J’avais rapporté de Lausanne le DVD de Daniel von Aarburg, Hugo Koblet, pédaleur de charme, parlé en schwitzerdütsch[1. Je me permets de préciser pour nos rares lecteurs qui ne connaîtraient pas tous les charmes du plurilinguisme helvétique qu’il s’agit du suisse-allemand (EL)], ce qui constitue pour un francophone une épreuve aussi rude que de gagner le Tour de Romandie. Mais enfin, il s’agissait d’Hugo Koblet, l’idole de mon enfance, et, quand on part à la recherche du temps perdu, il ne faut reculer devant rien. Je me souvenais vaguement de ces deux géants : Kübler et Koblet qui avaient donné aux Suisses l’assurance qu’ils pouvaient conquérir le monde. J’avais oublié que l’un, Hugo Koblet, le plus charmeur, s’était sans doute suicidé et que l’autre, Ferdy Kübler, plus précautionneux, vivait encore.
Mais je ne me doutais pas que le film de Daniel von Aarburg exercerait sur moi une telle fascination, non seulement parce que les victoires de Koblet au Giro d’Italie en 1950 et au Tour de France en 1951 tenaient du prodige, mais aussi parce que le metteur en scène, sans aucun souci de l’effet, restituait un destin à la James Dean, celui d’un jeune homme solitaire, rebelle à toute discipline, séducteur invétéré, indifférent à l’argent et dont la fin serait forcément tragique. Quelques amis qui l’avaient accompagné dans son ascension et sa chute commentent les épisodes de sa brève existence. Le plus sympathique est Ferdy Kübler en vieux sage. Ils parlent tous schwitzerdütsch. Pour la première fois, ce dialecte n’a pas écorché mes oreilles et je me suis dit que, quand même, je n’avais pas été trop mal loti de naître en Suisse à l’époque de Ferdy et d’Hugo.
Les amateurs de cyclisme seront comblés par ce documentaire, les cinéphiles à coup sûr voudront le voir et les seniors, puisque c’est ainsi qu’il faut aujourd’hui désigner les vieux, essuieront une larme. Il serait dommage qu’Hugo Koblet ne fasse pas un tour de piste sur les écrans parisiens.
Il n’a rien perdu de son pouvoir de séduction : c’est sans doute le principal avantage qu’il y a à mourir jeune.
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