Selon un proche d’Arnaud Montebourg, la démondialisation serait un « mot-obus qui sert à détruire le système ». Depuis que le candidat aux primaires socialistes en a fait son étendard, le concept fait florès chez les pourfendeurs du mondialisme. Il est jusqu’aux socialistes pudibonds pour parler- timidement- « d’écluses » et de « juste échange ».
Car le protectionnisme, appellation originelle de la démondialisation, séduit aujourd’hui 80% des Français- si l’on en croit le sondage IFOP commandé par l’association Manifeste pour un débat sur le libre-échange.
Membre de ce cercle d’intellectuels, Jacques Sapir démontre que la mondialisation résulte d’une série de choix politiques conscients marqués par l’empreinte idéologique du néolibéralisme. Dans un livre dense sorti au printemps, celui que l’on qualifie souvent d‘économiste hétérodoxe s’emploie à décrire la double face, marchande et financière, d’une « mondialisation (qui) ne fut jamais heureuse ». A Frédéric Bastiat et Georges Kaplan déclarant que « si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront », Jacques Sapir répond par avance que la mondialisation est elle-même une guerre !
Et comme tout conflit, la libéralisation des flux marchands et financiers divise les belligérants en deux catégories : les gagnants et les perdants. Au rang des vainqueurs, on retrouverait « les classes supérieures des pays riches – et de certains pays en développement » ainsi que les pays dits « émergents » que l’on ferait mieux d’appeler émergés tant ils mettent à profit certains mécanismes de la mondialisation, sans vraiment en jouer le jeu. La Chine en est l’exemple le plus flagrant, l’Empire du milieu développant sans la moindre mauvaise conscience une économie de prédation pour « retrouver son rang » d’ancienne première puissance mondiale, comme aime le rappeler Jean-Michel Quatrepoint[1. Mourir pour le yuan, Bourin éditeur, 2011]. Non moins divers, les grands perdants de la mondialisation seraient les Etats très pauvres, rejoints par les salariés des anciennes puissances industrielles, qui affrontent la concurrence déloyale des pays à bas coûts de production. Comme par hasard, le lot des vaincus inclut aussi les plus fervents disciples de la doxa libérale qui se sont volontairement dépouillé de leur souveraineté économique et paient aujourd’hui les pots cassés.
Judicieusement, Sapir réinscrit également la crise de la dette que traverse l’Europe dans le cadre général de la globalisation. Avec un coupable tout désigné : l’euro. Installée au cœur d’une zone économique hétérogène, la monnaie unique serait le cheval de Troie de la mondialisation financière, dans le droit fil de l’Acte unique et du traité de Masstricht. Eternellement surévalué, l’euro a été mis en place afin de pousser l’Allemagne réunifiée à s’arrimer à l’Europe. C’est en cela que la monnaie unique est exclusivement politique, Amyartya Sen ayant d’ailleurs qualifié de « décision saugrenue » le fait « d’adopter une monnaie unique sans plus d’intégration politique et économique ».
Or, malgré la violence de sa charge contre l’euro, Sapir ne suggère pas d’abandonner la devise européenne. Le lecteur sent alors poindre une certaine contradiction entre la modération politique du clerc et les arguments techniques de l’économiste. A la différence de son confrère Gérard Lafay[2. Non à la constitution d’une « Europe des dettes », Le Monde, 24 août 2011], Sapir ne préconise pas un retour, rapide et coordonné, aux devises nationales mais entend plutôt « faire évoluer » la monnaie unique. Sa proposition de retour à une sorte de Serpent Monétaire Européen organisant la « coordination des politiques monétaires autour d’une monnaie commune venant s’ajouter aux monnaies nationales » vise à garantir la pérennité de l’euro comme devise extérieure laissant par ailleurs la liberté d’opérer les ajustements et les fluctuations nécessaires.
Bien que défendue de longue date par des souverainistes de droite comme de gauche, l’idée d’une monnaie commune européenne peine à faire son chemin dans des média trustés par les idolâtres de la « règle d’or ». Comparé aux rustines que les dirigeants européens posent semaine après semaine pour gagner du temps et aux plans de rigueur qui risquent de nous enfoncer dans la spirale de la récession, le projet de Jacques Sapir semble bien raisonnable.
Puisque quelques décennies de désertion étatique ont suffi à nous mener dans l’impasse, méditons la thèse majeure de Sapir : pour changer les choses, il faut d’abord une bonne dose de volonté politique.
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