Cette campagne présidentielle devient très étrange. La campagne du candidat républicain sur les relations douteuses de Barack Obama (avec l’ex-terroriste d’extrême gauche Bill Ayers et le pasteur noir raciste Jeremiah Wright), a suscité l’ire de deux journalistes qui, sur CNN, ont entonné le dernier refrain à la mode selon lequel le noble McCain d’hier se serait transformé en vilain petit Mc Cain. Christopher Buckley, éditorialiste de la très conservatrice National Review, a récemment apporté son soutien à Obama, déplorant lui aussi, la disparition du bon vieux McCain d’antan. Quant à David Brooks, le plus droitier des chroniqueurs du New York Times, il a carrément qualifié Sarah Palin de « cancer ».
Pour replacer les choses dans leur contexte, il faut rappeler que, pendant la campagne de 1988, les attaques de George Bush père contre Michael Dukakis au sujet de Willie Horton[1. Willie Horton, condamné à la réclusion à perpétuité pour meurtre, une peine qu’il purgeait dans une prison à Massachussetts, a bénéficié d’une permission de weekend pendant laquelle il a commis un vol à main armée et un viol. La campagne de George Bush a utilisé cette affaire pour attaquer Dukakis, gouverneur du Massachussetts ; une attaque considérée comme décisive pour la victoire du candidat républicain.] furent bien plus rudes, comme d’ailleurs celles de Bush fils pendant les campagnes de 2000 et 2004. Par rapport à ce que nous avons vu des deux côtés ces dernières années, la campagne de McCain est plutôt modérée. D’autre part, il faut savoir que le « vilain McCain » est une invention subtile de l’équipe Obama qui, en réalité, a su, mener – sans avoir l’air d’y toucher – une campagne bien plus vicelarde.
Barack et les siens ont été les premiers, comme l’avait annoncé Bill Clinton, à jouer la « carte raciale ». Préventivement, sans doute, mais à deux reprises au moins, Obama a alerté les Américains qu’il allait être victime de la part de ses adversaires d’une manipulation des stéréotypes raciaux.
Son staff, à l’instar de Joe Biden, continue de hurler au racisme chaque fois que se posent des questions légitimes concernant le passé d’Obama.
Accessoirement, depuis trois mois, on n’entend plus parler que de l’âge du capitaine McCain : « confus », « ne se souvient plus », « perturbé », « perdant ses repères », etc. Pourtant, que je sache, les supporters de McCain n’ont pas « hacké » les courriels de Biden, ni ne l’ont accusé d’être un nazi ; ils n’ont soupçonné personne de ne pas être le parent de l’un de ses enfants. Pour pousser la comparaison, on ne trouve heureusement pas de pasteurs blancs racistes qui qualifient McCain de « Messie », ni d’autres qui soient prêts à bourrer les urnes en son nom.
Simplement, un grand nombre de modérés et de conservateurs sont las de Bush – et aussi de la haine anti-Bush, des leçons et autres accusations de « racisme » et de « danger pour les libertés » venant d’Europe. Dans cette lassitude, ils finissent par se dire qu’au moins Obama les débarrassera de ce fardeau, les fera aimer à l’étranger et mettra fin aux clivages blanc/noir et rouge/bleu[2. Démocrates/Républicains.].
Ils pourraient juste se demander si Jimmy Carter est arrivé à restaurer « l’Amérique authentique » avec ses campagnes sur les Droits de l’homme, l’éloge des dictateurs de gauche, le dialogue pendant la crise des otages iraniens avec ceux qui nous traitaient de Grand Satan, ou le message : « N’ayons plus peur du communisme ! »
A fortiori, maintenant qu’Obama est donné gagnant avec de plusieurs points d’avance, certains, dans les allées mêmes du pouvoir, en viennent à penser qu’il est temps de changer de cheval pour gagner la course. En tant qu’intellectuels, ils espèrent même convaincre les plus subtils des démocrates de rejoindre le camp des vainqueurs : le leur !
Ces gens-là ne sauraient pactiser avec une Sarah « Cancer » Palin, qui même avec l’aide de son mari Todd, serait bien incapable de parler intelligemment de Proust. En revanche elle en sait long sur les fusils à pompe, et même sur les machines à déneiger.
En outre, beaucoup de modérés qui de toute façon n’auraient pas voté McCain ne retrouvent plus dans son discours actuel ce qu’ils y appréciaient autrefois le plus: ses attaques ironiques contre Bush le simpliste et autres conservateurs en carton-pâte.
Mais aujourd’hui, McCain a une campagne sur les bras, et ce n’est pas le moment pour lui de jouer au noble « loser ». Pour l’instant il faut juste qu’il soit bon : s’il perd, il aura tout le temps d’être parfait.
Obama a si brillamment balisé le terrain médiatique que quand il accepte le soutien de Louis Farrakhan personne ne s’offusque. Quand ses supporters traitent Sarah Palin alternativement de nazie ou de pouffe – et McCain de raciste et de sénile, tout le monde trouve ça normal. En revanche quand les caméras de télé repèrent un unique T-shirt raciste dans une foule de 10.000 personnes venus soutenir McCain, là, ça barde !
Bien sûr, la plupart des conservateurs ne sont pas dupes de ce tour de dupes ; mais il suffit qu’un seul d’entre eux soit soudain indigné par les « bassesses » de la campagne McCain pour que CNN en parle aussitôt.
Si j’écrivais une tribune louant l’intelligence d’Obama, ses goûts littéraires exquis et sa métrosexualité, j’aurais l’air d’un homme de principes et non d’un cynique, d’un berger plutôt que d’un mouton.
Mais je me dois de prévenir les conservateurs qui s’apprêtent à virer leur cuti : voter Obama, cela signifiera des impôts plus élevés, un gouvernement plus interventionniste, des juges gauchisants à la Cour suprême, l’ouverture des frontières, une politique étrangère encore plus axée sur l’ONU, le dialogue avec l’Iran, moins de charbon, de pétrole et d’énergie nucléaire produits aux Etats-Unis. C’est ça, chers transfuges, vos « vraies valeurs de droite » ?
Tout compte fait, Obama est beaucoup plus à gauche que McCain n’est à droite. Au Sénat par exemple, le démocrate s’est montré nettement plus sectaire que le républicain dans ses votes.
Pour ceux qui ont lu Les Deux tours de Tolkien, je pose la question : en quoi avez-vous confiance ? En la voix rauque de Gandalf détaillant les dangers du sarumanisme, ou en celle, charmante et melliflue, de Saruman en personne qui veut venger le monde entier de sa victimitude supposée ?
Jumping ship, traduit de l’anglais par Basile de Koch.
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