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Israël – Turquie, ça rame à nouveau


Il y a seize mois, avec l’affaire de la flottille, la Turquie effectuait un retour spectaculaire sur la scène moyen-orientale, Ankara se transformant du jour au lendemain en héros de la cause palestinienne. La vague d’indignation qui suivit la mort de neuf citoyens turcs dans l’arraisonnement du Mavi Marmara, le bateau amiral de la flottille, permit au premier ministre Erdogan de battre des records de popularité dans le monde arabo-musulman.

À Gaza, on prénommait des nouveau nés Erdogan pendant qu’à Tripoli, un certain Mouammar Kadhafi lui discernait le « prix des droits de l’homme » (sic). Grâce au succès de la provocation préparée par l’ONG turque IHH, Ankara accentuait son rapprochement avec l’Iran et la Syrie et reconquérait ainsi le terrain précipitamment abandonné par Istanbul il y a un siècle.

Douze mois plus tard, le magnifique édifice géostratégique turc se fissure. A Tripoli, Erdogan devra batailler pour se refaire une virginité auprès des nouveaux maîtres de la Libye tandis qu’en Syrie, le pouvoir vacillant de l’ancien allié Assad est devenu une menace pour la stabilité de la région. Dans ce pays en voie de libanisation, le gouvernement turc redoute l’éventualité d’une guerre civile qui mettrait le feu à ses frontières. Un malheur n’arrivant jamais seul, la crise syrienne met également à l’épreuve les relations entre Ankara et Téhéran, soutien indéfectible d’Assad.

Alors que la guérilla kurde reprend, cette série de revers diplomatiques pousse l’islamo-nationaliste Erdogan à envenimer ses relations avec Israël. Mais après l’échec du cru 2011 de la flottille, le plat semble réchauffé et la ficelle un peu grosse.

Cette fois, Ankara a saisi le prétexte du rapport d’une commission d’enquête de l’ONU pour relancer l’affaire de la flottille. Lesdits enquêteurs ont d’ailleurs été conjointement choisis par la Turquie et Israël, qui n’étaient pas très chauds pour constituer une commission d’investigation. En Turquie comme dans l’Etat hébreu, on sait en effet qu’une enquête ne sert à rien puisqu’Israël est automatiquement coupable aux yeux des opinions publiques arabes. La Turquie ayant déjà gagné la bataille de la communication, elle n’avait aucune raison de prendre des risques inutiles. A Tel Aviv, où on n’attend pas grand-chose de l’ONU, le gouvernement israélien souhaitait tout simplement tourner la page d‘une histoire où il n’a que des coups à prendre.

C’est finalement sous la pression de leurs alliés communs que cette instance dirigée par l’ex-premier ministre néo-zélandais Jeffrey Palmer a été lancée par la Turquie et Israël. A la surprise générale, la commission Palmer a produit un travail honnête. Depuis quelques mois, on sait que le rapport confirme la légalité et la légitimité du blocus maritime israélien sur Gaza – et approuve donc l’arraisonnement de ceux qui tentent de le forcer. Ainsi, le rapport Palmer qualifie le blocus de « mesure de sécurité légitime pour empêcher des armes d’entrer à Gaza par la mer et « sa mise en œuvre (…) conforme au droit international» alors qu’il épingle les organisateurs turcs de la flottille pour avoir « agi imprudemment » . La commission dit même se poser de graves questions « à propos de l’attitude, de l’identité véritable et des objectifs » de l’IHH. Quant au gouvernement turc, ses efforts pour désamorcer la provocation de l’IHH ont été jugés insuffisants. Preuve de cette absence de volonté, l’été dernier, lorsqu’Ankara voulut marquer une inflexion passagère de sa politique étrangère, il fit déjouer l’embarcation d’une nouvelle flottille.

Certes, ce même rapport critique sévèrement l’usage excessif de la force déployé par les commandos de Tsahal. Tout en admettant que les militaires israéliens se heurtaient à une «  résistance organisée et violente de la part d’un groupe de passagers », leur réaction a été jugée  » excessive et déraisonnable ».

Globalement, le rapport Palmer constitue un gros revers pour une diplomatie turque. Récemment convertie à la cause palestinienne, elle apporte comme un dot un document soutenant la position israélienne sur la légalité du blocus de Gaza, mauvais calcul dénoncé par le chef de l’opposition turque. Israël se montrait, bien évidement, prêt à accepter les recommandations de la commission Palmer : exprimer des regrets puis indemniser les victimes de l’assaut ainsi que leurs familles. Mais pour la Turquie, embarrassée par son opinion publique et les positions anti-israéliennes d’Erdogan, il n’était pas question d’en rester là. Malgré son engagement officiel à respecter le rapport et ses conclusions, Ankara exigeait obstinément des excuses israéliennes ainsi que l’arrêt du blocus – maritime et terrestre – sur Gaza.

Autrement dit, les Turcs ont fait une proposition qu’Israël ne pouvait que refuser. En dépit de la faiblesse de ses arguments, la Turquie n’a pas diminué ses exigences. Après des mois de reports, le rapport Palmer a enfin été officiellement remis au secrétaire général de l’ONU, ce qui a réouvert les hostilités publiques entre Israël et la Turquie. Ankara a donc rejeté le rapport d’enquête et gelé ses accords militaires bilatéraux avec Israël. En plus, non content d’annoncer une visite d’Erdogan à Gaza, le gouvernement turc menace d’envoyer sa marine « assurer la libre navigation du bassin oriental de la méditerranée ».

En Israël, deux écoles s’affrontent. Certains estiment que les relations stratégiques avec la Turquie doivent l’emporter sur la fierté israélienne. Au nom du pragmatisme, ils recommandent d’accepter les conditions d’Ankara. D’autres leur objectent qu’il ne s’agit pas d’une simple question de fierté nationale mais que la politique israélienne vis-à-vis de Gaza est en jeu. Ils disposent d’un argument solide : Ankara étant fermement déterminé à s’éloigner d’Israël dans le nouveau contexte régional, l’Etat hébreu n’aurait aucun intérêt à battre sa coulpe. Selon eux, le retour à la normale promis par les Turcs n’est qu’un mirage. En fait d’excuses, Ankara attendrait le premier prétexte venu pour « punir » Israël, qui perdrait alors le gain symbolique du précieux rapport Palmer. Notons qu’en cas de compromis israélo-turc, l’ONU s’est engagée à enterrer ce rapport en en faisant un « non paper ». Que la seconde analyse l’emporte en Israël n’étonnera donc personne.

La Turquie sera donc applaudie pour sa fermeté face au « petit Etat de merde » mais dans certains endroits l’ovation risque de manquer un peu d’enthousiasme. En Syrie par exemple, on pourrait se demander pourquoi tandis que l’ambassade turque à Tel Aviv, à moitié vide, sera dirigée par un deuxième secrétaire, son excellence l’ambassadeur Ömer Önhon, continuera à représenter son pays auprès de Bachar el-Assad.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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