Parmi les multiples nouveautés de la rentrée télévisuelle – dont la plupart, apparemment, ne passeront pas l’hiver – le service public a l’air particulièrement fier de sa nouvelle émission-littéraire-grand-public, starring Daniel Picouly dans le rôle de Bernard Pivot.
Ça au moins, ça devrait durer ; en tout cas, l’animateur fait tout pour. Voici trois mois encore, Daniel était confiné dans une case improbable sur France 5 avec « Café Picouly ». Le voici désormais sur France 2 avec un concept flambant neuf : « Café littéraire » ! Un titre qui a au moins le mérite de stabilobosser au passage la synonymie entre les mots « Picouly » et « littérature » – même si, à titre personnel, j’aurais encore préféré « Café picoulittéraire ».
Pour que nul n’en ignore, rappelons que notre animateur est aussi, et d’abord, un écrivain – et parmi les plus glands. Auteur de polars à pâlir la nuit, puis de best-sellers à éviter même en plein jour, il a même mérité pour un de ses opus (Le champ de personne) le Grand Prix des lectrices de Elle – comme avant lui Bernard Werber et Paulo Coelho, pour vous donner une idée.
Hormis ce bâton de maréchal-ferrant, qui comme de juste écrit avec ses sabots, qu’est-ce qui lui vaut donc cette promotion ? La saison passée, son émission me servait assez régulièrement de Donormyl. N’écoutant que mon courage, j’ai voulu voir quand même, pour vous et le cas échéant à votre place, comment la chenille s’était transformée en papillon.
Commençons par les bonnes nouvelles : cette fois-ci, je ne me suis assoupi que vers la fin – et sans doute bien plus tard que la plupart de mes co-téléspectateurs.
Certes, la forme y est pour beaucoup. Difficile de trouver le sommeil quand vos yeux et vos oreilles sont sollicités en permanence par un brouhaha criard – si l’on ose dire.
Générique « ultra-moderne », tout en accéléré – tellement innovant qu’on se croirait dans « Paris-Dernière » il y a 13 ans. Décor violemment kitsch aux dominantes rouge sang, dont on devine qu’il est là pour souligner la dimension néo-post-moderne de l’entreprise. Ambiance radicalement bidon, dans ce faux café où de faux clients sont censés, à 1,50 m de Picouly, discuter à bâtons rompus sans se douter un instant qu’il y a des caméras partout !
Problème : ces figurants-là n’ont visiblement pas grand-chose à se dire, à part de temps en temps à autre : « Fais gaffe, regarde pas la caméra ! » Et à force, ça finit par se voir. Idéalement, il ne manque à ce tableau qu’un homard géant en plastique suspendu par la queue… Mais le mieux est l’ennemi du bien.
Et puis il y a le fond – incarné avec talent par Picouly. Tellement heureux d’être là, le mec, qu’il ne peut s’empêcher de hurler ses questions les plus intimes, ni de mimer à la Buster Keaton ses empathies calculées. Bref, dans ce Théâtre des deux-cents-ânes tout le monde joue – sauf Picouly qui, en tant que chef, s’arroge le droit de surjouer.
Avec Elie Wiesel, son invité d’honneur, Picouly en fait un poil trop dans la révérence. Ne nous annonce-t-il pas, dès le sommaire, une « rencontre tout simplement exceptionnelle » (sic) avec un homme « impressionnant, attentif et émouvant » ? Avec une telle intro, le ton est donné : durant son interview, jamais Daniel ne dépassera le niveau d’insolence d’un lancinant « Comment faites-vous pour être aussi formidable ? »
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