On ne devrait jamais prêter ses livres, surtout quand on ne sait plus à qui. J’avais désespéré un jour de retrouver les trois aventures de Modesty Blaise, rééditées dans la mythique collection Grands détectives de 10/18 dirigée alors par le regretté Jean-Claude Zylberstein. D’autant plus que les couvertures étaient des reproductions des admirables « grands nus américains » de Tom Wesselman. Et les voilà, toutes les trois, dans les bacs de Gibert, à un euro pièce. Comment résister ?
On sait qu’une des spécialités de l’Angleterre étaient les espions, en littérature comme dans la vie. Ils ont pratiquement inventé le genre avec Conrad. Et grâce à James Bond et Ian Fleming, ils se sont persuadés qu’ils étaient toujours une grande nation après la deuxième guerre mondiale. Bien sûr, la chute du Mur de Berlin a changé la donne : le Smiley de John Le Carré doit faire les mots croisés du Times tandis que 007 coule une retraire heureuse en pêchant la truite dans les torrents du Devon.
Mais qu’est devenue Modesty Blaise ? Au milieu des années 60, Peter O’Donnel avait créé ce petit bout de femme blonde de 26 ans, agent occasionnel de l’Intelligence Service. Il faut relire ses aventures aujourd’hui en l’imaginant sous les traits de Monica Vitti, la sublimissime Monica Vitti qui joua son rôle dans le film de Losey en 1966. On goûtera dans les romans de O’Donnel tout le charme acidulé de cette Betty Boop de l’espionnage. Son état civil est trouble : apatride, elle avait déjà pris sa retraite après avoir fait fortune de manière parfaitement illégale, quand le Royaume-Uni fit appel à ses talents.
Bien sûr, elle incarne un idéal parfait d’humanité : elle est belle, elle maîtrise les arts martiaux et elle aime l’art moderne. Elle utilise de préférence le pistolet de calibre 32 et son mythique kongo, espèce de petite massue redoutable qu’elle cache tantôt dans son abondant chignon tantôt dans son sac à main. Aussi compétente que le commandant Bond, elle dispose néanmoins d’un atout supplémentaire qu’elle nomme elle-même « le coup du clouage ». Cela consiste à montrer ses seins à ses agresseurs qui marquent toujours un temps d’arrêt en contemplant le fascinant spectacle. De là à penser que les Femen ont lu Peter O’Donnel. En trois romans, Modesty a sillonné le(s) globe(s) et même un peu plus car l’auteur semble avoir une prédilection pour les pays imaginaires, les émirats improbables et les républiques hypothétiques.
Il est facile de mépriser le roman d’espionnage en repérant ses sempiternels ingrédients : exotisme, action, un peu de sexe et un soupçon de sadisme. On oublie simplement que peu d’auteurs ont su exactement doser le tout. Peter O’Donnel est de ceux-là. Aucun alibi intellectuel ne vient troubler chez lui le pur plaisir du romanesque. Un véritable savoir-faire est présent à chaque page dans l’humour et le rythme donné à ces contes de fées sixties que sont les aventures de Modesty Blaise. Alors si vous voulez une femme pour l’été, emmenez-là avec vous. Mais attention, elle n’est pas facile et certains lui trouveront peut-être, malgré son sex-appeal, un défaut rédhibitoire : elle roule elle-même ses cigarettes.
Modesty Blaise, Modesty Blaise et l’homme-montagne, Modesty Blaise et les affreux
de Peter O’Donnell (10-18, Gibert, un euro pièce)
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