Dans les années quatre-vingt, la classe moyenne-moyenne, plutôt de gauche, hostile en paroles au libéralisme pur et dur, en avait la tentation. Elle pensait secrètement que le marché serait pour elle providentiel, à la condition que l’Etat conserve un peu de son autorité régulatrice. Son idéologie se résumait aux Droits de l’Homme — comprenons : les Désirs du Cadre. Voilà pourquoi, pragmatique, elle rejetait la révolution et prônait la gestion. Elle était hégéliano-blairiste. Or, les années passant, elle se paupérise. Le chômage, la précarité, l’assistance la guettent. Depuis la crise, le crash social la hante.
Dès lors, la « mondialisation » ne lui semble plus le fin mot de l’Histoire. Elle regrette le « monde d’avant » — qu’il lui paraissait urgent, il n’y a pas si longtemps encore, de réformer, de moderniser, d’européaniser, afin d’y inscrire son dynamisme. La vie y était plus humaine et authentique : plus décente, comme elle dit à présent.
Chue de la hauteur des temps à laquelle elle ne s’est jamais vraiment hissée, la classe moyenne-moyenne pourrait, comme la classe ouvrière, verser dans le populisme xénophobe. Mais elle ne veut pas désespérer du progrès. Elle opte alors pour une éthique de l’indignation mêlée de pensée sociale-démocrate libertaire et augmentée d’une conscience écologique. Redevenue contestataire, son discours tourne autour d’un axe idéologique Hessel-Onfray-Hulot — blablas médiatiques et populaires dotés d’un faible coefficient d’intelligence et d’une haute teneur en ressentiment.
Le Parti Socialiste représente les intérêts en faillite de la classe moyenne-moyenne. Or l’homme qui, aujourd’hui, au P.S., exprime le plus habilement le désarroi de cette catégorie malmenée et, en même temps, désireuse de demeurer moyenne même si c’est moyenne-pauvre, c’est Arnaud Montebourg.
Montebourg a un côté rodomont, comme Mélenchon, mais moins crocs-dehors. Plus rond. Cela tient à ses traits empâtés, sans doute. Toutefois Montebourg n’est pas que joufflu. Il est bouffi. Bouffi de lui-même, de sa rhétorique de Sixième République à géométrie variable. Un jour il est contre l’Europe, le cumul des mandats, la libre mondialisation, un autre il n’est pas si contre. À l’image des gens dont il se veut l’avocat, en voie de prolétarisation mais qui n’ont pas encore perdu tout espoir de redevenir moyens-moyens, il oscille entre radicalité et modération. D’où sa morgue. Avant de lâcher son verbe avec un sourire satisfait, il a une manière d’en gonfler ses petites bajoues.
Rien d’étonnant que la classe moyenne-moyenne appauvrie, d’autant plus forte en gueule qu’elle est impuissante et humiliée, se reconnaisse dans ce petit Monsieur de la Boursoufle.
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