Chaque année, les vacances d’été amènent sur les écrans de cinéma leur lot de blockbusters bien plus sûrement que le réchauffement climatique n’amène la canicule. Et chaque année, l’effet de surprise est au rendez-vous, conséquence du progrès constant des effets spéciaux allié à une recherche du réalisme sans cesse renouvelée. C’est le cas de La planète des singes : les origines, de Rupert Wyatt. L’extrême frugalité de l’intrigue n’en fait certes pas un chef-d’œuvre. Mais la perfection des images de synthèse utilisées pour mettre en scène le héros simiesque nous donne à voir cet animal comme on se regarde dans un miroir. Elle nous rappelle combien la troublante question de la frontière entre l’homme et la bête a pu fasciner non seulement les cinéastes, mais aussi les écrivains.
La planète des singes : les origines, énième rejeton cinématographique du roman de Pierre Boulle ne brille certes pas par la qualité de son scénario, qui ne nous épargne aucun des poncifs nécessaires à la confection d’une superproduction. Il y a tout d’abord la dénonciation grossière de l’industrie pharmaceutique alliant l’âpreté au gain de l’homme d’affaires à l’inconscience d’un jeune et beau docteur Frankenstein, auquel sa créature – un chimpanzé rendu surdoué par une molécule de synthèse – va bien vite échapper. Suivent toutes les figures de style obligatoires et sans surprise: la problématique de l’altérité et la solitude du dissemblable, la prise de conscience collective, lente mais inexorable, d’un lumpenprolétariat animal qui finira par briser ses chaînes à l’appel d’un Spartacus quadrumane ayant appris à dire « Non », puis, enfin, le meurtre symbolique du père. Notre primate héroïque quitte en effet l’humain qui l’a élevé pour aller vivre sa vie de singe au sommet de sycomores millénaires, ce qui est tout de même plus éco responsable que dans un pavillon de banlieue avec cuisine en formica.
Finalement, c’est bien dans sa mise en œuvre remarquable des effets spéciaux que tient la réussite du film. L’usage de la « performance capture », déjà utilisée par James Cameron dans Avatar, et qui consiste à plaquer sur de véritables acteurs un « maquillage » de synthèse, humanise de façon surprenante les chimpanzés-héros. Leurs mimiques et leur regard permettent de jouer toute la gamme des émotions humaines, poussant jusqu’à son comble l’anthropomorphisme habituel de ces fictions qui arpentent avec fascination et depuis longtemps la ligne de démarcation entre humanité et animalité.
Cette précision de l’image conduit hélas à trancher un peu vite une question que la littérature, fort heureusement, a choisi de laisser irrésolue. Car pour Rupert Wyatt, les choses sont faciles. L’homme est monstrueux. Il torture l’animal en faisant sur lui des expériences scientifiques qui confinent à la folie et dont il cesse rapidement de maîtriser les conséquences. Ce faisant, il créée les conditions de sa propre destruction, et c’est bien fait. A l’inverse, le singe est humain. Il prend une juste revanche, sans haine, mais avec une intelligence et une détermination qui se lisent dans ses yeux. Paradoxalement, et parce que la qualité technique du film semble avoir utilisé la suggestivité d’un visage humain « avatarisé » pour gommer toute complexité, on se remémore aussitôt ces interrogations que quelques écrivains du milieu du XX° siècle avaient laissé en suspens.
Ainsi se rappellera-t-on une autre révolution animaliste, celle décrite par George Orwell dans La ferme des animaux. On évoquera aussi Robert Merle, qui sut attraper la difficile question de la communication homme/animal par tous les bouts : d’abord sous l’angle de la science-fiction, dans Un animal doué de raison, puis à la manière hyper réaliste de l’observateur scrupuleux d’une expérience scientifique dans Le propre de l’homme. Ce dernier ouvrage donne d’ailleurs à la question du langage animal une réponse exactement inverse à celle fournie par Wyatt. Même bercée depuis l’enfance par des bras humains, et quoiqu’ayant appris le langage des signes à l’instar du héros de La planète des singes, le chimpanzé Chloé ne prononcera jamais une parole. Enfin, on se souviendra du père Dillighan, ce bénédictin mis en mots par Vercors, qui rejoua dans le secret de sa conscience la controverse de Valladolid, et souffrit tant de ne pouvoir répondre à cette simple question : Les animaux dénaturés, ces « tropis » à mi chemin entre l’homme et la bête, ont-il une âme ?
Doit-on immédiatement conclure que seul l’écrit permet la nuance et que le cinéma, essentiellement préoccupé de produire des images spectaculaires, n’a à offrir que du manichéisme hollywoodien ? Rien n’est moins sûr. Boulle, Orwell, Merle et Vercors écrivaient pendant la Guerre Froide. Le monde s’ébrouait au sortir d’un conflit mondial qui avait vu des milliers d’hommes se « rhinocériser », comme le disait Ionesco. Cela amenait nécessairement la question suivante : l’être humain n’est-il pas le seul animal authentiquement bestial ?
Rupert Wyatt, lui, est un homme de notre époque, de cette modernité qui se caractérise, selon certains, par la fin des idéologies, et où d’autres voient dans l’écologie une utopie de substitution. Avec tout ce que cette dernière, au delà de sa doxa a priori sympathique, dissimule de défiance envers l’homme pour mieux aimer « le vivant », de suspicion pour la culture qui s’oppose trop à « la nature », autrement dit, et comme le pressentait Luc Ferry, dès le début des années 1990, d’antihumanisme. Dans ces conditions-là, prenons garde que les grands singes ne finissent effectivement par gagner cette (contre)révolution.
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