Accueil Culture Le roman vrai de DSK : un vrai roman !

Le roman vrai de DSK : un vrai roman !


photo : Grébert (Flickr)

En temps ordinaires, je me serais dispensé de lire Le Roman vrai de Dominique Strauss-Kahn, de Michel Taubmann. En dépit de la sympathie que j’éprouve pour son auteur, rédacteur en chef de la défunte revue Le Meilleur des mondes, je n’avais aucune envie de rejoindre la foule des chalands attirés par les bateleurs de luxe d’Euro RSCG. La parution d’une hagiographie habile quelques semaines avant l’entrée en lice du favori de la primaire socialiste faisait partie d’une « séquence » minutieusement mise au point par la joyeuse bande de « communicants » du directeur du FMI : Ramzi Khiroun, Stéphane Fouks, Anne Hommel.

Cela commence par une fausse confidence d’Anne Sinclair sur son blog, indiquant qu’elle ne souhaite pas que son mari effectue un second mandat à Washington. On enchaîne sur un portrait du couple en pleine action culinaire sur Canal+, destiné à montrer que le maître argentier de la planète apprécie les joies simples d’un steak grillé savouré avec madame, en tête-à-tête, le samedi soir. Pendant ce temps-là, à Paris, les « mousquetaires » Cambadélis, Le Guen et Moscovici veillent à neutraliser les spadassins de la reine de Solferino et du duc de Corrèze. Claude Askolovitch, éditorialiste au Journal du dimanche, met la dernière main à son opus L’Inconnu DSK, deuxième étage de la fusée éditoriale destinée à prendre le relais du Taubmann et à alimenter les discussions entre amis pendant les douces soirées d’été. Le trésor de guerre s’arrondit au fil des sondages qui promettent la lune élyséenne à l’expat’ haut de gamme.[access capability= »lire_inedits »]

La « rencontre d’un homme et d’un peuple » n’est pas une mince affaire. Elle nécessite l’utilisation de quelques chiens de bonne race qui conduisent le troupeau des électeurs dans la bonne direction, en douceur, en lui donnant l’impression que le berger va les emmener vers de grasses prairies laissées jusque-là en jachère.
Jusqu’au 15 mai 2011, j’observais avec une indulgence amusée cette agitation fébrile mais apparemment maîtrisée, semblable à celle qui précède le lancement d’une fusée spatiale. Cela fait belle lurette que la politique, à ce niveau, utilise des méthodes qui ont fait leurs preuves dans la conquête des marchés de la consommation mondialisée. Un candidat « naturel » ne le devient que si l’on est parvenu à persuader les foules que les autres ne font pas la maille. C’était presque fait : même les principaux intéressés, Martine Aubry, François Hollande, Ségolène Royal avaient fini par en prendre leur parti et ne cherchaient plus qu’à bien se placer dans le dispositif du pouvoir à venir.

L’événement que l’on sait m’a incité à me procurer d’urgence le livre de Taubmann pour tenter d’y découvrir, dans les plis d’un récit empathique, les indices prémonitoires de la catastrophe qu’il n’annonçait pas. Mais, pour paraphraser le dernier couplet de La Marseillaise, cet ouvrage nous invite à entrer dans sa carrière pour y trouver la lumière et la trace de ses vertus. L’envers du décor, certes, est évoqué, mais sous le titre « La foire aux rumeurs » incitant le lecteur à tirer la chasse vite fait.

Dans un premier temps, m’appuyant notamment sur quelques bribes d’une fréquentation fugitive et intermittente de DSK liée à l’exercice de mon métier de journaliste, j’avais interprété sa chute brutale avec les outils primitifs d’un freudisme de comptoir. Il avait, avançais-je, commis un acte manqué révélateur du désir inconscient d’échapper à un destin qui l’aspirait vers des hauteurs effrayantes. Bien que des psys patentés se soient engouffrés dans cette interprétation sauvage, elle me paraît, avec un peu de recul, un peu trop simple pour être honnête.

DSK inspirait une sympathie spontanée à beaucoup de ceux qui étaient amenés à le côtoyer. J’en ai fait l’expérience lorsque je fus amené à lui faire labourer, en 1986, le petit coin de Haute-Savoie où les aléas du siècle dernier ont permis que je plante quelques racines. Parachuté dans ce département indécrottablement droitiste depuis plus d’un demi-siècle, il pouvait, grâce à la ruse mitterrandienne du rétablissement du scrutin proportionnel, nourrir un espoir raisonnable de passer du statut d’expert économique du PS à celui d’élu du peuple. Sa méthode pour plaire aux gens simples était aux antipodes des techniques chiraquiennes. Conscient de ses lacunes en matière de connaissance des races bovines élevées dans le secteur, il évitait le « cul des vaches » et les demandes rituelles d’informations sur la santé de la mémé. Sa méthode consistait à faire en sorte que ses interlocuteurs, au bout de dix minutes de conversation avec lui, aient l’impression d’être devenus plus intelligents. Un petit cours d’économie au coin de la cheminée, une analyse géopolitique bien troussée devant un verre d’alcool de prune, le tout exposé avec un sourire enjôleur, et l’affaire était dans le sac. L’électeur savoyard était toujours incapable de prononcer son nom, mais il se disait qu’un député de ce genre dans le coin pourrait être utile, s’il venait régulièrement dans les alpages lui expliquer ce qui se tramait à Paris. Et mon DSK de jurer, croix de bois, croix de fer, que sa présence politique dans ce département était garantie pour l’éternité, et même au-delà. La suite est connue: séduite le temps d’un scrutin, la belle Haute-Savoie fut abandonnée deux ans plus tard, dès le rétablissement du scrutin majoritaire qui privait Dominique de toute chance de réélection. La lecture en creux du livre de Taubmann montre que ce comportement de séduction qui, en amour comme en amitié, n’engage que ceux qui succombent à son charme, était pour lui un mode de vie.

Au lieu de convoquer Freud pour décrypter la psychologie profonde du personnage, c’est à Donatien-Alphonse, marquis de Sade, que j’aurais dû faire appel pour nous aider à comprendre la tragédie new-yorkaise. Et particulièrement à cet aveu du divin marquis dans Juliette ou les infortunes de la vertu[1. On lira, à ce sujet, avec jubilation l’essai d’Éric Marty : Pourquoi le XXe siècle a pris Sade au sérieux, Le Seuil, 2011] : « Je voudrais que le monde entier cessât d’exister quand je bande ! » Au contraire d’un Don Juan rêvant d’autres planètes habitées pour y séduire toutes les femmes après épuisement du stock féminin de la nôtre, le héros sadien n’aspire qu’à soumettre la Terre entière à son désir conquérant, avec le consentement révolutionnaire de l’objet de ce désir.

La réduction du comportement sexuel de DSK aux schémas habituels du dragueur, même lourdingue, qui hante les alcôves du pouvoir, passe à côté de l’exceptionnalité du personnage. Son usage immodéré du sexe n’est pas seulement récréatif, ni un moyen ordinaire de réassurance narcissique. S’il en avait été ainsi, il aurait pu se satisfaire de la nuée de femmes intelligentes et belles qui, selon les témoins cités par Taubmann, auraient dit « oui » dès la première lueur d’invitation perçue dans les yeux de leur idole.

Son rapport au sexe et à l’argent se situe constamment à la limite extrême acceptée pour un homme public. Se résoudre à la maîtrise raisonnée de ses pulsions eût été pour lui tarir la source d’énergie qui pouvait le rendre invincible. Ce n’est pas le prédateur issu de notre animalité commune qui a causé la perte d’un mâle dominant occidental et blanc, comme voudraient nous le faire croire les moralisateurs habituels. C’est, au contraire, son immense effort pour se hisser au rang de premier des citoyens de la République du marquis de Sade qui l’a entraîné dans l’espace de l’infinie jouissance de la déchéance absolue.[/access]

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Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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