Trop forte, Ségo ! Par un étonnant phénomène de sidération collective, tous les observateurs patentés de la planète socialiste, se sont transformés en critiques de spectacles ou chroniqueurs religieux à l’issue du maintenant fameux rassemblement du Zénith à Paris, le 27 septembre. Eva Peron ou Florence Foresti ? Télévangéliste ou « bergère » d’un groupe du Renouveau Charismatique ? Telles sont désormais les petites controverses qui agitent le microcosme politique et médiatique à propos des nouvelles aventures de la présidente du Conseil régional Poitou-Charentes.
Tant et si bien que personne, ou presque, n’a pris la peine de replacer cet événement dans l’évolution de la mouvance ségoliste depuis la campagne présidentielle de 2007.
Dans sa forme, ce one woman show encadré de prestations artistiques s’inscrivait parfaitement dans la continuité du meeting de Charléty de mai 2007 : on avait déjà pu y déceler une tendance à la transmutation du discours politique classique en un prêche visant à provoquer un élan émotionnel au sein de l’assistance. Sans tenir le moindre compte des critiques formulées au sein du PS sur cette dérive mystico-populiste, Ségolène en remet une couche dix-huit mois plus tard, provoquant les barrissements indignés des éléphants nourris au lait de la rhétorique républicaine traditionnelle.
Derrière l’encens et les paillettes, au delà d’un « relookage » de l’héroïne de la soirée digne d’une émission de télé populaire, on pouvait néanmoins discerner un net virage gauchiste dans le peu de contenu politique de son adresse au public. Exit « l’ordre juste » et l’exaltation du drapeau tricolore d’une campagne présidentielle qui a puisé dans le sac à idées chevènementiste ; place à « l’interdiction des licenciements et des délocalisations » et à la glorification de la « France métissée ». Adieu Bayrou, bonjour Besancenot !
La nouvelle Ségo, celle qui a été présentée au peuple le 27 septembre, n’a pas seulement changé de coiffure. Elle a également abandonné la stratégie de l’alliance avec un centre introuvable pour adopter la ligne proposée par un Julien Dray revenu au bercail : la constitution d’un front « arc en ciel » de Bové à Bayrou, étant bien entendu que le nom de Bayrou n’est cité que pour l’obliger à décliner cette offre malhonnête.
C’est donc le grand retour, dans le clan Ségo, de la phalange des anciens trotskystes, des Sophie Bouchet-Petersen, Julien Dray et Edwy Plenel. Ce dernier, déjà intervenant remarqué il y a quelques mois dans un rassemblement du club ségoliste « Désirs d’Avenir », s’est à nouveau montré parmi les pipoles présents au Zénith. La marque intellectuelle de ce trio, dont les cadres de pensée sont restés intacts malgré leur éloignement de l’appareil organisationnel de la LCR, se lit assez facilement dans le nouveau cours pris par la mouvance royaliste. Ainsi la litanie d’oxymores ( Il y a eu la « riante » primaire, la « courtoise » présidentielle, les « gentils » coups bas, les « tendres » attaques, les « doux » cambriolages, les « amicales » pressions et les charmantes épreuves personnelles…), point d’orgue du discours de Ségolène, avait pour objectif de la constituer en victime persécutée par tous les « dominants » de l’ordre social en place, qu’ils se trouvent à l’Elysée, rue de Solferino, et même au sein de sa propre famille fracassée. La dichotomie dominants/dominés instituée en paradigme de la pensée et de l’action n’induit pas seulement une critique politique de l’adversaire, mais sa délégitimation morale : il suffit d’écouter les billets hebdomadaires d’Edwy Plenel sur France Culture pour savoir distinguer les bons des méchants. Aux noirs desseins des étrangleurs de la démocratie, Bush, Sarkozy et consorts, s’opposent les aspirations au Beau, au Bien et au Vrai des damnés de la terre, méchamment traités de « barbares » par un Occident arrogant. J’exagère à peine…
Ce virage à gauche n’est pas le résultat d’une soudaine illumination qui serait venue à Ségolène telle la flamme de la Pentecôte au dessus de la tête des apôtres. Il participe d’une stratégie visant à demeurer en scène même si le congrès de Reims se solde par la victoire de son principal concurrent, Bertrand Delanoë. La mobilisation à son profit du « parti d’en bas », plus à gauche que les hiérarques et les notables, vise à maintenir une pression en sa faveur jusqu’à la nouvelle primaire de désignation du candidat à la présidentielle de 2012. Dans l’hypothèse où Bertrand Delanoë deviendrait premier secrétaire en novembre, il ne pourra pas compter sur le ralliement du clan royaliste. Et si, comme c’est probable, les élections européennes de juin 2009 se traduisent par une poussée des partis protestataires au détriment du PS et de l’UMP, on verra monter, au sein du PS, l’exigence de la constitution d’une nouvelle alliance avec une extrême gauche consolidée et des Verts triomphants, largement dominés par les altermondialistes et les gauchistes reconvertis. Si, au bout du compte, Delanoë sombre dans cette galère, il restera ensuite à faire barrage au retour de « l’exilé » Dominique Strauss-Kahn, dont la cote de popularité fait de l’ombre à la madone. Alors, ce sera feu sur le droitier, l’homme des privatisations et de la soumission au grand capital !
Il y a un peu plus de vingt ans, en Angleterre, un quarteron de trotskystes culottés parvenait à s’emparer d’importants leviers de commande au sein du Parti travailliste, mettant en avant un idiot utile », Michael Foot, comme candidat au 10 Downing Street. Résultat : une décennie de pouvoir sans partage pour Margaret Thatcher, jusqu’à ce que Tony Blair expulse sans ménagement les héritiers de feu Lev Davidovitch des rangs du Labour. Nicolas Sarkozy n’était pas présent physiquement au Zénith, mais toutes ses pensées, durant cette soirée, ont dû se résumer à un vibrant « Allez Ségo ! ».
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