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Crise : le pire est peut-être devant nous


Crise : le pire est peut-être devant nous

Dans La Crise globale,son dernier livre, le journaliste Jean-Michel Quatrepoint montre comment Wall Street a gagné contre Main Street.

Vous reprochez aux élites occidentales de ne « jamais relier les problèmes entre eux », de ne jamais admettre devant les opinions publiques que c’est le système dans sa globalité qui s’est déréglé : la crise financière, concomitante à la sortie de votre essai, n’a-t-elle pas mis en évidence le contraire, en contraignant les grands argentiers à se concerter et à annoncer ce lundi 13 octobre un « plan global » ?
Il pouvait difficilement en aller autrement : toutes les places financières s’écroulaient en même temps et les banques tremblaient sur leurs assises ! Mais dans un premier temps, ne l’oublions pas, nos dirigeants prétendaient que l’Europe était à l’abri… Et le plan Paulson, avant d’être remanié, visait essentiellement à voler au secours de l’élite financière américaine. Seule la violence de la crise, son accélération subite et sa propagation à toute l’économie, par l’assèchement brutal du crédit aux entreprises et aux particuliers, a obligé les dirigeants a envisagé des solutions de grande ampleur et, surtout, communes. Il y a encore quelques jours, Angela Merkel ne voulait tout simplement pas en entendre parler ! C’est donc la peur qui a motivé cette concertation, et non pas une réflexion de fond sur ce qu’est devenue l’économie mondialisée. Le travail d’analyse sur les trente dernières années n’a pas été fait par les élites à commencer par les élites américaines – républicaines mais aussi démocrates. Çà et là, quelques critiques du système se font jour, certes, mais pour l’essentiel ce sont surtout les « excès » du système qu’on déplore et non pas son fonctionnement. Or, ainsi que je l’explique dans mon livre, nous ne sommes pas confrontés à une énième crise d’ajustement, comme on a pu le dire des bulles « Internet » ou des « subprimes », mais à la crise globale et profonde d’un système né il y a 27 ans avec la victoire de Ronald Reagan.

Selon vous, en effet, le système qui vacille aujourd’hui est le résultat d’une « révolution idéologique » mais aussi d’un triomphe géopolitique complet, et souvent mal perçu, des Etats-Unis à la fin du XXe siècle…
Absolument. C’est la conjonction de ces deux bouleversements, l’un dans l’ordre de la représentation du monde, l’autre dans son organisation politique et économique, qui a permis la naissance de cette économie globalisée dont les principaux traits sont la prédation et la financiarisation, et qui est aujourd’hui à l’agonie. Commençons par la révolution idéologique : en 1981, Reagan arrive au pouvoir aux Etats-Unis, précédé de peu, en Grande-Bretagne, par celle qui deviendra sa fidèle alliée : Margaret Thatcher. Les deux chefs d’Etat sont confrontés à un problème bien réel : la dégénérescence de l’Etat providence. Les entreprises, à l’image d’IBM et de General Motors, sont devenus des géants arthritiques, les administrations se mêlent de tout, paralysent tout, les syndicats très puissants ne jouent plus leur rôle, les impôts étouffent la créativité – bref, ceux qui parlent alors de « soviétisation » des économies occidentales n’ont pas complètement tort. Il fallait réformer tout cela, redonner une certaine souplesse au système économique. Reagan et ses émules, partout dans le monde, de l’Europe au Chili, vont faire le choix de fracasser ce système, qui était tout de même l’héritier lointain du New Deal. Son fonctionnement était devenu certes calamiteux, mais son principe « éthique », si j’ose dire, était bon : partage et redistribution. Au cours des années 80 et 90, tout cela sera détruit.

En regard de ce basculement idéologique, vous pointez un basculement géopolitique complet en faveur des Etats-Unis, et donc de leur conception de l’économie…
C’est un fait qu’en dix ans, entre 1979 et 1989, les Etats-Unis ont réussi la prouesse de se débarrasser de toute concurrence parmi les super puissances en place ou émergentes. Ou plus exactement, car le terme « débarrasser » ne rend pas compte des faits, les USA ont non seulement mis hors d’état de nuire mais aussi intégré à leur système naissant, au monde globalisé qu’ils étaient entrain de concevoir, tous leurs rivaux à commencer par l’URSS, assommée par la relance de la course aux armements technologiques. L’empire s’est effondré en 1989 et Washington a assigné à la Russie nouvelle, et à un Boris Eltsine très coopératif, une place très claire : réservoir en énergies fossiles et matières premières. Ses satellites, eux, en intégrant l’OTAN et l’économie de marché, devaient devenir de nouveaux débouchés pour le made in USA. Après l’URSS, ce fut le tour du Japon d’être mis sur la touche. En avance technologiquement, accumulant les excédents commerciaux, taillant des croupières aux Américains jusque dans leur pré carré de l’automobile, les Japonais ont été politiquement contraints, en 1985, lors des accords dit du Plaza, de réévaluer leur monnaie, ce qui n’était pas du tout conforme à leurs intérêts d’exportateurs. Le Japon a été ainsi mis à genoux financièrement en quelques mois. L’archipel mettra plus dix ans à s’en remettre… pour prendre aujourd’hui de plein fouet la nouvelle crise. Quant à la Chine, ses dirigeants allaient se montrer beaucoup plus malins que leurs homologues soviétiques : Den Xiao Ping a vite compris que son régime était en danger de mort. A partir de 1979 et de la normalisation des relations avec Washington, il va progressivement faire entrer son pays-continent dans la zone dollar, attirant ainsi les capitaux et devenant l’usine de l’Occident. Pour le plus grand profit des multinationales anglo-saxonnes. Un deal gagnant-gagnant, dont les Etats-Unis seront les authentiques vainqueurs : décrétés à juste titre hyperpuissance, dénués de rival, ils vont façonner le monde selon leur idéologie, leur modèle.



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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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