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Déchirés par les races


Racisme

Un spectre hante l’Occident aujourd’hui : celui de la cour de récré. Malheur à la ville dont les princes sont des enfants ! Voilà des mois, des années même que l’on se débat dans une guerre des boutons inlassable autant que méprisable pour savoir qui a la plus grosse. Hier, on nous bassine avec Christophe Lemaître, « premier sprinteur blanc » à passer sous l’ineffable barre des 10 secondes au 100 mètres. Deux heures plus tard, c’est Teddy Riner qui, Noir de son état − ou peut-être de profession, va-t-on finir par croire −, démontre au monde entier, particulièrement aux Japonais, que c’est lui le plus fort au judo, donc toute l’Afrique. Dans les cinq minutes qui suivent, un hurluberlu quelconque rappelle que, quand même, ce sont les Blancs qui nagent le mieux en vertu de je ne sais quelle théorie scientifico-musculaire. Puis l’on entend dans le poste un champion français de taekwondo dont le nom m’échappe annoncer benoîtement qu’eux, les Noirs, ils sont programmés pour être plus forts, c’est génétique. On enchaîne avec un blaireau qui demande où sont les prix Nobel scientifiques africains. Thuram rétorque que les pharaons, eh ben, ils avaient le type négroïde et que Ésope soi-même venait de Mauritanie.[access capability= »lire_inedits »]

Ça valait le coup de se demander comment on peut être persan

Obama est élu, c’est la revanche des esclaves mélanodermes. Les Chinois construisent des basketteurs titanesques par croisement de camarades géants à qui on n’a pas demandé leur avis pour suppléer à la petite taille dont ils sont pour les siècles naturellement affublés. Les Espagnols gagnent la Coupe du monde parce qu’ils sont tous catalans ou aragonais depuis Alaric II. Les All Blacks sont les meilleurs du monde parce qu’ils mangent beaucoup de poisson des mers du Sud. Les Indiens gagnent au cricket parce qu’ils sont plus solidaires. Les Texans tirent mieux à la carabine parce que c’est leur papa qui leur a appris. Jeannie Longo gagne toujours parce qu’elle fait elle-même son yaourt. Les Italiens ont la classe au foot mais perdent toujours parce qu’ils parlent trop. Les Éthiopiens et les Marocains ont le souffle long des hauts plateaux. Sans parler des dealers qui sont soit tous noirs et arabes, soit jamais ni noirs ni arabes.

Et il y a quelques semaine, c’étaient les propos ô combien importants des gens de la FFF qui étaient à la « une » de tous les journaux. Le niveau monte, indubitablement.

En vérité, pour en arriver là, ça valait vraiment le coup de se demander comment on peut être persan. Ça valait le coup de gagner la dernière guerre mondiale contre le diable. Ça valait le coup de faire des déclarations universelles. Ça valait le coup de nous faire porter des petites mains jaunes en 1985. De quotas en contre-quotas, de discriminations neutres, positives ou négatives en promotion de la diversité, de lutte contre le racisme en marche des Beurs, voilà donc où nous sommes rendus : en une génération, on sera parvenu à réduire à néant les efforts de la précédente pour sortir des visions racistes et essentialistes du monde. Elle avait banni l’antisémitisme d’État, décolonisé, et même arrêté d’écrire « Y’a bon Banania ! » : mais trente ans plus tard, la « question » revient par la bande, sous une forme américaine, qu’on dit pragmatique ou réaliste, celle que Nicolas Sarkozy a, un moment, tenté d’importer. Oh, il n’est pas le seul responsable : la fascination pour les méthodes à l’anglo-saxonne touche beaucoup de monde, à l’heure de la science et de la technique divinisées. On aurait pourtant tort d’oublier les leçons de l’Histoire, à savoir que ce sont toujours les nations latines, et particulièrement la France qui, au sein du monde occidental, ont battu en brèche le racisme scientifique. Tort d’oublier aussi que la France peut se prévaloir d’être la seule, parmi toutes ces puissantes nations, à n’avoir jamais commis de génocide. Tort de ne pas se demander pourquoi et surtout quelle contre-puissance intimement cultivée a présidé à sa retenue, à sa mesure face à la déferlante eugéniste du XIXe siècle et de la fin du XXe siècle. Tort d’oublier que les États-Unis ont été profondément racistes dans leurs fondements et n’en sont peut-être pas tout à fait sortis ; que les Anglais l’ont été fondamentalement dans leur impérialisme. Tort donc de se résoudre à adopter la conception des rapports entre groupes humains dont ils ont eu tant de mal à se délivrer.

Alliance de la gauche libertaire et de la droite libérale

Le racisme contemporain ne vise évidemment plus à obtenir un classement définitif sur l’échelle de la dignité humaine. En cela, nous avons − et heureusement − définitivement dépassé nos aïeux. Non, c’est un racisme néolibéral, c’est-à-dire de parts de marché. Accuser les gènes quand on refuse d’instruire a toujours été le discours de l’impérialisme, et cela a servi beaucoup de monde. Celui-là, le nouveau, est un impérialisme intérieur, appliqué aux sociétés dites « modernes », dites « de la diversité ». En ce sens, la gauche libertaire comme la droite libérale se sont fait les alliés très objectifs de l’identitarisme façon Marine Le Pen. La première parce qu’elle a brisé l’outil de transmission et d’éducation, renvoyant chacun à son identité première, familiale, clanique ou tribale, et réservant la culture exclusivement aux milieux favorisés. La seconde parce que la réification des êtres humains, leur modification en consommateurs de type prédéfini lui a permis d’édifier des marchés parallèles, des segments où elle est sûre de satisfaire des clients à qui on a imposé dès la naissance une sous-identité. Marine Le Pen, contrairement à ce que beaucoup se prennent à croire, n’a en aucun cas développé une réponse à cette monstruosité postmoderne. Elle occupe, en vérité, le poste de chef de produit pour le segment « françois-de-souche » qui, resté longtemps accroché à sa vocation universaliste de Français, s’est aperçu avec le temps que sa position était intenable dans ce monde. Comme chacun sait dans le marketing, arrivée en troisième acteur du marché, Marine Le Pen prend ses 20%. Pour la domination, il n’y a absolument rien à craindre de ce côté-là. Au contraire, ça redynamise un marché en berne, comme dirait Séguéla.

Non, ce qui peut faire exploser ce pacte infernal, c’est seulement la reconstruction des outils de l’universalisme : celui qui n’accuse ni ne victimise. Le monde ancien a eu tendance à nier l’existence des victimes sur lesquelles il se bâtissait ; le monde moderne à ériger de fausses victimes perpétuelles pour se créer une légitimité dans l’accusation, comme l’a excellemment montré Girard : évitons ces deux écueils.
Il nous faut une justice véritable, qui ne doive ni à l’air du temps ni aux grondements des puissants : une justice qui défende tous les laissés-pour-compte, ces petits de banlieue qui ont vu naître autour d’eux une génération sauvage comme les membres mêmes de cette génération à qui on n’a rien donné sinon la concupiscence et l’avidité ; les campagnards oubliés de la redistribution sociale comme les habitants de ces nations sinistrées du Sud que les oligarchies occidentales pillent sans vergogne. Une justice qui montre, une fois encore avec Leclerc, que « nous ne sommes pas encore mûrs pour l’esclavage ».[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste.

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