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Et que ça saute !


Et que ça saute !

Les esprits forts ont tort de railler la publicité : elle en dit souvent long… pour peu qu’on la passe au bain révélateur de l’inconscient : voyez les banques ! Ce week-end, on apprenait qu’à la « suite d’un incident de marché », la Caisse d’Epargne venait de perdre 600 millions d’euros. Quatre milliards de francs. L’incident en question relevait en fait du coup de folie : en pleine déconfiture des marchés, trois traders avaient imaginé un complet contrepied. Ils ont massivement acheté des titres qui s’effondraient. Et – ô surprise ! – se sont fait complètement lessiver. La stupeur a été d’autant plus grande que la Caisse d’Epargne, dont la mascotte est le fameux écureuil (qui engrange, engrange…), avait la réputation d’un établissement assez conservateur. Erreur ! Il fallait prêter attention à son slogan : « L’imagination dans le bon sens. »

Le même examen avisé, c’est-à-dire attentif au message subliminal des slogans bancaires, aurait pu éviter quelques déboires aux actionnaires de Fortis, qui claironnait avant de se retrouver au bord de l’abîme : « Here today, where tomorrow ? » (Ici aujourd’hui, où demain ?). Quant à Dexia, autre banque laminée en quelques jours, elle y allait également franco : « Short term has no future » (Le court terme est sans avenir). Pouvait-on être plus clair ? Outre-Atlantique, les lapsus publicitaires n’ont pas manqué non plus – de l’ironique « You can count on us ! » (Vous pouvez compter sur nous !) d’IndyMac au visionnaire « As the American dream grow, so do we » (Le rêve américain grandit, nous aussi) de Fannie Mae. Et que penser du slogan programme de la Bank of America, qui accueillait il y a peu encore les visiteurs des ses agences à Manhattan et claquait comme un avertissement : « Boom ! » ?

Tout était dit, en fait, depuis la publicité culte de la BNP : « Votre argent m’intéresse ! » La campagne concoctée en 1974 par Publicis Conseil avait un objectif avoué : casser un tabou – celui de l’argent pépère. Il fallait parler vrai : le rôle des banquiers, dans le monde nouveau, n’était pas tant de protéger l’épargne que de lui faire faire des petits. Pour eux, accessoirement pour vous. Mais s’ils renseignent franchement sur les appétits de la profession, ces slogans ont tous une dimension quelque peu mensongère en faisant accroire à une « association » entre le banquier et le déposant. A une aventure commune. Or chacun en a fait l’expérience : en cas de gain, on partage (la banque se sucrant allègrement) ; en cas de perte, le client assume seul.[1. Citons encore l’ubuesque invitation de Sofinco, établissement de prêts aux ménages et filiale du Crédit Agricole : « Construisons vos rêves. » Slogan devenu, par ces temps du surendettement : « La vie a parfois besoin d’un crédit. »]

Il y a donc une ou deux choses que l’on devrait apprendre, dans le cadre de l’éducation civique, aux jeunes gens, et le plus tôt sera le mieux. Par exemple que le marché du travail reste un lieu régi par les rapports de forces, où l’on vend sa vie et son énergie contre de l’argent, où il n’existe guère de différence entre un employeur à l’ancienne et un entrepreneur cool qui vous tutoie ; ou encore : qu’un banquier est affable tant qu’on lui fait gagner de l’argent, mais qu’il n’est jamais, jamais un partenaire quand surviennent les mauvais jours – et ce, d’autant moins quand il boit lui-même la tasse. Pour les travaux pratiques, suggérons de commencer par le slogan de LCL[2. Abréviation adoptée par le Crédit Lyonnais après son piteux naufrage.] : « Demandez plus à votre argent ! » Et soufflons la réponse : qu’il ne s’évapore pas serait un bon début.



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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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