C’est un maillon essentiel de la chaîne du renseignement et de la lutte antiterroriste mais pourtant le poste de coordonnateur national du renseignement donne la bougeotte à ses titulaires. Le Conseil national du renseignement qui vise à améliorer la coordination des services de renseignement a connu cinq dirigeants différents depuis sa création en 2008. On pourrait pourtant naïvement penser qu’un peu de stabilité ne nuirait pas à l’efficacité de la politique antiterroriste.
Actuel titulaire du poste, Didier Le Bret, avait annoncé son intention de voguer vers d’autres horizons et d’abandonner son poste en pleine vague terroriste. L’intéressé se présentera aux prochaines législatives dans la 9ème circonscription des Français de l’étranger, sous l’étiquette socialiste.
Le préfet Yann Jounot a été choisi pour lui succéder lors du conseil des ministres de ce lundi 22 août. Cet ancien directeur de la protection et de la sécurité de l’Etat avait rédigé en octobre 2013 un rapport sur la prévention de la radicalisation. Classé « Confidentiel Défense » à l’époque, la diffusion de certains extraits par le journal La Croix avait valu à une journaliste d’être convoquée par la DGSI. Depuis, le rapport a été publié dans son intégralité par Mediapart (voir ci-dessous). Le site d’Edwy Plenel qui estime que « l’islamisme n’existe pas » et que « le burkini est un vêtement comme les autres », n’a pas eu de mots assez forts pour louer les qualités du document.
Eclairant sur la montée « d’un phénomène de radicalisation dont le terrorisme est la forme la plus extrême », le rapport dresse un constat sévère sur le retard de la France en ce qui concerne le repérage des jeunes radicaux et la nécessité d’« une amélioration de la circulation de l’information entre les grandes directions du ministère (…) afin que les personnes qui ne sont pas prises en charge par le renseignement intérieur le soient par les autres dispositifs ».
La calinothérapie contre le djihadisme
Le rapport frappe pourtant par son angélisme quand il aborde les mesures à adopter alors qu’ont déjà eu lieu les attentats de Toulouse en mars 2012 perpétrés par Mohamed Merah et que Manuel Valls a évoqué le chiffre de 700 Français tentés par le djihad. Alors ministre de l’Intérieur, Valls y voit le « plus grand danger auquel nous devrons faire face dans les prochaines années ».
En 18 pages, le préfet Jounot s’emploie, lui, soigneusement à ne surtout pas caractériser la menace qui pèse sur la France puisqu’il n’utilisera jamais le terme « islamisme » dans son rapport ! Le bon docteur Sigmund pourra certes nous expliquer que le déni est un mode de défense qui consiste en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante. Si tel est le cas, le préfet Jounot est, en 2013, déjà un grand traumatisé du péril islamiste.
L’auteur s’égare même quand, animé par un souci de ne jamais stigmatiser, il se laisse aller à écrire « qu’aucune religion n’est épargnée » sans jamais citer aucun exemple français sur lequel s’appuie ce constat douteux.
S’il s’interdit de caractériser précisément la menace, l’auteur ne peut totalement l’ignorer. Ainsi le préfet pointe la désorganisation du CFCM (Conseil français du culte musulman ) et juge « opportun de favoriser l’élaboration et la diffusion de textes et de manuels d’apprentissage de l’islam pouvant constituer une alternative à l’abondante littérature salafiste qui sature aujourd’hui le marché du livre religieux musulman. »
L’essentiel du rapport est un démontage de la politique sécuritaire que le futur coordinateur national du renseignement juge sans doute alors beaucoup trop agressive — nous sommes en 2013 ! —. Politique à laquelle, le préfet Jounot préfère une « ligne de réponse apaisée » toute en prévention raisonnable. La calinothérapie contre le djihadisme, personne n’y avait encore pensé.
Largement inspiré par un sociologisme qui n’en finit pas d’aveugler une partie de la gauche le rapport entend privilégier une « approche sociale », « favoriser la détection précoce » mais aussi l’enseignement de l’esprit critique, la mise en place d’un contre-discours sur Internet ou l’orientation vers des actions humanitaires comme alternative à la tentation du djihad. On se pince !
En avril 2014, dans un article du journal l’Opinion, le journaliste Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions de défense reviendra sur le rapport Jounot : « Il s’inspire, pour partie, des politiques mises en œuvre en Grande-Bretagne depuis les attentats qui avaient fait 56 morts dans les transports publics à Londres, le 7 juillet 2005.“Nous voulons faire de la détection précoce, avant même que la police n’intervienne”, explique un proche du dossier. Il s’agit d’une “approche sociale”, impliquant les familles, les éducateurs, les collectivités locales, éventuellement des associations comme le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) de Dounia Bouzar, ainsi que des “référents religieux”, selon le terme retenu. (…) Les promoteurs de ces mesures font sans doute preuve d’un certain irénisme lorsqu’ils assurent que l’enseignement de “l’esprit critique” ou l’orientation vers des “actions humanitaires” permettront de remettre ces jeunes dans le droit chemin… » C’est peu dire.
Ne froisser surtout personne
Le rapport se révèle également d’une prudence de Sioux sur les errements de la politique extérieure française se limitant à deux lignes, toutes en circonvolutions millimétrées, sur la nécessité de « prendre en compte la prévention de la radicalisation dans le cadre de nos dialogues politiques et de nos coopérations bilatérales avec les partenaires qui ont une influence idéologique internationale, en particulier dans les pays du Golfe ». Soucieux de ne froisser ni le Quai d’Orsay, ni le ministère de la Défense, aucun des pays du Golfe concerné — clientèle privilégiée de l’industrie de défense française —par le phénomène n’est évidemment cité…
Surtout ne froisser personne, tel était d’ailleurs l’objectif visé par ce rapport selon un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense : « C’est le type de rapports dont on dit qu’ils sont classés “Confidentiel Défense” parce qu’ils ne contiennent aucune information sérieuse… Le rapport ne devait égratigner aucune administration. Donc on n’y trouve rien sur la politique d’expulsion des salafistes et rien contre la politique extérieure française. L’important dans ce genre de nominations n’est d’ailleurs pas la compétence mais le corps auquel il faut donner satisfaction. En l’occurrence comme le prédécesseur du préfet Jounot était un diplomate, il fallait cette fois satisfaire la préfectorale. »
Un jeu de chaises musicales bien rodé dans la haute administration française mais qui laisse perplexe sur les priorités de la lutte antiterroriste et l’efficacité des moyens mis en œuvre…
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