Dans la chaleur de l’été, quelques maires se sont lancés dans de multiples « batailles du burkini » qui se terminent par des défaites en rase campagne. Conclusion tactique inévitable lorsque l’on ne dispose pas de renforts pour manœuvrer. Ils attendaient Grouchy, ce fut le Conseil d’État[1. « Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire. Il avait l’offensive et presque la victoire ; […] Soudain, joyeux, il dit : « Grouchy ! » – C’était Blucher », Victor Hugo, Les Châtiments.]! Mais rien ne devrait être perdu car il y a plus de leçons à tirer d’une défaite que d’une victoire.
De quoi le burkini est-il le nom?
Le burkini, comme son nom le suggère, est une adaptation à la baignade des diverses tenues féminines portées par les musulmanes voulant donner une dimension visible à leur pratique religieuse. À cet effet, en 2004, sa créatrice, Aheda Zanetti, a demandé et obtenu la validation de ce concept vestimentaire par le grand mufti de Sydney, Taj-Eldin Hilali. Le port du burkini parait donc lié à une pratique religieuse exigeant la dissimulation la plus complète possible du corps féminin qui semble remonter aux origines de l’Islam. Dans les Chroniques (Al-Sira)[2. Mahmoud Hussein, Al-Sira, tome 2, p.373-374, collection Pluriel.], il est rapporté qu’après le mariage du Prophète avec Zaynab bint Jahsh, un verset fut révélé qui exigeait que les croyants ne parlent aux épouses du Prophète qu’à travers un voile (XXXIII-53), complété par un verset demandant aux femmes de « ramener sur elles leurs grands voiles » pour être « plus vite reconnues et éviter d’être offensées » (XXXIII-59). Il s’agit ici d’une mesure à portée sociétale.
Il y a donc une importante difficulté à concilier une république laïque qui voudrait confiner la religion à la sphère privée et une religion comme l’islam qui demande des manifestations physiques de piété quasi permanentes et donc nécessairement publiques : ici le costume, mais aussi les cinq prières quotidiennes (voir l’article 2 de la loi travail), le jeune diurne pendant un mois ou les interdits alimentaires et qui se préoccupe de questions sociétales. Le projet de définition d’un « Islam de France » parait donc une gageure, et ce d’autant plus que la pratique des signes extérieurs se renforce. Il y eut en effet un « Islam de France », manifestement plus spirituel que gestuel, pratiqué par les premières générations de musulmans installés en France. Il disparait[3. Gilles Kepel, Terreur dans l’hexagone, Gallimard.], miné par les politiques conduites depuis le milieu des années 1970, qui ont abandonné toute idée d’assimilation qui pouvait aussi s’entendre de l’assimilation aux pratiques religieuses alors en vigueur.
Un objet politique
Isolés, les maires n’avaient aucune chance de réussite, mais ils ont le mérite d’avoir mis en évidence la lente mais profonde modification de notre société et d’avoir poussé les forces en présence à se manifester. Ils ont rencontré, contre toute attente (ou comme il fallait s’y attendre), l’opposition des associations de défense des droits de l’homme, de défense des droits des musulmans, des militantes féministes, des libres penseurs, d’une assez large partie de la classe politique, y compris au sein du gouvernement.
Les islamistes ont donc désormais une vision consolidée du théâtre d’opération français ouvert par l’esprit « Je suis Charlie » et un nouvel outil stratégique. Le vêtement n’est en effet pas seulement un attribut religieux ou une contrainte sociétale, il est aussi un objet politique et donc un outil stratégique.
Dans tous les pays musulmans au cours des siècles passés, les non croyants avaient un statut particulier (Dhimmi) qui comprenait de nombreuses obligations, notamment vestimentaires (y compris aux bains dans lesquels ils devaient porter un signe distinctif autour du cou) afin d’être bien identifiés comme non-musulman, individus sur lesquels les Musulmans avaient des passe-droits[4. Bernard Lewis, Islam, Quarto Gallimard, p. 472.] que chacun pouvait exercer à sa guise, y compris dans l’espace public. A contrario, dans l’impossibilité présente d’imposer un vêtement aux « mécréants » en France, burkini « religieux » et autres tenues peuvent avoir une utilisation stratégique pour marquer une appartenance politique et donc une force qui monte à laquelle les indécis pourront se rallier. N’oublions pas la promesse du Calife Ibrahim lorsqu’il a restauré la Califat en juin 2014 : « conquérir Cham, restaurer l’Oumma et s’emparer de Rome », afin de permettre aux musulmans de « marcher partout en maitres la tête haute ».
Logique de « caïdat »
Pour atteindre ces buts, les affichages vestimentaires ou comportementaux, tout comme, il faut bien l’avoir à l’esprit, les attentats ne sont pas les buts mais les moyens : exciter l’opinion et les politiques dans une direction pour consolider ailleurs des positions réellement stratégiques, c’est-à-dire indispensables au projet de conquête politique. Ainsi, il était surprenant de voir le soulagement des autorités lorsqu’elles ont pu déclarer que, à Sisco, « le burkini n’était pas en cause ». Ce qui est en cause à Sisco, est bien plus grave, c’est une occupation communautaire d’un espace public, une « logique de caïdat » selon le procureur qui résonne fortement avec la promesse du Calife.
Soulagement compréhensible mais coupable de la part d’un État qui a déjà abandonné des pans entiers de sa souveraineté sur son territoire même, acceptant les stratégies de « déni d’accès »[5. Terme militaire employé ici à dessein car il s’agit de prémices d’actions militaires.] opposées aux forces de l’ordre et aux services publics. Car ces territoires érigés en « caïdats » sont indispensables pour préparer les actions puis ensuite offrir un refuge aux terroristes. L’un de ces territoires n’a-t-il pas permis au terroriste le plus recherché d’Europe d’échapper aux policiers pendant quatre mois ? Mais ils sont surtout indispensables pour bâtir une « communauté », donc un groupe s’excluant volontairement du destin républicain commun. Une communauté soudée et tenue en main par des chefs politico-religieux distillant une idéologie conquérante et destinée à jouer un rôle politique. Le droit de vote des étrangers (non membres de l’UE pour qui il est acquis) aux élections municipales en projet fournira un excellent tremplin au projet politique qui, faut-il le rappeler, n’est pas le terrorisme mais la conquête.
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à suivre…
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