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Fric-frac au Louvre


Fric-frac au Louvre
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(Photo : SIPA.00727347_000016)

Que s’est-il passé le 21 août 1911 à 7h00 du matin au musée du Louvre ? Un événement qui transforma à jamais le sourire énigmatique d’une italienne du XVIème siècle en tableau le plus recherché du monde. L’historien Jean-Yves Le Naour a mené l’enquête sur le vol de la Joconde qu’il qualifie de « cambriolage le plus extravagant du XXème siècle ! » Un récit qui vaut surtout pour la description d’époque, les pistes folles suivies par la police, l’amateurisme de certains hauts fonctionnaires et le sentiment d’improvisation générale qui régna autour de la plus célèbre œuvre de Léonard de Vinci. Sur 150 pages, Le Naour rappelle que ce vol était plus que prévisible. Dès 1906, la presse s’était fait l’écho de nombreux vols perpétrés dans la quasi-indifférence. Au-delà d’une administration défaillante, des batailles d’égo entre conservateurs ou du manque de personnel, la sécurité des collections était largement déficiente dans cette auguste maison.

D’autres musées, comme la National Gallery à Londres, avaient déjà trouvé des parades pour protéger plus efficacement leurs trésors « nationaux ». La porosité du système de sécurité comme dirait aujourd’hui un technocrate bruxellois était devenue un sujet de railleries populaires. Un livre policier d’anticipation paru au Danemark en 1909 avait même prédit ce vol. Prémonition ou simple constat de légèreté ? Il va s’en dire que les personnes concernées par ce dossier avaient beaucoup ri. Un tel méfait était mathématiquement impossible à réaliser. Vous imaginez vraiment qu’une peinture sur panneau de bois de 77 sur 53 cm dont les gardiens connaissent l’incommensurable valeur pourrait être dérobée aux yeux de tous ? Ce déni de réalité et cet aveuglement ne sont pas sans résonnance sur l’attitude de nos dirigeants actuels. Face à la recrudescence de petits larcins ou simplement d’objets déplacés, le Louvre avait tout de même décidé d’apposer des vitres de protection devant les tableaux ce qui ne manqua pas d’irriter les visiteurs. Le facétieux journaliste Roland Dorgelès, figure montmartroise, fit même scandale en se rasant devant ces miroirs de façade qui cachaient, selon lui, les reflets et subtilités de la peinture originale. On s’amusait beaucoup en ce temps-là. Les quotidiens avaient le goût du canular et les lecteurs raffolaient de ces grossiers faits-divers qui mettent en évidence la fatuité des puissants. Sauf que l’impensable arriva. C’est Louis Béroud, un disciple du peintre Bonnat qui, le premier, donna l’alerte. Il s’inquiéta de voir quatre malheureux clous en lieu et place de Mona Lisa dans le salon Carré. On lui dit que le tableau était certainement au laboratoire de reproduction photographique. Il allait revenir très vite, c’était l’histoire d’une demi-heure. La Joconde ne revînt que 28 mois plus tard, en décembre 1913 !

Entre-temps, Le Naour revient en détail sur cette folle affaire. Où se trouve ce portrait peint par Léonard et racheté par François 1er pour 4 000 écus ? Tout l’appareil gouvernemental est mobilisé, du ministre de l’Instruction Publique en passant par le sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts, le préfet Lépine, le chef de la Sureté et même Bertillon, l’inventeur de la police scientifique, qui compile près de 200 empreintes digitales pour les besoins de son enquête ! Le président du conseil Caillaux en personne demande que ce couac cesse. Une escouade d’inspecteurs et près de 100 gendarmes vont ratisser le Louvre avec…une journée de retard sur le voleur. Au début, la presse se gausse, abuse des jeux de mots en appelant le juge chargé de l’affaire « le marri de la Joconde » puis Le Naour explique le tournant politique.

Une partie de l’opinion fustige alors l’immobilisme de la fonction publique, la fainéantise des gardiens, la gratuité des musées, puis l’on passe au niveau supérieur, la piste allemande, l’anti-américanisme pour en arriver à l’inévitable complot juif. La chasse au bouc-émissaire est lancée. On incarcère même Apollinaire (ce qui donne un très bon passage sur les séquelles de cette arrestation sur la santé psychique du poète), on interroge Picasso, et finalement, on retrouve le tableau en Italie. Ce livre se lit comme un polar et fait de cette affaire vieille d’un siècle qui permit notamment de sceller à bon compte une amitié franco-italienne mise à mal par la colonisation de la Tunisie, un sujet d’actualité aux ressorts florentins.

Qui a volé la Joconde ?

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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