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R.A.S, un groupe à signaler


Incroyable ! Une bande de joyeux archéologues qui se font appeler Mémoire Neuve s’est lancée dans une opération aussi intellectuellement estimable que commercialement improbable : sortir des vinyles basés sur l’exhumation d’inédits de quelques groupes maudits des années 60 à 80. Dernier en date, R.A.S., groupe culte bas-normand, n’ayant jamais signé et qui se voit offrir à titre posthume l’édition d’un single tonitruant.

1977 : la déflagration punk atteint la France. Pour ses 15 ans, Laurent Locher se fait offrir le premier album de Jam. Au lieu d’acheter une mobylette, il investit la prime offerte par ses parents pour l’obtention du BEPC dans une guitare électrique Paul Beuscher. Les potes Richard, David et Lélett’ font de même : basse, batterie. Le tour est joué et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire R.A.S. abandonne les reprises de standards du rock pour de fières compositions influencées par ses groupes fétiches : Clash, XTC, Damned, 999.

Dans la foulée, on se coupe les cheveux, on arbore pantalons étroits, cravates et on adopte des couleurs fluos pour bien marquer la rupture avec la génération précédente, celle des « babas cools » en jeans pates d’éph’, bottes camarguaises et vestes militaires issues des surplus US.

En juin 78, Britz Notre Dame arrive au chant. C’est une teigne, un morveux arrogant et totalement déjanté qui ressemble à Billy Idol. Au quotidien, Britz a une sérieuse tendance à bégayer, mais sur scène, c’est un fauve dans la lignée d’Iggy Pop ou Stiv Bators. Le groupe joue vite, faux, et n’est pas du tout en place. Mais ses compositions surclassent celles de la concurrence, les textes sont excellents et le soliste, Richard, a du génie.

R.A.S. enchaîne les concerts, écume les MJC, ouvre pour Bye Bye Turbin (les gloires locales) et Starshooter. Toute une scène émerge à Caen : Emeute, Break Up, Scum Bag… On est très loin du dandysme rouennais, du snobisme rennais ou du tropisme pub rock havrais. Ici l’arrogance punk se combine à un enracinement prolétaire et à la volonté d’exprimer dans la langue de Malherbe (ou presque) de réelles préoccupations sociales.

A ce sujet, on aurait souhaité que Mémoire Neuve édite Le Mur des Privilèges, cheval de bataille d’R.A.S. et titre emblématique incarnant parfaitement l’époque. Ils ne l’ont pas fait, mais ça laisse la place à une suite… Restent donc Illusions calculées et Sex Contrôle, deux décharges électriques capturées lors d’une répétition de 1978 chez les parents de membres du groupe. « We Are A Garageband, we come frome Garageland », comme chantait Clash.

Mais alors que la réputation d’R.A.S. commence à s’affirmer, le mouvement punk est déjà sur le déclin. Une partie des groupes « New Wave » s’engage dans des expérimentations un peu prétentieuses qui rappellent la manière dont le rock progressif a succédé au « british beat » des années 60. D’autres tentent la facilité commerciale pour tenter d’intégrer un show business encore façonné par la variété française.

Fidèle aux idéaux, R.A.S. se paie les parvenus du moment, comme en atteste Tueurs de Stars, titre enregistré en 1979 pour la radio et face B du présent 45t qui attaque de front une des célébrités de l’époque, Starshooter, le groupe de Kent : « Quatre arlequins dans le vent, où est la différence ? / Tout changer pour tout rater, quelle crise bébé ! / Quand on a rien à proposer, on va poinçonner ».

Après un séjour à Londres, les membres d’R.A.S. reviennent munis de costards Ben Sherman, de parkas et se rebaptisent Les Lords. Une autre page s’ouvre : celle d’une espérance qui ne veut pas mourir et que mods et skinheads tenteront désormais de défendre dans les pénibles années 80.



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