Lorsque l’on baguenaude ces jours-ci dans les rues de la capitale, qu’on écume les glaciers de l’île de la Cité, ou qu’on s’esbaudit quelques instants devant l’immense pâté de sable édifié au pied du pont Notre-Dame à la gloire de Mickey Mouse et de Bertrand Delanoë, une évidence s’impose : tous les autochtones ont quitté ce Luna Park-ci pour un autre.
Tous les autochtones…enfin presque. Car à bien y regarder, on croisera ça et là, à des heures improbables, quelques CSP+ à l’œil chassieux et au teint hâve serrant contre eux une mallette de cuir brun. Ces êtres graves et pâles qui se pressent dans le métro, ces encravatés matinaux privés depuis la mi-juillet de leur Direct Matin sont bien plus typiques de notre Douce France que n’importe quelle Edith Piaf de place publique. Ce sont les petits télégraphistes de la RGPP.
Ces jours-ci, pendant que d’autres bronzent, ils se lèvent à l’aube pour aller parfaire leur JPE (justification au premier euro). Car les mois de juillet et d’août sont pour eux primordiaux. C’est là que s’élabore le PLF (projet de loi de finances) de leur Ministère. C’est là que ces braves commis, sourds à l’appel du sable fin et du Monoï, rédigent en silence le PAP (projet annuel de performance) qui préludera à la construction hivernale du RAP (rapport annuel de performance) exigé par la LOLF (loi organique relative aux lois de finances). Cette loi organique est une belle invention. Son objet est de redonner le pouvoir budgétaire aux élus de la Nation sans renier ni Maastricht ni Lisbonne. Elle garantit à chaque parlementaire une présentation plus claire et une lecture plus facile du budget de l’Etat. Grâce à cette transparence accrue, le pouvoir législatif retrouve enfin l’aptitude décisionnelle qui lui échoit légitimement en démocratie.
Ainsi, à l’heure du grand chassé-croisé des juillettistes et des aoûtiens, une armada de fonctionnaires pédale dans l’ombre pour remplir d’impressionnants volumes regorgeant de tableaux, graphiques et autres diagrammes en bâtons. C’est ainsi qu’à la rentrée, l’administration mettra une batterie de « PAP » de 500 pages chacun à disposition de tous nos députés et sénateurs, qui liront tout, bien évidemment. Tout ça pour plus de transparence, d’efficacité et surtout, d’efficience.
Une question demeure cependant : lorsque l’escadrille des faiseurs de « PAP » fera place à l’escouade des spécialistes du « RAP », des contrôleurs de gestion, des mesureurs d’écarts et des préposés à la tenue des indicateurs-qualité, combien toute cette « performance » nous aura-t-elle coûté ?
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