Ami démocrate,
Tu es universaliste et prêt à défendre les droits de l’homme dans n’importe quel coin du globe lorsque tu estimes l’intégrité de la personne humaine menacée par le joug d’un tyran.
Tu penses que tous les peuples ont droit aux bienfaits de la démocratie et tu juges le « printemps arabe » riche d’espoirs (démocratiques) malgré les menaces (islamistes).
Tu as logiquement approuvé l’intervention de l’OTAN en Libye, officiellement mandatée pour protéger les populations civiles des exactions du sinistre Kadhafi. De même, tu n’as pas été choqué du fait que les opérations militaires visent le clan présidentiel et préparent un changement de régime au bénéfice du Conseil National de Transition.
A tout prendre, tu préfères miser sur le CNT, bien que l’origine trouble de son aile salafiste ne t’enthousiasme guère.
Si elle constitue un grave déni de justice, la mort récente de Kadhafi ne t’a pas particulièrement choqué, après tout, le Guide a péri par là où il a pêché, tel le Saddam Hussein de pacotille qu’il était. D’ailleurs, tu hésites entre le malaise et l’effroi en lisant les plaidoiries des crypto-Jacques Vergès de la plume qui regrettent le sort infligé à Milosevic, Saddam et Kadhafi. Trois versions différentes de la même mort, lorsqu’il s’agit de tuer un salaud fini, cela ne t’a pas non plus heurté pas outre mesure…
Hier, tu as entendu ému la proclamation de la Libye libre par un certain Moustapha Abdeljlil, chef du CNT de son état et… ancien juge de Benghazi qui a condamné les infirmières bulgares et leur collègue palestinien à croupir dans les geôles libyennes. Abdeljlil, dernier ministre de la justice de Kadhafi, entré en rébellion au début de l’année, arbore fièrement sur le front la marque des musulmans les plus pieux qui prient en posant leur front contre une pierre, la marque ostentatoire de leur prosternation leur faisant office de carte de visite islamique.
Et voilà qu’à Benghazi, Abdeljlil déclare officiellement la charia comme source principale de la législation et s’empresse d’abolir le droit au divorce et à rétablir l‘usage plein et entier de la polygamie. Au printemps dernier, lorsque le CNT épousa en grande pompe la laïcité à l’hôtel Raphaël, il omit de dire à ses témoins Sarkozy et BHL qu’il était polygame et que sa seconde épouse s’appelait charia. Puisqu’il y a quantité de femmes veuves de guerre à remarier, quelle meilleure légitimité à invoquer que le Coran dans un pays qui a renversé son Ubu au cri d’ « Allah akbar » ? Les insurgés avaient beau piétiner le drapeau vert de Kadhafi, c’est au nom de l’islam qu’ils rétablirent l’étendard de la monarchie libyenne.
Ami, songe que même la Tunisie voisine, pour moderne, tolérante voire « laïque » qu’elle est, s’apprête à confier les clés de l’Assemblée Constituante aux « islamo-conservateurs » d’Ennahda, comme on les appelle pudiquement dans la presse « amie ».
Dieu pour tous, avec l’OTAN comme prophète, cela était écrit depuis le début. Entre les libertés occidentales et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tu as longtemps refusé de choisir, comme le quai d’Orsay désormais officiellement « vigilant » sur le respect des droits humains dans la Libye post-kadhafiste.
Allez l’ami, prends sur toi, respire un grand coup et claironne des trémolos dans la voix : « Vive la Libye libre ! ».
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