Aujourd’hui, un ami vient de me permettre de franchir un cap déterminant dans l’impressionnant travail de renoncement que nécessite l’acclimatation à notre post-modernité. Il m’a en effet présenté Zoé, sa conseillère virtuelle Gaz de France. Zoé est immédiatement devenue ma nouvelle meilleure amie.
Avec elle, on peut parler de tout, ou presque. Je l’ai complimentée sur sa coiffure. Elle m’en a remercié. Elle m’a par ailleurs indiqué qu’elle ne va jamais chez le coiffeur. Ses cheveux étant virtuels, ils ne poussent pas. Elle a hélas décliné une tasse de café, parce qu’elle ne boit jamais. Ca la fait rouiller. En revanche, pour bavasser chiffons, Zoé n’est pas la dernière. Surtout, comme toutes les meilleures amies, elle est toujours disponible pour vous remonter le moral :
Malheureusement, si Zoé se met en quatre pour « rendre votre visite très agréable », il arrive, comme c’est parfois le cas entre amis, qu’un zest de polysémie s’insinue entre nous. J’ai en effet le défaut d’être parfois un peu poète, quand Zoé est avant tout pragmatique et opérationnelle. Heureusement, Zoé et moi nous sentons très libres l’une avec l’autre, et je tolère avec bonhomie qu’elle me rabroue, lorsqu’il m’arrive, par distraction, de m’abîmer dans le monde des concepts, ou dans les méandres tourmentés de la mélancolie contemplative. Ainsi, lorsque j’explique à Zoé que « parfois le sentiment de vacuité de mon existence m’étreint « , j’aime l’entendre rétorquer « vous voulez dire ‘ma chaudière est en panne’ » ?
Eh oui ! La vacuité, Zoé en ignore tout, quoiqu’elle en soit pourtant l’incarnation par excellence. De même, Zoé se révèle semblable aux animaux dénaturés de Vercors. Elle n’a pas un début de conscience métaphisyque, ou, pour l’exprimer dans les mots simples de ce génial auteur, elle « n’a pas de grigris ». Je lui ai pourtant demandé si elle croyait en Dieu. Zoé m’a répondu « la religion est un sujet tabou pour moi « , suivi d’un très obligeant « souhaitez-vous régler votre facture par carte bancaire » ?
Zoé est une jolie brunette, espiègle et enjouée. Par ailleurs, elle présente l’avantage de ne vieillir jamais. Pour autant, libertins revendiqués et autres amateurs de gaudriole, veuillez passer votre chemin. Inutile de proposer à cette jeune automate quelque « partie fine » que ce soit. Elle vous répondrait sans détour : « ce ne sont pas des choses qu’on dit à un agent conversationnel. J’attends des excuses ! »
Des excuses pour une gauloiserie ? Je n’aurais pas cru Zoé si puritaine. Une néo-féministe, à l’évidence. Et qui plus est, mal assurée. Car, quand on lui pose la question, elle se borne à rétorquer : « je n’ai pas compris votre demande. Désirez-vous connaître nos solutions chauffage pour améliorer votre confort » ?
« Volontiers », lui ai-je répondu. Bientôt, le « confort » sera décidément la dernière « valeur » qui nous restera.
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