Dans son très beau Capitaine Achab, réalisé en 2007, Philippe Ramos focalisait son attention sur le passé du héros de Moby Dick d’Hermann Melville, avant qu’il ne parcoure les mers pour chasser la baleine. Dans son nouvel opus Jeanne captive, il adopte une démarche contraire. Il fait débuter sa version de Jeanne d’Arc, lorsque la guerre est terminée et Jeanne d’Arc, prisonnière, sur le point d’être livrée aux Anglais.
Jeanne, la jeune fille de Domrémy, est une figure mythique de l’Histoire de France, paysanne, mystique, femme farouche et butée, elle appartient à l’imaginaire collectif de la France, tant qu’elle ne disparaîtra pas des programmes et manuels d’Histoire par la volonté absurde des élus qui établissent les programmes. Le cinéma aime ce personnage historique au destin tragique : du muet à nos jours, on ne compte plus les adaptations de la vie de Jeanne D’Arc. Méliès est l’un des premiers à la faire vivre à l’écran en 1900, suivront une quarantaine d’adaptations parmi lesquelles on retient surtout les chefs d’œuvre de Carl Theodor Dreyer La Passion de Jeanne d’Arc (1928), de Roberto Rossellini Jeanne au bûcher (1954), de Robert Bresson Le procès de Jeanne d’Arc (1962) et les beaux films d’Otto Preminger Sainte Jeanne (Saint Joan) (1957) et de Jacques Rivette, Jeanne La Pucelle (1994).
Jeanne captive commence en l’an de grâce 1430. Après ses victoires contre les Anglais à Orléans et le sacre de Charles VII à Reims, voici venu le temps de la défaite. Jeanne est capturée à Compiègne par Jean de Luxembourg (Louis-Do de Lencquesaing), un allié du Duc de Bourgogne. Elle est emprisonnée au château de Beaurevoir, domaine des Luxembourg. Abandonnée par Charles VII, n’entendant plus ses voix, elle doute. De surcroit sa protectrice Jeanne de Luxembourg meurt… Le désespoir guette Jeanne qui tente de fuir (ou de mourir). Reprise, elle oppose à ses geôliers, qui la vendent aux Anglais, un mutisme têtu, une résistance obstinée.
Le film de Ramos est intelligent, subtil, écrit dans une belle langue. Le cinéaste s’attache à filmer une Jeanne secrète et solitaire, songeuse et silencieuse. Clémence Poésy, parfaite, donne corps à ce personnage à l’opacité butée. Elle est habitée par une profonde croyance où absence, doute et désespoir rôdent, et mettent parfois en déroute les certitudes de sa Foi.
Philippe Ramos filme avec une rigueur ascétique la destinée terrible de Jeanne et son calvaire. Empruntant des chemins libres et singuliers, il cherche à atteindre le mystère de Jeanne qui a tant passionné les historiens et les écrivains, en particulier les catholiques Péguy, Bernanos ou Claudel. Jeanne captive est un film très pictural où le cinéaste travaille la plasticité des éléments naturels. Les scènes de nature sauvage sont sensuelles et minérales. Elles font contrepoint, dans un affrontement entre ombre et lumière, avec celles d’un intérieur carcéral, inquiétant, sombre. La scène où Jeanne, pendant son transfert de Beaurevoir à Rouen, découvre la mer, est magnifique et oscille entre effroi et ravissement devant la puissance de Dieu. Le montage confronte plans d’ensemble -des ciels vastes et lumineux – et plans serrés au cordeau – fragments de visages, d’objets – qui donnent au film sa grande beauté- à la fois lyrique et austère- et sa force d’abstraction. Retrouver la force de la Foi de Jeanne dans une époque médiévale où se mêlent rudesse des hommes et symbolique surnaturelle, tel est l’ambitieux projet du film.
Haïe par le parti bourguignon, le clergé de Rouen et les Anglais, la Pucelle de Domrémy affronte ses juges avec une belle opiniâtreté dans la confiance et l’amour de Dieu. La fin du film est poignante : Jeanne, abandonnée par les hommes et par son roi, moquée par les tenants d’un monde cruel et cynique, va au bûcher dans une dignité superbe sans que les hommes qui aimeraient la sauver – le guérisseur (Thierry Frémont), le moine (Jean-François Stévenin) ou l’ermite extatique (Mathieu Amalric) – ne puissent réellement intervenir. Dans le crépitement des flammes, on touche finalement à la limpidité simple d’une âme humaine atteignant la sainteté.
Et Ramos, conscient de la grandeur et la force des chefs d’œuvre cinématographiques qui ont précédé sa version – surtout les films de Dreyer et Bresson – réussit particulièrement la fin de son film par la force spirituelle qui s’en dégage.
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