle.  Néanmoins, il est utile d’observer ce qui se pratique à l’étranger et nous avons notamment regardé avec intérêt en Suède le système d’abattoir mobile qui permet de tuer les animaux à la ferme. C’est une idée intéressante qui pourrait être expérimentée en France si le prototype répond bien aux normes sanitaires et environnementales requises.Elle pourrait ainsi répondre en partie à la disparition des petits abattoirs ruraux en offrant une alternative aux éleveurs.

Même dans les meilleures de conditions, la mise à mort des êtres vivants et sensibles – des bovins, des porcs, des volailles, des bovins, des chevaux – n’est pas un beau spectacle. Comment définir les critères définissant un « abattage respectueux » quand la sensibilité de la société ne cesse d’évoluer ?

La loi exige que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable soit épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes ». C’est la raison pour laquelle l’animal doit être étourdi avant d’être mis à mort, afin que la saignée se fasse dans un état d’inconscience. Il est donc indispensable de s’assurer de l’efficacité et de l’effectivité de cet étourdissement. C’est le rôle du responsable bien-être animal, c’est aussi le rôle de l’inspecteur vétérinaire qui ont, tous deux, l’obligation d’être présents durant l’abattage et qui doivent mieux prendre en charge cette mission. Le transport des animaux qui se fait parfois dans des conditions déplorables, le déchargement des camions, l’amenée vers le poste d’abattage, sont aussi autant de phases qui doivent être surveillées de près afin de s’assurer que les animaux ne seraient pas blessés, stressés ou maltraités.

Mais prôner l’interdiction pure et simple des abattoirs en France me semble être une mauvaise idée car elle aurait des effets inverses au but recherché. Les animaux qui ne seraient plus tués ici seraient tués ailleurs, bien plus loin, à l’étranger, générant des temps de transport considérablement augmentés et donc de la souffrance animale supplémentaire.

A terme, envisageriez-vous la possibilité d’une interdiction pure et simple de l’abattage des animaux en France voire dans l’UE ? 

Je soutiens le combat des associations qui se battent pour la protection animale. Je respecte l’engagement de groupes comme L214 qui militent pour un monde sans viande, pour une société vegane. C’est leur choix et c’est la liberté de chacun de se nourrir comme il le souhaite. Je salue par ailleurs leur travail de lanceur d’alertes qui a été efficace avec leurs vidéos clandestines. Après, nous ne sommes pas dans le même rôle. Nous ne sommes pas dans une logique militante, nous sommes dans une démarche parlementaire qui veut trouver des solutions efficaces, faire des propositions concrètes, pour empêcher autant que possible la maltraitance animale dans les abattoirs. Car tant que nos concitoyens continueront à consommer de la viande, il faudra bien des abattoirs sur notre territoire.

Pensez-vous que l’abattage rituel – juif ou musulman – pose un problème particulier ?

L’abattage rituel est un sujet extrêmement sensible mais nous avons souhaité l’aborder sans tabous. C’est l’absence d’étourdissement de l’animal qui est au cœur de cette question spécifique. Nous avons d’ailleurs toujours associé dans nos auditions des représentants du culte juif et du culte musulman. Car la problématique est la même pour le casher comme pour le hallal.

L’abattage rituel est en effet une technique dérogatoire en France par rapport à la pratique conventionnelle. Nous avons évoqué durant nos travaux la possibilité d’un étourdissement préalable avant la saignée, à condition qu’il soit réversible. Les deux rites interdisent en effet que l’animal soit mort avant l’égorgement, ce qui était d’ailleurs à l’origine une mesure sanitaire.

Or, certains pays musulmans tels que l’Indonésie,  la Malaisie, ou la Jordanie permettent l’importation et la consommation de viande provenant d’animaux abattus avec étourdissement. Au Maroc, certains abattoirs pratiquent également cette technique. Et la Nouvelle-Zélande est le plus grand exportateur de viande hallal au monde qui provient toujours d’animaux abattus après électronarcose. En revanche, le rite juif n’admet nulle part ni l’étourdissement préalable réversible, ni l’étourdissement post-jugulation. Le débat est particulièrement vif en France, entre ceux qui affirment que l’abattage sans étourdissement est indolore pour l’animal quand il est pratiqué «  dans les règles de l’art » et ceux qui disent au contraire qu’il expose l’animal à une souffrance aigüe et prolongée. Ce qui est en tout cas certain, c’est que l’étourdissement préalable ne règlerait pas tout, à la lumière de certains faits horribles observés dans des abattoirs conventionnels comme très récemment  dans l’abattoir de Pézenas et celui du Mercantour. Incontestablement, un contrôle accru apparaît nécessaire. Il me semble évident que la vidéo surveillance pourrait être un apport indispensable.

Après avoir présidé cette commission, avez-vous arrêté de consommer de la viande ?

Non, je n’ai pas arrêté de consommer de la viande mais, en bon Rochelais, je mange de plus en plus de poisson !



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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