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La cover-girl et le député


La cover-girl et le député

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La politique, c’est comme la littérature, c’était mieux avant ! Sur les graviers de l’Elysée, de Matignon ou des ministères, nos gouvernants sortaient de leurs DS noires avec des gueules de mafieux. Pardessus sombres, mallettes rembourrées et sourires carnassiers à l’ORTF. L’envie d’en découdre, de faire taire ses adversaires par tous les moyens et surtout de régler ses différends électoraux par la force, le seul langage compris de tous. On se serait cru dans un polar de Melville.

Un zadiste ne s’y serait pas frotté de peur d’être émasculé sur le champ. Les blogueurs et autres lanceurs d’alerte auraient réfléchi à deux fois avant d’envoyer leur pétition virtuelle. L’idée même de Nuit debout aurait été stoppée dans l’œuf. Trois étudiants avinés qui élèvent un peu trop le ton dans un bistrot de banlieue et crac, au ballon ! La liberté d’expression avait alors un cadre bien défini, gage de solidité de notre démocratie. Et l’autorité ne se théorisait pas dans une réunion de communicants mais s’appliquait avec une brutalité froide, presque sereine. Aujourd’hui, si l’ambition n’a pas quitté l’esprit de nos élus, le costume de serviteur de l’Etat semble démesurément trop grand pour eux.

En 1974, une semaine après la mort de Georges Pompidou, sort sur les écrans La race des seigneurs de Pierre Granier-Deferre, adapté de Creezy, le roman de Félicien Marceau qui a obtenu le Prix Goncourt 1969 au troisième tour par six voix. Alain Delon joue le rôle d’un jeune loup aux faux airs de Jean-Jacques Servan-Schreiber cornaqué par une Jeanne Moreau, plus Marie-France Garaud que maman poule. Rien n’arrête ce fauve si ce n’est la rencontre avec Creezy, une cover-girl interprétée par Sydne Rome. Dans son roman, Marceau la décrit ainsi : « Elle a des yeux très écartés, le nez droit, petit mais droit, taillé net, le menton volontaire, un peu porté en avant. Un profil dur. Un profil de pharaonne ».

Dans le film, seulement vêtue d’un tee-shirt et d’un slip blanc, elle irradie et arrête le temps. On ne se lasse pas de la regarder agiter ses longues jambes et ses cheveux bouclés. Delon peine à se détacher de cette blondeur à peine réelle. L’image du mannequin qui s’affiche sur tous les murs de la ville se superpose à cette fille allongée sur son lit. Sa carrière lui impose pourtant de prendre ses distances. Il est marié et, en responsabilité, il doit continuer de jouer la comédie du pouvoir. Cette « love story » entraînerait sa chute.  « Cet amour est conditionné par le monde actuel […] Le roman, c’est la morale mise en images » déclarait Marceau qui avait choisi la publicité et la politique, comme ultimes terrains d’affrontement des égos.

Si Creezy prend la lumière, Delon ne reste pas dans l’ombre. C’est Macron puissance 10, la virilité incarnée et cette fêlure qu’il peine toujours à dissimuler, le charme des écorchés. Montre Cartier au poignet, costard apprêté et mèche volante, il a de l’allure ce Guépard de la République, bien aidé par les dialogues de Pascal Jardin qui claquent comme des coups de fusil. A la recherche d’une majorité floue, l’histoire se répète sans cesse, le fougueux député tente de rallier les mécontents de son parti et de faire le pont entre l’aile droite et l’aile gauche. « Ils ont bien suivi Guy Mollet et les socialistes quand ils ont fait tirer sur les travailleurs de Saint-Nazaire, ils ont bien suivi Mittrand pour la Guerre d’Algérie, je leur demande moins, non ? » balance-t-il à Claude Rich, formidable conseiller jésuitique. Sur une musique de Philippe Sarde, la cover-girl et le député se perdent dans le tourbillon de la vie durant 1h 30.

Creezy, roman de Félicien Marceau – Folio.
La race des seigneurs, film de Pierre Granier-Deferre – DVD Zone 1.

>>> Série d’été “Un film, un livre” (1) : Là-bas au Connemara

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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