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Veolia: dégagisme woke à la tête du géant de l’environnement?

Depuis la fusion très politique de Veolia et Suez, le groupe semble naviguer en eaux troubles. Face à la féminisation à marche forcée de la direction, de nombreuses voix s’élèvent dans l’ombre pour dénoncer des dysfonctionnements pouvant mettre en péril la sérénité future du groupe. Informations exclusives.


Que se passe-t-il au sein de la vénérable maison Veolia depuis plusieurs semaines ? Selon des informations exclusives que nous avons pu recouper auprès de sources proches de la direction, la plupart des hauts cadres dirigeants de l’entreprise sont inquiets, tant la vague de « féminisation » des postes les plus importants semble gagner du terrain, portée par la directrice générale Estelle Brachlianoff qui a été nommée en 2022 après la fusion réussie avec Suez.

Un premier coup de semonce a été engagé il y a une dizaine de jours, alors que les couloirs du siège d’Aubervilliers bruissaient de l’arrivée possible d’Isabelle Quainon au poste ultra stratégique de Directrice des Ressources humaines, sans que n’y soit associé le conseil d’administration. Devant le tollé des cadres dirigeants puis la divulgation par « La Lettre » de cette candidature jugée par une majorité du management trop « clanique » et « autoritaire », la patronne de Veolia aurait finalement décidé de prendre un cabinet de chasseurs de tête, qui rassemble les candidatures potentielles, afin d’apaiser les tensions.

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Mercredi dernier, deuxième coup de tonnerre lorsque Estelle Brachlianoff convoque au milieu de la nuit un comité exécutif d’urgence pour le lendemain matin. Lors de ce dernier – qui dure moins d’une demi-heure – la patronne du groupe a sermonné les directeurs et les a sommés de « générer du cash pour près d’un milliard d’Euros » très rapidement. Mme Brachlianoff aurait été alertée sur l’état de la trésorerie du groupe, sur fond de baisse boursière généralisée du fait de la perspective de blocage du budget de la France.

Le siège de l’entreprise à Aubervilliers (93). DR.

Problème, la nouvelle Directrice financière du groupe Emmanuelle Menning n’est en poste que depuis plusieurs semaines, après que Brachlianoff a remplacé le très expérimenté Claude Laruelle, qui est désormais candidat pour prendre la tête des Aéroports de Paris. Or, sans générer de cash, le groupe n’a de cesse de creuser sa dette, diminuant sa capacité à verser les dividendes alors que le cours de bourse est très bas. Au sein du groupe, beaucoup se demandent jusqu’où cette vague de féminisation du leadership à marche forcée va-t-elle aller ? Brachlianoff ira-t-elle jusqu’à avoir la tête du « faiseur de roi » et président du Conseil Antoine Frérot ?

En interne, le style de management plus abrupt de la nouvelle direction suscite de nombreuses interrogations. Après les turbulences de la fusion avec Suez et les réorganisations successives, le géant de l’environnement est en quête d’apaisement social plus que de grands chambardements.

Progressistes cancelés

Alors qu’en campagne électorale, le président Trump avait promis qu’il allait sommer les présidents d’universités de mettre fin à la propagande « antisémite » sur les campus, sous peine de geler les crédits, une enquête d’un site proche des Démocrates a mesuré le phénomène.


Depuis le 7-Octobre, on ne compte plus les manifestations en faveur de Gaza dans les universités aux États-Unis. Ou plutôt si : on les compte. Selon un sondage du site web Axios, proche du Parti démocrate, 8 % des étudiants américains ont participé en 2023-2024 à une ou plusieurs opérations propalestiniennes sur leur campus – blocages de faculté, installations sauvages de tentes de camping, arrachages de photos d’otages du Hamas… Parmi eux, poursuit Axios, 12 % forment une frange d’activistes purs et durs, pour ne pas dire antisémites, qui ne se bornent pas à contester la politique de l’État hébreu, mais déclarent carrément avoir de l’hostilité pour le peuple israélien.

Face à ce mouvement, certains établissements ont acheté la paix, comme Berkeley, en Californie, qui a annoncé à la rentrée l’ouverture d’un nouveau programme d’« études palestiniennes et arabes ». D’autres ont carrément obéi aux appels au boycott, telle la San Francisco State University (SFSU), qui vient de mettre un terme à toutes ses collaborations avec des entreprises américaines en contrat avec Tsahal. On aurait tort cependant d’imaginer que la complaisance du monde académique est générale. Selon la Foundation for Individual Rights and Expression (FIRE), ONG libertarienne peu suspecte d’islamo-gauchisme, on assiste même depuis un an dans les facultés américaines à une vague inédite de sanctions internes à l’encontre de militants propalestiniens. Cette fondation basée à Philadelphie édite un site web, baptisé « Scholars under Fire », où sont listés tous les processus disciplinaires ayant visé ou visant des universitaires pour cause de propos publics. Alors que depuis vingt ans, cette base de données était principalement remplie – wokisme oblige – d’« annulations » prononcées contre des professeurs conservateurs, la tendance s’est nettement inversée depuis quelques mois, avec, pour l’année 2024, au moins 50 démarches visant des enseignants de gauche – principalement pour leurs positions sur le Proche-Orient – contre une dizaine de droite. Il faut dire que certains cas sont indéfendables.

L’une des dernières affaires en date concerne une certaine Rupa Marya, professeur de médecine à l’Université de Californie à San Francisco (UCSF), qui, dans un tweet en septembre, a émis des réserves sur un de ses élèves du simple fait que celui-ci se trouve être un citoyen israélien ! Pour cette discrimination patente, l’enseignante a été suspendue de ses fonctions. On ne signale bien sûr aucun comportement comparable dans le camp adverse. C’est chez les « progressistes » que sévit aujourd’hui la forme intellectuelle et distinguée de l’essentialisme aux États-Unis.

Un président, ça se mérite

Ciel, son mari! Brigitte Macron a le droit de dire ce qu’elle veut en privé. Et les Français ne sont pas de petites choses fragiles qu’il faudrait à tout prix « respecter »…


Une petite phrase de Brigitte Macron sur les Français enflamme les réseaux sociaux. Ce sont des propos rapportés par Le Monde que l’on trouve dans un long texte sur la solitude du président[1], lequel verrait actuellement nombre de ses anciens amis se détourner de lui, sans doute autant pour désaccords que parce qu’il ne peut plus rien leur offrir. Lors du voyage présidentiel au Maroc, Brigitte Macron aurait confié à Arielle Dombasle, l’épouse de Bernard-Henri Lévy : « Les Français ne le méritent pas ».

Indignation générale

Je n’y étais pas, et je ne peux donc pas confirmer ces propos. Le Monde non plus n’était vraisemblablement pas entre Mmes Macron et Dombasle… Mais, cela a évidemment suffit pour provoquer un véritable déchaînement numérique, un flot d’attaques souvent minables, haineuses, voire blessantes. Les réseaux sociaux, quoi ! En tout cas, rien à voir avec la critique politique.

À lire ensuite, éditorial: In gode we trust

D’abord, on ne sait pas si elle l’a dit. Donc, c’est un ragot. Et, même si elle l’a dit, ce sont des propos privés. Brigitte Macron n’a aucune fonction officielle et tient son rang qui n’existe pas avec beaucoup d’élégance. Elle dit ce qu’elle veut en privé. Ras-le-bol des journalistes qui se comportent comme la Stasi sous le beau prétexte d’informer ! Le respect de la vie privée est un pilier de la démocratie; Benjamin Constant parlait splendidement de la « jouissance paisible de l’indépendance privée ». Sur le fond, je n’entends pas un propos politique, j’entends surtout une femme qui défend son mari parce qu’elle souffre des attaques contre lui.

Cependant, est-ce que ça ne traduit pas une forme de déconnexion, voire de mépris ?

Pour une fois, je voudrais me mettre à la place des élus. Ce genre de remarque privée traduit peut-être aussi un sentiment d’injustice très partagé dans tous les camps politiques. Beaucoup d’élus ont le sentiment de se donner à fond pour le pays. Ils ne font peut-être pas la politique qu’on souhaiterait, mais ils travaillent dur et se lèvent tôt, alors qu’ils gagneraient plus et auraient une vie plus simple dans le privé. En prime, ils se font insulter et traiter de profiteurs à longueur de journées. Il faut comprendre ce sentiment d’injustice.

À lire aussi: Jean-Christophe Rufin sur Boualem Sansal: «Le silence n’a jamais rien arrangé»

Ceci étant, c’est vrai aussi, le pouvoir déconnecte. Montesquieu dirait peut-être que le pouvoir absolu déconnecte absolument. Par ailleurs, Emmanuel Macron est supérieurement intelligent et il le sait. Peut-être un peu trop… Convaincu qu’il sait mieux que les Français ce qui est bon pour eux, il enrage qu’ils ne s’en rendent pas compte. Cela prouve au demeurant que l’intelligence cérébrale ne suffit pas, pour gouverner, il faut aussi une intelligence charnelle qui fait sans doute défaut à notre jeune président. Le roi Salomon demandait à Dieu de lui donner un cœur intelligent. Quant au mépris, réel ou supposé, j’en ai un peu marre de ces pleurnicheries. Je ne veux pas que le président de la République me considère, ni qu’il m’aime, mais qu’il fasse une bonne politique pour le pays. Sur ce point, on a parfaitement le droit de critiquer durement Emmanuel Macron, et de lui dire qu’il a le peuple qu’il mérite. Mais comme aurait dit Pompidou, arrêtez d’emmerder Brigitte !


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin au micro de Sud Radio


[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/12/01/depuis-la-dissolution-de-l-assemblee-nationale-le-lent-crepuscule-d-emmanuel-macron_6423144_823448.html

Lyrique: Stravinsky dans la pente fatale d’Olivier Py

Une mise en scène carrément hideuse !


Naturalisé Américain depuis 1945, le compositeur de L’Oiseau de feu (1910), de Petrouchka  (1911) et du Sacre du printemps (1913) s’est établi à Los Angeles. En 1951, année de la création de l’opéra The Rake’s Progress à la Fenice de Venise, Stravinsky (1882-1971) n’est plus de toute première jeunesse.  Dans la mouvance de ce qu’il est convenu d’appeler le « retour à l’ordre », le vieux Russe blanc orthodoxe natif de la septentrionale Oranienbaum, politiquement marqué à droite dans l’entre-deux guerres, a fait retour de longue date vers le courant néo-classique, s’incorporant tout autant dans l’esthétique baroque que le style italo-mozartien, dans un syncrétisme qui régénère non sans génie les archétypes de la tradition lyrique.  

Dans un des textes du programme qui accompagne l’actuelle reprise de The Rake’s Progress à l’Opéra-Bastille dans cette première mise en scène d’Olivier Py pour l’Opéra de Paris, millésimée 2008, le philosophe Jean-Marc Mouillie rappelle qu’en 1951, le jeune Pierre Boulez confiait à son ami John Cage la profonde détestation qu’il portait à cette partition : Stravinski, encore un effort pour être tout à fait moderne !

© Guergana Damianova – OnP

The Rake’s Progress : ce titre étrange mérite d’être explicité. Littéralement, « le progrès du râteau ». Mais comme l’explique Mouillie, Progress signifie plutôt, en langue anglaise classique, « pente fatale ». Et un Rake, c’est un « roué », un « débauché sans principe ».

En 1947, Igor Stravinsky, féru d’art plastique, découvre sur les cimaises de l’Art Institute de Chicago une suite de huit tableaux de William Hogarth (1697-1764) peints vers 1733-1734. Ils décrivent la carrière d’un libertin (ces toiles truculentes sont fort heureusement reproduites dans la brochure-programme de l’opéra). C’est le point de départ de la composition. Pour le livret, Stravinsky fait appel au célèbre poète W.H. Auden (1907-1973), lequel ne tarde pas à y associer son  ex-amant et mélomane Chester Kallman. La transposition s’enrichit de personnages décalés, tel ce grotesque Méphisto et cette repoussante femme à barbe baptisée Baba la Turque…

Dans ce joyau iconoclaste sous sa facture à dessein mélodiquement conventionnelle, à savoir sciemment référencée aux modèles anciens, on comprend bien que ce n’est pas le pastiche qui a pu attirer Olivier Py ; mais la force incoercible du désir charnel, l’attrait du péché, l’ambivalence sexuelle, le combat entre le bien et le mal, la rédemption…  Le problème, dans cette mise en scène, c’est qu’au lieu de fournir une lecture limpide (c’est-à-dire éclairante pour le spectateur) de cet opéra composite (qui croise le mythe de Faust et de Don Juan et culmine dans la folie et dans la mort), celle-ci, au prix d’une extrême laideur sur le plan visuel, se contente de percoler les sempiternelles obsessions et le goût pour la trivialité propres au scénographe. De là que travestissements, orgies, paillettes, numéros de cabaret, excentricités en string, se débondent dans un décor de poutres, de parois et d’encastrements de métal noirs, de néons flashy et de costumes luisants, sans compter la vidéo dont l’usage, en l’espace de 15 ans, a beaucoup vieilli, –  le tout carrément hideux, accessoires inclus.

N’était la baguette quelque peu aseptisée de la cheffe scandinave Susanna Mälkki – on aurait souhaité qu’elle dévale plus suavement la pente néo-classique – le casting des chanteurs pourrait sauver la mise : dans le rôle de l’héritier libertin et mégalo Tom Rakewell excelle vraiment le ténor américain Ben Bliss (entendu déjà l’an passé en Don Ottavio dans Don Giovanni à la Bastille) ;  le baryton-basse écossais Iain Paterson incarne superbement le diabolique Nick Shadow ; si la mezzo Jamie Barton manque parfois de coffre en Baba la Turque, la très belle soprano Golda Schultz, surtout, campe cette figure de l’amour vrai qui prend ici les traits de la bien-nommée Anne Trulove, avec charisme et infiniment de délicatesse vocale. Son alter ego Trulove est porté avec élégance par Clive Bayley, basse émérite qu’on avait pu encore admirer tout récemment à Paris dans l’opéra contemporain The Exterminating Angel.  


The Rake’s Progress. Opéra en trois actes d’Igor Stravinski. Avec Ben Bliss, Iain Paterson, Clive Bayley, Gloria Schultz, Jamie Barton…
Direction : Suzanna Mälkki. Mise en scène : Olivier Py.  Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.
Palais Garnier, les 4, 10, 12, 17, 23 décembre à 19h30. Le 8 décembre à 14h30
Durée : 3h05

Causeur: Boucs émissaires ou privilégiés? Chers fonctionnaires…

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Découvrez le sommaire de notre numéro de décembre


Pour les uns, c’est grâce aux fonctionnaires que la France est un pays où il fait bon vivre. Pour les autres, ils nous mènent à notre perte à force de bureaucratie, de paresse et de privilèges. Et si on arrêtait de voir les fonctionnaires comme un remède à tout et qu’on apprenait à s’administrer la bonne dose d’administration ? Comme le dit Elisabeth Lévy en présentant notre dossier : « Pour reformer en profondeur la machinerie qui gouverne la France, il faudrait commencer par débureaucratiser les esprits. Et pas seulement ceux des fonctionnaires. » Un des problèmes fondamentaux, selon Pierre Vermeren, c’est que l’État perd à la fois ses meilleurs serviteurs et son autorité. Mal payés (profs, médecins) ou parce qu’ils cèdent aux sirènes du privé (haute fonction publique), les fonctionnaires qui le peuvent quittent le navire, affaiblissant la culture du service public, le sens de l’État et celui de l’intérêt général. Certes, dans les hautes sphères administratives, tout le monde est convaincu que le millefeuille territorial et la fonction publique qui va avec nous coûtent un pognon de dingue. Cependant, comme le montre une enquête de Gil Mihaely, les élus locaux ont de solides arguments pour résister aux coups de laminoir envisagés à Paris. Et les fonctionnaires ont des défenseurs, comme Henri Guaino. Dans une tribune, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy s’érige contre les caricatures qui font porter le chapeau de la dette et de l’inertie françaises aux seuls agents publics. Causeur a invité Benjamin Amar, enseignant et porte-parole de la CGT du Val-de-Marne, à réfuter les critiques dont les fonctionnaires font l’objet, ce qu’il fait en dénonçant une charge libérale, voire « réactionnaire », fondée sur des éléments biaisés et caricaturaux, alors que dans bien des domaines, le service public est plus efficace que la gestion privée.

Le numéro 129 est disponible sur le kiosque numérique, et mercredi 4 décembre chez votre marchand de journaux !

En revanche, pour Benoît Perrin, directeur de Contribuables Associés, la véritable armée de fonctionnaires entretenue par le contribuable comporte de nombreux bataillons inutiles. Les politiques de décentralisation et le statut intouchable de ces employés ne cessent d’ajouter des couches à un millefeuille administratif déjà hypertrophié. Au détriment de la qualité du service public. Prenons le cas de la capitale que notre rédac’chef culture, Jonathan Siksou, connaît comme pas un. La mairie de Paris est tellement généreuse, avec l’argent des Parisiens, qu’elle ignore le nombre exact de fonctionnaires qu’elle entretient, et continue, chaque année, d’embaucher de nouvelles légions. Pour Stéphane Germain, la fonction publique n’acceptera jamais la réduction de ses effectifs. Protégé par la double barrière du corporatisme et du clientélisme, ce mammouth indifférent à l’intérêt général continue de s’empiffrer. Le dégraisser est une chimère, seul son équarrissement pourrait nous sauver. Enfin, Chloé Morin, l’ancienne directrice de la Fondation Jean Jaurès, se confiant à Jean-Baptiste Roques, maintient que c’est en déployant davantage de fonctionnaires sur le terrain et en réduisant la bureaucratie qu’on améliorera la qualité des services publics. Il faut surtout en finir avec une caste : la noblesse d’État qui gouverne l’administration.

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Dans son éditorial du mois, Elisabeth Lévy commente les résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS sur les « sexualités » en France, résultats qui font la joie des médias de gauche en montrant apparemment que les Français baisent correct : inclusif, égalitaire, sans tabous, sans culpabilité. Il semble que les Français fassent moins l’amour, cette réticence étant plus développée chez les femmes, et que la pénétration ait perdu son rôle primordial dans la jouissance. On serait également de moins en moins hétérosexuel, notamment chez les femmes. « Autrement dit, le lavage de cerveau néoféministe a convaincu ces demoiselles qu’en tout homme sommeille un violeur ». Cette réaction apparente contre les normes traditionnelles de la sexualité n’a eu pour conséquence que de créer une nouvelle doxa conformiste qui dénigre les rapports érotiques entre partenaires consentants : « La libération sexuelle sera pleinement réalisée quand on pourra se passer non seulement de l’autre sexe, mais de l’autre tout court. » Boualem Sansal est aujourd’hui l’otage d’un régime qui profite de nos lâchetés. Son ami Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire et professeur associé à l’université Paris-Sorbonne, nous exhorte tous à le soutenir car c’est à la fois un devoir moral et une nécessité vitale. Dans sa chronique, Emmanuelle Ménard passe en revue la colère des agriculteurs et des viticulteurs, les menaces de grèves à la SNCF pour les prochaines vacances, le budget en sursis et la motion de censure du gouvernement en perspective, pour conclure que c’est l’esprit de Noël made in France !

Boris Johnson était de passage à Paris à l’occasion de la publication de ses mémoires. L’ancien Premier ministre britannique a reçu Causeur pour évoquer le Brexit, la politique migratoire de ses successeurs et l’importance de la culture classique pour notre identité européenne. Sans oublier ses relations avec Emmanuel Macron et la sagesse de la reine Elizabeth… L’élection de Donald Trump représente-t-elle une aberration dans l’histoire des États-Unis ou constitue-t-elle un tournant politique majeur ? Pour John Gizzi, le correspondant permanent de la chaîne d’information continue Newsmax à la Maison-Blanche, cet événement décoiffant est d’abord la marque d’un pays pragmatique. Qui est responsable de la perte d’influence de la France au sein de l’Union européenne ? La France elle-même, selon Noëlle Lenoir, ancienne ministre chargée des Affaires européennes. Vu depuis Paris, Bruxelles n’est qu’un lot de consolation pour politiques en mal de circonscription, et nos députés brillent par leur absentéisme. Quant à nos fonctionnaires qualifiés, ils sont négligés, et ne sont donc pas promus.

Deux ans après avoir quitté le gouvernement, Jean-Michel Blanquer publie un livre pour défendre son bilan à l’Éducation nationale et répondre aux attaques contre sa réforme du bac. Dans une discussion avec Barbara Lefebvre animée par Jean-Baptiste Roques, il dénonce aussi le « machiavélisme à la petite semaine » d’Emmanuel Macron… Estelle Farjot et Léonie Trebor nous parlent du cas d’Elias d’Imzalène, ce militant islamiste qui a appelé à l’intifada dans les rues de Paris devant le gratin LFI, et qui a tranquillement récidivé face à l’OSCE, cénacle censé œuvrer à la sécurité en Europe. Quel est le bilan de Javier Milei, élu à la tête de l’Argentine il y a un an ? Pour Charles Gave, auteur du bestseller Cessez de vous faire avoir et actionnaire de Causeur, l’ancien professeur d’économie a appliqué méthodiquement son programme ultra-libéral. Résultat : l’inflation s’est effondrée, les loyers ont baissé, la monnaie s’est renforcée et le budget est aujourd’hui excédentaire.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: In gode we trust

Nos pages culture s’ouvrent sur un grand événement éditorial : la publication d’un épais volume de textes et d’entretiens d’Alain Finkielkraut dans la collection Bouquins. Selon Claude Habib, ces écrits démontrent la sûreté et la précocité de son jugement politique, ainsi que sa capacité à se frotter à ses contradicteurs. Le défenseur de l’identité et de la nation se double d’un grand styliste, et d’un ami véritable. La même auteure se confie à Céline Pina à propos de son propre livre, Le privé n’est pas politique, où elle dénonce la volonté des néoféministes de faire du foyer l’arène du combat entre l’homme forcément bourreau et la femme évidemment victime.

Georgia Ray nous raconte l’exposition « Figures du fou », actuellement au Louvre, qui constitue une remarquable réunion d’œuvres et d’objets retraçant cette physionomie de la déraison qui, profane ou religieuse, est un miroir tendu vers chacun. Leurs mines sont peut-être moins grotesques qu’au Moyen Âge, mais les fous et autres bouffons sont toujours parmi nous. De son côté, c’est de Notre-Dame ressuscitée que nous parle Pierre Lamalattie. Plus de cinq ans après son incendie, la cathédrale a rouvert ses portes début décembre. Le chantier de restauration a réveillé des savoir-faire ancestraux, révélé des trésors oubliés et relancé la querelle des anciens et des modernes. De quoi s’inquiéter, mais surtout s’émerveiller.

Driss Ghali a lu le nouveau livre de Sonia Mabrouk Et si demain tout s’inversait ? Si demain les Européens débarquaient massivement sur les côtes d’Afrique du Nord, s’adapteraient-ils aux mœurs de pays hôtes en se convertissant à l’islam ? Renieraient-ils leur identité, comme certains le font déjà dans leur propre pays ? Par esprit de sacrifice de soi, Emmanuel Tresmontant a visité les caves de Pol Roger à Épernay. Il s’agit de la plus petite des grandes maisons de champagne, mais qui cultive l’art d’assembler les cépages depuis le milieu du XIXe siècle, et a compté Winston Churchill parmi ses illustres clients.

Selon Ivan Rioufol, la révolution conservatrice est en marche. En France, les mouvements souverainistes précipitent l’enterrement du vieux monde macronien. Le gouvernement Barnier n’est pas sûr de passer l’hiver. La pensée automatique s’effondre, aspirée par le vide. C’est la revanche du réel. Enfin, Gilles-William Goldnadel ébauche un dictionnaire contemporain de la partialité médiatique et judiciaire en Occident, dictionnaire qui n’intéressera pas que les lexicologues et les philologues…

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In gode we trust

La presse s’est récemment réjouie des résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS indiquant que les Français font de moins en moins l’amour et rejettent de plus en plus les normes. Moins mais mieux ! assuraient nos journaux.


Dans les sacristies médiatiques, on a sablé le champagne. À en croire les résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS sur les sexualités en France – le pluriel étant gage d’ouverture –, la lumière progressiste se répand dans les alcôves. Les Français baisent correct : inclusif, égalitaire, sans tabous, sans culpabilité. Surtout les jeunes, particulièrement les jeunes femmes, pionnières dans l’art très académique de casser les codes, mais vous pouvez aussi trouver un godemiché dans le tiroir de votre grand-mère – en attendant le jour béni où il trônera sur la cheminée, entre une photo de mariage et une gondole en plastique. Cette sexualité privée de normes à profaner dans l’ombre du fantasme est un brin déprimante. La chair sans le péché, c’est moins excitant, enfin j’imagine, j’ai lu ça dans les romans. Dans la nouvelle génération, la mutation anthropologique a eu lieu. Elle veut revenir au paradis perdu, au monde sans mal et sans mâle. Le roman, c’est très dépassé.

Premier constat, relégué dans les coins : les Français font moins l’amour. En 1992, 8 % des hommes de 18 à 69 ans n’avaient eu aucun rapport sexuel dans l’année. Trente ans plus tard, ils sont plus de 18 %. Chez les femmes, la proportion d’abstinentes est passée de 14 à 23 %. Nos sociologues-évangélistes exultent : cette apparente baisse de la libido témoigne de « la moindre disponibilité des femmes », qui font moins l’amour pour faire plaisir. Faire plaisir à sa grand-mère en passant des vacances avec elle, c’est admirable, mais un petit coup pour faire plaisir à son coquin, c’est un viol conjugal – comme si l’appétit ne venait jamais en mangeant. Plus question de dire « non » en pensant « oui », les filles. Quant aux hommes, s’ils forniquent moins, c’est peut-être un peu parce que le chemin du lit au tribunal n’a jamais été aussi court. Ça leur laisse du temps pour méditer sur leurs mauvaises pensées.

Moins c’est mieux ! psalmodient les commentateurs extatiques. On change de partenaires, on multiplie les expériences, c’est la fête du slip tous les jours. On salue donc « la démocratisation de la pénétration anale (réalisée ou reçue) [sic] » et la généralisation du sexe oral. Nathalie Bajos, membre de l’équipe de recherche, constate que, « au sein des couples hétéros, les rapports sexuels ne se font pas juste autour de la pénétration vaginale ». Le Monde publie une enquête énamourée sur « ces couples qui préfèrent faire l’amour sans pénétration », avant-garde du monde sans tabous. Un certain Pierre y explique que la pénétration est « éprouvante, répétitive, presque mécanique ». Pour autant la bastille du coït reste à prendre : « le rapport sexuel pénétratif reste un cap important de l’entrée dans la vie sexuelle des jeunes », s’inquiète une autre chercheuse. La faute aux stéréotypes, déplore une troisième[1]: pour beaucoup de gens, « c’est la pénétration qui symbolise l’affectivité et l’entente au sein du couple ». N’allez pas imaginer qu’il y aurait là une survivance archaïque, un inconscient anthropologique qui établirait un lien entre sexualité et procréation.Ces temps obscurs où on était obligés de se frotti-frotter à l’autre sexe pour se reproduire sont heureusement révolus.

A lire ensuite: Claude Lelouch face à la meute

La bonne nouvelle valait bien une journée d’actions de grâces sur France Inter : l’hétérosexualité, c’est fini. Il ne m’a pas échappé que, dans la vie concrète, elle existe toujours, mais elle a perdu son statut de norme et perdra bientôt son mince privilège majoritaire. Malheureusement pour les lobbys spécialisés dans le pleurnichage victimaire, l’homosexualité est largement acceptée. Heureusement, la « transidentité » suscite toujours des réticences (on se demande pourquoi), ce qui permet aux chercheurs de communier avec les journalistes dans la dénonciation des discriminations qui perdurent.

Découvrant les avancées de la fluidité, l’éditorialiste de Libération ne se sent plus de joie : « Si les frontières géographiques menacent de se renforcer en cette décennie 2020 [si seulement !], celles entre les genres s’estompent. En 2024, on se sent plus libre qu’avant d’aimer une personne du même sexe. » Les femmes sont en avance : une sur cinq (mais près de 40 % des 18-29 ans) déclare ne pas être strictement hétérosexuelle, alors que chez les hommes, on est encore à un sur sept. « Dans un contexte de diffusion croissante des idées féministes, ces jeunes femmes s’orienteraient vers des trajectoires où les inégalités et la violence sont moins prégnantes », conclut une journaliste. Autrement dit, le lavage de cerveau néoféministe a convaincu ces demoiselles qu’en tout homme sommeille un violeur.

Que les hommes et les femmes puissent faire ce qu’ils veulent avec qui ils veulent est une excellente chose, même si un soupçon d’interdit ne nuit pas. Chacun fait ce qui lui plaît, chacun est ce qui lui plaît. Sauf que cette absence de normes est terriblement normative – soyez cool, soyez fluides, soyez vous-même, homme, femme, « autre ». Pas sûr que ces injonctions à la déconstruction soient moins pesantes que les anciennes injonctions au mariage bourgeois avec papa-dans-maman le samedi soir.

« Il n’y a pas de rapport sexuel », disait Lacan. Les chercheurs notent avec satisfaction les progrès foudroyants de la masturbation, à laquelle trois quarts des femmes et 93 % des hommes reconnaissent s’adonner. Mais si on peut tant se donner du plaisir que faire des enfants tout seul, pourquoi s’infliger les tourments et chichis de la relation ? La lutte continue camarades ! La libération sexuelle sera pleinement réalisée quand on pourra se passer non seulement de l’autre sexe, mais de l’autre tout court.


[1] Cette équipe de recherches ne semble pas très paritaire, en tout cas, ce sont les femmes qui causent

Jean-Christophe Rufin sur Boualem Sansal: «Le silence n’a jamais rien arrangé»

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Jean-Christophe Rufin a soutenu la semaine dernière la candidature de Boualem Sansal à l’Académie française comme moyen symbolique de demander sa libération, mais l’initiative n’a pas abouti.


Causeur. Vous avez proposé à vos pairs de l’Académie française d’élire Boualem Sansal à un fauteuil vacant en utilisant une procédure exceptionnelle. Pourquoi ? 

Jean-Christophe Rufin. Boualem est quelqu’un que nous connaissons et que nous aimons. Nous l’avons distingué par deux fois dans le passé en lui décernant le Grand Prix de la francophonie, et le Grand prix du roman pour 2084. C’est un éminent défenseur de la langue et de la culture françaises.

Et par ailleurs, qui d’autre peut le défendre ? Pas les politiques car leurs interventions ne font qu’aggraver les choses, et pas non plus les diplomates puisqu’il est précisément la victime d’une crise diplomatique entre la France et l’Algérie. Donc, c’est aux artistes, aux écrivains, aux intellectuels de le faire.

Etait-ce pour la beauté du geste ou pensez-vous que son élection aurait pu avoir un effet protecteur ?

Il y aurait eu deux effets possibles. Le premier, c’était de prolonger le soutien et l’intérêt pour le sort de Boualem Sansal. Il y a eu des pétitions, des appels, c’est très bien mais très éphémère, il y a toujours un moment où ça s’essouffle parce que la roue de l’actualité tourne. Son élection aurait inscrit les choses dans la durée. D’autre part, c’est un homme seul, dans sa geôle ou dans son hôpital. Il est important qu’il sache qu’il appartient à une famille, à une communauté, qui bénéficie de la protection statutaire du président de la République. C’est donc une manière supplémentaire d’affirmer le soutien de la France dans la durée et de montrer que notre défense de la francophonie, notamment à travers nos très nombreux prix, que notre soutien ne s’arrête pas le jour où un auteur francophone est en prison.

Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas été suivi, puisque votre proposition a été refusée par 13 voix contre 6. Pourquoi ?

Tout d’abord, le débat a fait apparaître une unanimité de principe sur la nécessité de soutenir Boualem Sansal. D’ailleurs, jeudi, la cérémonie de remise des prix de l’Académie lui sera dédiée et commencera par un hommage solennel. C’est sur les méthodes que nous avons eu des divergences profondes. Ma proposition de l’élire n’a pas été retenue, une majorité des académiciens présents craignant que nous aggravions la situation. Je n’y crois pas car sa situation est déjà très grave, mais cet argument est légitime.

A lire ensuite, Elisabeth Lévy: Français et Algériens: séparés par un passé commun

Vous n’en êtes pas moins déçu par ce refus. Avez-vous trouvé vos pairs trop prudents, trop soucieux de ménager la chèvre et le chou ?

Disons qu’il y a des différences de tempéraments. Le mien, c’est de dire qu’il faut agir et voir ce qui se passe. L’histoire se fait comme ça, on ne peut pas toujours avoir des garanties a priori qu’une décision n’aura pas d’effets pervers. Beaucoup ne voient pas les choses ainsi. On ne peut pas nier qu’il y a une certaine pesanteur de l’institution qui n’est pas habituée à agir dans l’urgence, c’est le moins qu’on puisse dire. Peut-être aussi, un certain souci de bienséance qui est souvent légitime mais qui devrait parfois s’effacer quand l’heure l’exige. Par ailleurs, il faut noter que nous étions assez peu nombreux et que beaucoup d’académiciens qui étaient sur ma ligne n’étaient pas là, ce qui a un peu déséquilibré les choses. Cela dit, la majorité était très nette.

Vous avez été diplomate. D’après votre expérience, faire du raffut peut-il être utile dans ces cas-là ?

Le réflexe du Quai, dans les affaires de prise d’otages, c’est toujours de demander le silence. Mon expérience, c’est que le silence n’a jamais rien arrangé. La pression médiatique, en revanche, peut souvent faire avancer les choses. N’oubliez pas que pour l’Algérie, se joue aussi une question d’image. Après tout, il y a certainement au sein du pouvoir algérien des gens qui n’ont pas envie que leur pays apparaisse trop clairement comme une dictature. C’est pour l’avoir dit que Boualem Sansal est en prison, ce qui lui donne cruellement raison.

Le problème c’est qu’en général les preneurs d’otage réclament quelque chose. Nous n’allons pas reconnaître l’algérianité du Sahara occidental pour libérer Boualem Sansal…

Certes, mais il y a beaucoup d’autres paramètres sur lesquels on peut jouer : les visas, les relations commerciales, la coopération économique et sécuritaire. Nous avons tellement de liens avec l’Algérie que, même s’il n’y a pas de monnaie d’échange évidente, nous avons les moyens de les faire bouger. D’ailleurs, ils s’en sont pris à un symbole, c’est peut-être une manière de ne pas toucher à des intérêts plus fondamentaux.

Finalement, à quoi sert l’Académie si elle n’est pas capable d’un coup d’éclat pour faire libérer un écrivain…

L’Académie française n’est pas une ONG et elle ne l’a jamais été. C’est une institution culturelle dont la vocation est d’exprimer la reconnaissance du pays pour ses écrivains et, au-delà, pour tous les créateurs francophones. Peu de pays donnent ainsi un statut officiel à leurs écrivains. Notre premier moyen d’action, ce n’est pas le dictionnaire qui est une façon d’affirmer une continuité historique, puisque c’était la première mission de notre compagnie. Aujourd’hui, notre levier d’action principal ce sont les prix que nous décernons, des Grands prix dans tous les domaines de la création francophone. Ne soyez pas trop dure : avec ses défauts, l’Académie française est utile au rayonnement de la France et de la langue française.

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«En quoi consiste le mal français?»: le regard d’une économiste franco-britannique sur les tourments de notre pays

« Les Français ne le méritent pas », aurait confié Brigitte Macron à l’actrice Arielle Dombasle au sujet d’Emmanuel Macron, selon une indiscrétion du Monde. Ce qui est certain, c’est que le niveau de défiance populaire vis-à-vis des élites est particulièrement élevé en France. L’universitaire franco-britannique Brigitte Granville enquête pour savoir pourquoi, dans un livre.


Française d’origine, économiste de formation universitaire, Brigitte Granville est professeur d’économie au Queen Mary College de l’Université de Londres. Son ouvrage What Ails France, publié en 2021 en anglais, est passé presque inaperçu de ce côté-ci du Channel. C’est bien dommage, car l’ouvrage, qui est richement documenté et solidement étayé (les références bibliographiques occupent pas moins de trente pages), est susceptible d’intéresser tous ceux qui, dans notre pays, s’intéressent à la chose publique.

Dans la préface de son ouvrage, Brigitte Granville fait référence de manière explicite à l’ouvrage d’Alain Peyrefitte, Le mal français, publié en 1976, dont elle entend prolonger, approfondir, et actualiser la réflexion. Depuis la publication de l’ouvrage de l’ancien ministre, est intervenu le passage à l’euro, et le livre, écrit peu de temps après le mouvement des gilets jaunes et pendant la crise sanitaire, s’attache à mettre en évidence les causes profondes de nos difficultés économiques sans céder au politiquement correct : « Ceux qui expriment de la sympathie pour les doléances des Gilets jaunes sont traités comme de dangereux hérétiques qui mettraient en péril une formule éprouvée pour atteindre et préserver la prospérité. Mais le silence imposé dans les rangs, ainsi que la souffrance indicible engendrée par le fait d’être traité de « populistes », ne peuvent qu’aggraver les choses. Mon objectif, en écrivant cet ouvrage, est de rompre avec ce silence, ce que je considère comme une condition nécessaire pour pouvoir identifier des solutions à la stagnation et au désespoir. »

Brigitte Granville contre les petits hommes gris

La première partie de l’ouvrage est intitulée « La République des technocrates ». L’auteur y décrit une oligarchie étatique, dont le noyau dur est constitué des hauts fonctionnaires appartenant aux « grands corps » et issus des « grandes écoles ». Cette oligarchie, qui constitue une particularité française et dont le seul mérite est d’avoir réussi des concours difficiles à l’âge de 20 ou 25 ans, lui apparaît comme largement déconnectée des réalités, conformiste, peu créative et peu habituée à travailler collectivement. Elle est sourde aux aspirations et cris de douleur du peuple et des entreprises, se trouve désemparée lorsque des révoltes surviennent, et résiste activement à son remplacement par des élites plus capables. Elle s’efforce d’étendre sa sphère d’influence au-delà du secteur public, en accaparant des postes clés dans les grandes entreprises, souvent avec des résultats calamiteux : Brigitte Granville rappelle les désastres du Crédit Lyonnais, Alstom, Vivendi, France Télécom… Les allers et retours entre le public et le privé (pantouflage et rétro-pantouflage) sont en outre porteurs de conflits d’intérêts. Le propos n’est pas forcément très original (à ce sujet, voir Bourdieu 1989, ou encore – plus récemment – Coignard et Guibert, 2012), mais il est étayé avec force exemples. Il en résulte un fonctionnement médiocre de l’administration et des services publics, qui est évidemment un problème en soi. Mais en outre, le niveau de confiance vis-à-vis des institutions est particulièrement bas en France, et Brigitte Granville considère que l’existence de cette oligarchie étatique, compte tenu de ses positions acquises et de l’immunité dont elle bénéficie face à ses échecs, ne peut que contribuer largement à cet état de fait. Or, souligne-t-elle en s’appuyant sur des recherches récentes en la matière (notamment Algan, Cahuc et Zylberberg, 2012), l’absence de confiance est éminemment préjudiciable au bon fonctionnement économique.

Brigitte Granville contre la monnaie unique

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’euro. Brigitte Granville convoque la théorie des zones monétaires optimales, pour montrer – à la suite de nombreux économistes américains et aussi européens – que la monnaie unique, dans une Europe où la mobilité des travailleurs est entravée par des dissensions linguistiques, ne peut pas fonctionner. Elle dresse l’analogie avec l’étalon-or, auquel de nombreux pays développés sont restés « accrochés » durant la première moitié des années trente, prolongeant et amplifiant ainsi la crise économique issue du krach de 1929. Dans les deux cas, le renoncement à l’instrument monétaire qui va de pair avec la fixité des changes obligeait et oblige à mener des politiques de déflation interne (i.e. de baisses des salaires et de pertes de pouvoir d’achat…) pour restaurer une compétitivité dégradée, ce qui ne pouvait – ne peut – qu’enclencher une spirale récessive. Brigitte Granville s’étonne à juste titre que le débat sur la question de l’euro soit tabou au sein de la profession économique en France, alors qu’en Amérique du nord et au Royaume Uni de nombreux économistes – et parmi eux un grand nombre de prix Nobel – ont clairement pris position contre l’euro. Pour Brigitte Granville, il ne saurait y avoir de restauration durable des équilibres économiques internes en France (et dans les autres pays de la zone euro, qu’ils soient excédentaires comme l’Allemagne ou déficitaires comme les pays de l’Europe du sud) sans rompre avec la monnaie unique.

A lire ensuite: Viande contre bagnoles

La France malade de son jacobinisme

La troisième partie est intitulée « l’utopie de l’état-nation ». Comme le titre de cette partie l’indique, l’auteur y aborde la centralisation administrative excessive de notre pays (le jacobinisme), mais aussi les multiples fractures – géographiques et sociales – qui minent le pays, ainsi que le poids excessif des dépenses publiques. Pour justifier son existence, l’oligarchie d’état s’emploie sans cesse à engager de nouvelles dépenses publiques, ce qui conduit à augmenter les impôts et à laisser s’accroître la dette publique. S’appuyant notamment sur les travaux de Jérôme Fourquet et de Christophe Guilluy, l’auteur note que la fracture géographique qui traverse notre pays n’est plus entre « Paris et le désert français », mais entre les grandes métropoles d’un côté, où logent les élites qui tirent parti de la mondialisation, et les zones rurales péri-urbaines et plus éloignées, de plus en plus privées des services publics de proximité et où sont concentrés les « travailleurs pauvres » – qui n’ont toutefois pas l’heur d’être assez pauvres pour pouvoir bénéficier des aides sociales. La fracture géographique se double d’une fracture éducative : les élites ne se préoccupent guère du naufrage de l’Education nationale parce que leur capital social et financier leur permet d’échapper largement aux contingences de la carte scolaire. L’OCDE, au fil des classements PISA, signale d’ailleurs que le milieu d’origine a un impact sur la réussite scolaire des enfants plus déterminant en France que dans les pays comparables.

La quatrième partie de l’ouvrage se penche sur les réformes du marché du travail engagées par le président Macron durant son premier quinquennat : assouplissements du Code du travail, réduction de la durée et du montant d’indemnisation au titre de l’assurance chômage, tentative d’instaurer un système de retraites universel par points… Ces réformes ont été présentées par M. Macron comme inspirées des pratiques des pays du nord de l’Europe, alors qu’à bien des égards le mode de régulation du marché du travail dans les pays scandinaves est à l’inverse de la façon de faire du pouvoir macroniste : Brigitte Granville relève qu’en Suède par exemple, il est plus compliqué qu’en France de licencier une personne, et dans tous les pays scandinaves le chômage est indemnisé plus généreusement qu’en France. Surtout, les macronistes ont tenté sur tous ces sujets de passer en force (en ayant recours à l’article 49-3 de la Constitution ou par décret, selon les cas), alors que les mesures ayant trait au fonctionnement du marché du travail sont prises dans les pays scandinaves en étroite concertation avec – et avec l’implication des – partenaires sociaux. Pour Brigitte Granville, puisque l’objectif était de relever le taux d’activité des travailleurs potentiels et que le problème réside à ses yeux dans l’inadéquation des formations proposées par l’Education nationale aux besoins de main d’œuvre exprimés par les entreprises, le gouvernement aurait été bien inspiré de faire porter ses efforts sur le système éducatif et sur l’apprentissage.

La cinquième et dernière partie traite des nouvelles technologies de l’information et de la communication, ce que l’auteur appelle « l’économie de la connaissance ». La culture managériale française, très verticale et centralisée, qui encourage peu le travail en équipe et décourage le jaillissement des idées originales surtout si elles sont risquées, est aux yeux de l’auteur a priori peu propice à des succès dans le domaine des nouvelles technologies, un point qui avait d’ailleurs été souligné dès les années 1980 par l’universitaire américain John Zysman. Brigitte Granville entrevoit toutefois une lueur d’espoir en la matière avec la création des « écoles 42 », sous l’impulsion de Xavier Niel, écoles qu’elle qualifie de modèle d’école anti-jacobine par excellence.

Certains pans de l’analyse, dans l’ouvrage de Brigitte Granville, peuvent prêter à discussion. Néanmoins, au total, l’ouvrage de Brigitte Granville balaye large et profond, et fournit des pistes intéressantes pour approfondir la réflexion. On ne peut donc qu’en recommander chaudement la lecture à tous ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare.


Granville Brigitte (2021) : « What Ails France? », Mc-Gill Queen University Press.

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Autres références :

Algan Yann, Pierre Cahuc et André Zylberberg (2012) : « La fabrique de la défiance… Et comment s’en sortir », éd. Albin Michel ;

Bourdieu Pierre (1989) : « La noblesse d’état », Les éditions de Minuit ;

Coignard Sophie et Romain Guibert (2012) : « L’oligarchie des incapables », éd. Albin Michel ;

Tribalat Michèle (2010) : « Les yeux grand fermés», éd. Denoël.

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La Syrie en pleine tourmente: la bataille d’Alep et le rôle central du mouvement HTS

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La stratégie du dirigeant syrien Bachar al-Assad est mise à mal par les succès récents des islamistes radicaux de Hayat Tahrir Al-Cham. Analyse.


La Syrie, théâtre d’un conflit prolongé, connaît une nouvelle escalade avec la prise récente de plusieurs quartiers d’Alep et l’avancée vers le centre du pays des rebelles menés par Hayat Tahrir al-Cham (HTS). Cette offensive marque un tournant dans la guerre civile syrienne, remettant en lumière les divisions internes du pays et les jeux d’influence régionaux et internationaux.

Hayat Tahrir al-Cham, ou HTS, est l’une des forces rebelles les plus influentes et les mieux organisées en Syrie. Ce groupe islamiste armé, issu de la fusion de plusieurs factions, dont le Front al-Nosra (ancienne branche syrienne d’Al-Ǫaïda), a su s’imposer comme un acteur incontournable dans le nord-ouest du pays. Fondé en 2017, HTS a cherché à se distancier d’Al-Ǫaïda pour élargir sa base de soutien. Bien qu’adhérant à une idéologie salafiste-jihadiste prônant un État islamique régi par la charia, le groupe se démarque de Daech en adoptant une stratégie plus pragmatique. Hayat Tahrir al-Cham est basé et domine principalement la province d’Idlib, située à la frontière avec la Turquie, à l’ouest d’Alep. Cette région est devenue l’ultime bastion des groupes rebelles opposés au régime de Bachar al-Assad. À son apogée, Idlib a accueilli des millions de civils, dont beaucoup de déplacés des régions reprises par le régime syrien.

Déplacements de population permanents

Rapidement, les factions rebelles ayant trouvé refuge dans la province s’affrontent pour le contrôle de la région. Pendant ces luttes internes, le mouvement HTS émerge et finit par s’imposer comme le groupe dominant. Entre 2018 et 2020, le régime syrien, avec le soutien aérien de la Russie, lance une série d’offensives pour reprendre Idlib, provoquant des déplacements massifs de population. Ces offensives aboutissent à des accords de cessez-le-feu, négociés principalement entre la Turquie et la Russie au début de la crise du Covid-19, qui permettent de réduire temporairement les hostilités sans instaurer une paix durable.

Depuis lors, Idlib reste partiellement sous le contrôle des rebelles, principalement HTS, tandis que les zones périphériques sont tenues par le régime syrien. Le cessez-le-feu, bien que fragile et régulièrement violé, demeure en place. La région reste un point de tension géopolitique majeur, impliquant directement la Syrie, la Russie, la Turquie, ainsi que, dans une moindre mesure, les forces kurdes.

Dans cette région, HTS gère des institutions civiles via le Gouvernement de salut syrien, une entité qui collecte des taxes, administre les services publics et supervise des milliers de combattants bien entraînés. Ces capacités militaires et organisationnelles sont illustrées par leurs performances sur le terrain ces cinq derniers jours. Cette structure semi-étatique aurait permis à HTS de financer ses activités et de coordonner des offensives majeures, comme celle d’Alep.

La récente prise de quartiers stratégiques d’Alep, incluant son aéroport international, constitue une avancée majeure. Cette offensive, minutieusement planifiée et habilement exécutée, a pris de court le régime syrien et ses alliés, révélant des failles structurelles persistantes dans leur contrôle territorial. HTS a su exploiter ces vulnérabilités avec une grande habileté, en s’appuyant sur une fine compréhension du contexte régional.

Timing

Plusieurs facteurs expliquent le timing de cette offensive. Dans un contexte large, l’affaiblissement du régime syrien aurait permis d’envisager une offensive pour casser le statut quo. Gangréné par la corruption et incapable de relancer l’économie ou de reconstruire le pays, le régime de Bachar al-Assad est à son point de faiblesse le plus critique depuis des années. Cet affaiblissement est aggravé par la réduction de l’implication militaire russe, la Russie étant focalisée sur le conflit ukrainien, les frappes israéliennes répétées visant les infrastructures du Hezbollah en Syrie, et, enfin, par la réorganisation des milices iraniennes, moins coordonnées qu’auparavant, limitant leur capacité à défendre efficacement le régime syrien.

La Turquie semble avoir abandonné l’approche diplomatique après l’échec des négociations avec Damas. Face au refus syrien de parvenir à un accord, Ankara a opté pour une stratégie de pression militaire, cherchant à forcer un changement par la dynamique des combats. Par ailleurs, la crise des réfugiés syriens pèse lourdement sur la Turquie, incitant le président Erdogan à accélérer les efforts pour créer des conditions favorables à un éventuel retour de ces populations en Syrie.

Finalement une fenêtre d’opportunité s’est ouverte par la fin récente du conflit entre Israël et le Liban, qui a laissé le Hezbollah affaibli, réduisant momentanément son influence militaire en Syrie. De plus, l’Iran, déjà confronté aux revers subis par ses alliés régionaux – notamment le Hamas et la milice chiite libanaise – semble sur la défensive, luttant pour maintenir la cohésion de son « axe de résistance ». Ces développements ont offert à HTS une opportunité unique de lancer son offensive dans un contexte où ses adversaires étaient affaiblis ou distraits.

Cette offensive n’aurait probablement pas été possible sans un soutien logistique externe, vraisemblablement fourni par la Turquie. Bien que la Turquie considère officiellement le mouvement HTS comme une organisation terroriste, Ankara maintient une relation ambiguë avec le groupe. En tolérant ses actions et en fournissant un soutien indirect dans le cadre d’intérêts communs, la Turquie aurait contribué au développement des capacités déployées par le HTS sur le champ de bataille. La liquidation des poches kurdes au nord d’Alep ces derniers jours pourrait illustrer les contours d’un possible « deal » entre le président Erdogan et le chef de HTS, Abou Mohammed al-Joulani.

La Russie intensifie actuellement ses bombardements

Cependant, après le choc initial et la déroute des forces loyalistes – qui ont perdu non seulement Alep, mais également plusieurs bases aériennes et le contrôle stratégique de l’autoroute M5 reliant Damas à Alep – le régime syrien semble reprendre l’initiative. Soutenu par l’Iran, qui a déjà dépêché des milliers de miliciens, et par la Russie, dont l’aviation intensifie les bombardements contre les forces rebelles et leurs bases arrière, le président Assad mobilise actuellement ses troupes pour tenter de stopper l’offensive du HTS et de rétablir le contrôle sur les territoires perdus.

Les Iraniens sont très impliqués dans la gestion de la crise. Leur diplomatie est à la manœuvre pour trouver un compromis entre MM. Assad et Erdogan et le corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI)  – qui aurait perdu déjà l’un de ses généreux dans les combats – est présent sur le terrain pour coordonner les opérations sur le terrain.

Pour l’instant, un grand perdant se dessine : Bachar al-Assad. À minima, le président syrien risque de perdre davantage de territoires, de pouvoir et de recettes. Cette situation fragilise encore plus son régime, déjà affaibli par plus d’une décennie de guerre civile et les sanctions internationales.

Quant aux potentiels gagnants, ils sont principalement deux : Israël et la Turquie. Pour Israël, la crise pourrait réduire significativement le rôle de la Syrie dans l’axe de la résistance, affaiblissant ainsi sa capacité à servir de base arrière et logistique pour le Hezbollah. Une telle éventualité serait très positive pour l’Etat hébreu, mais aussi pour le Liban, en réduisant les risques de confrontation transfrontalière.

La Turquie, pour sa part, a déjà repoussé les Kurdes plus à l’ouest, réduisant ainsi la menace que représente pour elle l’autonomie kurde dans le Rojava. De plus, Ankara dispose désormais d’une force capable d’influencer les rapports de force, non seulement avec Damas, mais aussi avec les Kurdes syriens. Cette position renforce le levier turc dans la région, tant sur le plan militaire que politique.

Pour l’Iran, la situation est plus incertaine. Téhéran pourrait tirer parti de la crise pour renforcer son emprise sur la Syrie, mais cette ambition est conditionnée par la viabilité de ses alliances. Sans le Hezbollah, son plus précieux allié dans la région, le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) se retrouverait affaibli sur le plan opérationnel et stratégique.

Enfin, la Russie se trouve dans une position délicate. Si elle n’a pas grand-chose à gagner, elle a en revanche beaucoup à perdre. La crise syrienne, désormais une préoccupation secondaire pour Moscou, détourne des ressources et de l’attention au détriment du front ukrainien, où la situation est plus critique pour le Kremlin. Par ailleurs, la Turquie s’impose comme un acteur de plus en plus influent en Syrie, affaiblissant indirectement la position russe. À plus long terme, Moscou pourrait même voir ses bases stratégiques en Syrie – navale à Tartous et aérienne à Hmeimim – menacées. Ses investissements économiques dans l’exploration de pétrole et de gaz en Syrie, notamment dans les régions de Tartous, Damas et le nord-est du pays, pourraient également être compromis si le contrôle territorial de ses alliés faiblit davantage.

Les Kurdes syriens se retrouvent dans une position précaire, coincés entre le régime de Bachar al-Assad, le HTS, et la Turquie. Si le HTS, à travers sa communication, semble vouloir apaiser les tensions en affirmant ne nourrir aucune hostilité à leur égard, les Kurdes, marqués par une longue histoire de méfiance, demeurent sur leurs gardes. Leur méfiance est justifiée : ayant déjà perdu leurs bastions autour d’Alep, ils savent que leur survie est menacée, notamment face à l’agressivité de la Turquie. Dans ce contexte, ils ne peuvent se permettre de tourner le dos au régime syrien tant qu’ils n’ont pas la certitude de sa chute…

Une grande question demeure : jusqu’où HTS est-il prêt à aller, et que cherche-t-il réellement à accomplir ?

La stratégie actuelle du mouvement islamiste repose sur plusieurs axes.

Si le discours nationaliste et les déclarations des responsables des rebelles insistent sur l’idée que « nous sommes tous Syriens », affichant une volonté apparente de rassembler les différentes communautés sous une bannière commune, la réalité sur le terrain semble bien plus complexe.
Les milices du HTS, malgré leur rupture officielle proclamée avec le djihad mondial – visant à se démarquer de Daech et d’Al-Qaïda –, affichent des comportements qui contredisent ce positionnement. En pratique, certains de leurs groupes continuent de cibler ici et là des communautés, notamment des kurdes.
Cette posture ambiguë est exacerbée par une volonté de vengeance particulièrement dirigée contre les Alaouites et les Kurdes, accusés par le HTS d’être au service du régime de Bachar al-Assad.
Ces actions sur le terrain contredisent souvent les discours rassembleurs promus dans les médias, révélant un décalage entre la communication officielle et les dynamiques locales.
Malgré les efforts du HTS pour rassurer l’opinion, la méfiance prédomine. Peu d’acteurs locaux ou internationaux croient véritablement à ce changement idéologique. L’image du HTS reste profondément marquée par son passé, et ses assurances peinent à convaincre.

À ce stade, la majorité des parties prenantes préfèrent attendre l’évolution des rapports de force avant de s’engager pleinement. Elles observent avec prudence, cherchant à évaluer où penchera la balance pour éventuellement soutenir le camp victorieux, tout en maintenant leurs distances avec le HTS. De leur côté, les Kurdes adoptent une posture réservée, tentant de préserver ce qui reste de leur autonomie. Ils évaluent attentivement les alliances qui pourraient garantir leur survie face à des adversaires puissants, notamment la Turquie.

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Sainte Paresse, priez pour moi!

En villégiature studieuse à Roquebrune-Cap-Martin (il y a pire…), notre chroniqueur trouve le temps de s’émouvoir de l’omniprésence, dans l’hôtellerie et la restauration, de travailleurs immigrés italiens, venus en voisins, et de la difficulté extrême à recruter des Français. Xénophobe, va!


Tout le personnel de l’hôtel Victoria où la direction de Lecture en fête m’a logé est italien — et charmant, bien élevé, attentionné, parfaitement bilingue. Mais où sont les Français ?
Dans les cuisines des restaurants de ma ville natale — et qui est probablement, après de vastes détours, celle où je mourrai —, ce sont les Africains qui réalisent la bouillabaisse, les supions et l’aïoli. Des Français, nulle nouvelle.

L’Hotel Victoria, Roquebrune-Cap-Martin (06)

Je me suis enquis auprès des patrons des gargotes des raisons de leurs difficultés de recrutement local. « Refus de travailler après 19 heures, et pas plus de 35 heures par semaine. Ils veulent avoir leurs soirées pour batifoler avec leurs copains. Et ne pas sentir le graillon. »

Rééducation nationale !

L’une des raisons profondes de ce désintérêt des petits Français pour le travail salarié (« tous patrons ! » — disent-ils en se faisant de lourdes illusions sur le temps de travail des patrons) vient surtout du fait qu’on leur a distribué des diplômes à tire-larigot — « tous bacheliers ! Tous Licenciés » — et qu’ils croient avoir une qualité authentifiée par un parchemin à valeur nulle. À force de laisser passer en sixième des analphabètes, et de féliciter les analphacons pour leurs belles idées ; à force d’envoyer en seconde des collégiens qui devraient entrer tout de suite dans la vie active ; à force de donner le Bac, qui est toujours, en théorie, le premier diplôme du Supérieur ; à force d’obliger les enseignants du Supérieur à propulser dans l’année suivante des petits branleurs qui ne viennent assister au cours que bardés d’écouteurs de façon à rester en ligne et, comme ils disent, vivre avec leur temps, rien d’étonnant si l’on va chercher en Italie les gentils travailleurs qui nous font défaut.

Il faut remettre la France au travail, de la maternelle à la retraite. Et vite. Toute cette génération née depuis 2000, à quelques exceptions près, est perdue. Il est nécessaire de la rééduquer.

A lire aussi, du même auteur: Génération connards

S’il faut renouveler la classe politique (et il faut le faire), ce n’est pas dans les babyboomers cacochymes que nous trouverons un espoir — ni dans les p’tits jeunes dont la vocation profonde est de consommer des pizzas surgelées, vautrés dans leur canapé défraîchi, en triturant leur… télé-commande. J’ai dans l’idée que c’est dans la catégorie des 40-50 ans, une classe creuse qui jusqu’ici a été barrée par les Grands Anciens qui les ont précédés, que nous pouvons espérer trouver les chefs dont nous avons besoin. J’en connais.

Bonnes résolutions

Après la désastreuse Guerre du Péloponnèse, les Athéniens se voient imposer par le général spartiate vainqueur, Lysandre, trente « tyrans » (en fait, des magistrats qui ont composé un gouvernement oligarchique) qui ont redressé la ville en imposant un régime de terreur qui n’accorde les droits démocratiques qu’à 3000 de leurs partisans, et exécute les métèques, nombreux dans la cité. C’est à cette époque que Socrate, accusé de corrompre la jeunesse, est condamné à boire la ciguë.

On a bien fait. Critias (dans la réalité) et Calliclès (dans le Gorgias de Platon) ont raison contre les forces qui délitent le tissu national.

Les Romains se sont vaguement inspirés de cet épisode pour instituer la possibilité d’une dictature à durée limitée (puis illimitée) quand la patrie était en danger.

Et je vous le dis franchement. S’il faut suspendre les droits démocratiques des petits branleurs, faisons-le. S’il faut suspendre les droits des travailleurs étrangers qui ne travaillent pas (particulièrement ceux de leurs enfants qui revendiquent des racines illusoires pour ne rien foutre et agiter des drapeaux qui ne sont pas les leurs), faisons-le. Et s’il faut renvoyer en Algérie, ce doux pays où l’on met les écrivains en prison (avec la bénédiction de Samia Ghali, Benjamin Stora, Karim Zéribi et autres crapules stipendiées, à gauche, par les pétro-dollars des islamistes), en dénonçant l’accord de 1968 qui permet aux dirigeants malades de ce pays malade de venir se faire soigner en France tout en nous crachant à la gueule, eh bien faisons-le.

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Veolia: dégagisme woke à la tête du géant de l’environnement?

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Le management d'Estelle Brachlianoff, Directrice générale de Veolia, est critiqué. Image d'archives. Aubervilliers, mars 2023 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Depuis la fusion très politique de Veolia et Suez, le groupe semble naviguer en eaux troubles. Face à la féminisation à marche forcée de la direction, de nombreuses voix s’élèvent dans l’ombre pour dénoncer des dysfonctionnements pouvant mettre en péril la sérénité future du groupe. Informations exclusives.


Que se passe-t-il au sein de la vénérable maison Veolia depuis plusieurs semaines ? Selon des informations exclusives que nous avons pu recouper auprès de sources proches de la direction, la plupart des hauts cadres dirigeants de l’entreprise sont inquiets, tant la vague de « féminisation » des postes les plus importants semble gagner du terrain, portée par la directrice générale Estelle Brachlianoff qui a été nommée en 2022 après la fusion réussie avec Suez.

Un premier coup de semonce a été engagé il y a une dizaine de jours, alors que les couloirs du siège d’Aubervilliers bruissaient de l’arrivée possible d’Isabelle Quainon au poste ultra stratégique de Directrice des Ressources humaines, sans que n’y soit associé le conseil d’administration. Devant le tollé des cadres dirigeants puis la divulgation par « La Lettre » de cette candidature jugée par une majorité du management trop « clanique » et « autoritaire », la patronne de Veolia aurait finalement décidé de prendre un cabinet de chasseurs de tête, qui rassemble les candidatures potentielles, afin d’apaiser les tensions.

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Mercredi dernier, deuxième coup de tonnerre lorsque Estelle Brachlianoff convoque au milieu de la nuit un comité exécutif d’urgence pour le lendemain matin. Lors de ce dernier – qui dure moins d’une demi-heure – la patronne du groupe a sermonné les directeurs et les a sommés de « générer du cash pour près d’un milliard d’Euros » très rapidement. Mme Brachlianoff aurait été alertée sur l’état de la trésorerie du groupe, sur fond de baisse boursière généralisée du fait de la perspective de blocage du budget de la France.

Le siège de l’entreprise à Aubervilliers (93). DR.

Problème, la nouvelle Directrice financière du groupe Emmanuelle Menning n’est en poste que depuis plusieurs semaines, après que Brachlianoff a remplacé le très expérimenté Claude Laruelle, qui est désormais candidat pour prendre la tête des Aéroports de Paris. Or, sans générer de cash, le groupe n’a de cesse de creuser sa dette, diminuant sa capacité à verser les dividendes alors que le cours de bourse est très bas. Au sein du groupe, beaucoup se demandent jusqu’où cette vague de féminisation du leadership à marche forcée va-t-elle aller ? Brachlianoff ira-t-elle jusqu’à avoir la tête du « faiseur de roi » et président du Conseil Antoine Frérot ?

En interne, le style de management plus abrupt de la nouvelle direction suscite de nombreuses interrogations. Après les turbulences de la fusion avec Suez et les réorganisations successives, le géant de l’environnement est en quête d’apaisement social plus que de grands chambardements.

Progressistes cancelés

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DR.

Alors qu’en campagne électorale, le président Trump avait promis qu’il allait sommer les présidents d’universités de mettre fin à la propagande « antisémite » sur les campus, sous peine de geler les crédits, une enquête d’un site proche des Démocrates a mesuré le phénomène.


Depuis le 7-Octobre, on ne compte plus les manifestations en faveur de Gaza dans les universités aux États-Unis. Ou plutôt si : on les compte. Selon un sondage du site web Axios, proche du Parti démocrate, 8 % des étudiants américains ont participé en 2023-2024 à une ou plusieurs opérations propalestiniennes sur leur campus – blocages de faculté, installations sauvages de tentes de camping, arrachages de photos d’otages du Hamas… Parmi eux, poursuit Axios, 12 % forment une frange d’activistes purs et durs, pour ne pas dire antisémites, qui ne se bornent pas à contester la politique de l’État hébreu, mais déclarent carrément avoir de l’hostilité pour le peuple israélien.

Face à ce mouvement, certains établissements ont acheté la paix, comme Berkeley, en Californie, qui a annoncé à la rentrée l’ouverture d’un nouveau programme d’« études palestiniennes et arabes ». D’autres ont carrément obéi aux appels au boycott, telle la San Francisco State University (SFSU), qui vient de mettre un terme à toutes ses collaborations avec des entreprises américaines en contrat avec Tsahal. On aurait tort cependant d’imaginer que la complaisance du monde académique est générale. Selon la Foundation for Individual Rights and Expression (FIRE), ONG libertarienne peu suspecte d’islamo-gauchisme, on assiste même depuis un an dans les facultés américaines à une vague inédite de sanctions internes à l’encontre de militants propalestiniens. Cette fondation basée à Philadelphie édite un site web, baptisé « Scholars under Fire », où sont listés tous les processus disciplinaires ayant visé ou visant des universitaires pour cause de propos publics. Alors que depuis vingt ans, cette base de données était principalement remplie – wokisme oblige – d’« annulations » prononcées contre des professeurs conservateurs, la tendance s’est nettement inversée depuis quelques mois, avec, pour l’année 2024, au moins 50 démarches visant des enseignants de gauche – principalement pour leurs positions sur le Proche-Orient – contre une dizaine de droite. Il faut dire que certains cas sont indéfendables.

L’une des dernières affaires en date concerne une certaine Rupa Marya, professeur de médecine à l’Université de Californie à San Francisco (UCSF), qui, dans un tweet en septembre, a émis des réserves sur un de ses élèves du simple fait que celui-ci se trouve être un citoyen israélien ! Pour cette discrimination patente, l’enseignante a été suspendue de ses fonctions. On ne signale bien sûr aucun comportement comparable dans le camp adverse. C’est chez les « progressistes » que sévit aujourd’hui la forme intellectuelle et distinguée de l’essentialisme aux États-Unis.

Un président, ça se mérite

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Rabat, Maroc, 30 octobre 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Ciel, son mari! Brigitte Macron a le droit de dire ce qu’elle veut en privé. Et les Français ne sont pas de petites choses fragiles qu’il faudrait à tout prix « respecter »…


Une petite phrase de Brigitte Macron sur les Français enflamme les réseaux sociaux. Ce sont des propos rapportés par Le Monde que l’on trouve dans un long texte sur la solitude du président[1], lequel verrait actuellement nombre de ses anciens amis se détourner de lui, sans doute autant pour désaccords que parce qu’il ne peut plus rien leur offrir. Lors du voyage présidentiel au Maroc, Brigitte Macron aurait confié à Arielle Dombasle, l’épouse de Bernard-Henri Lévy : « Les Français ne le méritent pas ».

Indignation générale

Je n’y étais pas, et je ne peux donc pas confirmer ces propos. Le Monde non plus n’était vraisemblablement pas entre Mmes Macron et Dombasle… Mais, cela a évidemment suffit pour provoquer un véritable déchaînement numérique, un flot d’attaques souvent minables, haineuses, voire blessantes. Les réseaux sociaux, quoi ! En tout cas, rien à voir avec la critique politique.

À lire ensuite, éditorial: In gode we trust

D’abord, on ne sait pas si elle l’a dit. Donc, c’est un ragot. Et, même si elle l’a dit, ce sont des propos privés. Brigitte Macron n’a aucune fonction officielle et tient son rang qui n’existe pas avec beaucoup d’élégance. Elle dit ce qu’elle veut en privé. Ras-le-bol des journalistes qui se comportent comme la Stasi sous le beau prétexte d’informer ! Le respect de la vie privée est un pilier de la démocratie; Benjamin Constant parlait splendidement de la « jouissance paisible de l’indépendance privée ». Sur le fond, je n’entends pas un propos politique, j’entends surtout une femme qui défend son mari parce qu’elle souffre des attaques contre lui.

Cependant, est-ce que ça ne traduit pas une forme de déconnexion, voire de mépris ?

Pour une fois, je voudrais me mettre à la place des élus. Ce genre de remarque privée traduit peut-être aussi un sentiment d’injustice très partagé dans tous les camps politiques. Beaucoup d’élus ont le sentiment de se donner à fond pour le pays. Ils ne font peut-être pas la politique qu’on souhaiterait, mais ils travaillent dur et se lèvent tôt, alors qu’ils gagneraient plus et auraient une vie plus simple dans le privé. En prime, ils se font insulter et traiter de profiteurs à longueur de journées. Il faut comprendre ce sentiment d’injustice.

À lire aussi: Jean-Christophe Rufin sur Boualem Sansal: «Le silence n’a jamais rien arrangé»

Ceci étant, c’est vrai aussi, le pouvoir déconnecte. Montesquieu dirait peut-être que le pouvoir absolu déconnecte absolument. Par ailleurs, Emmanuel Macron est supérieurement intelligent et il le sait. Peut-être un peu trop… Convaincu qu’il sait mieux que les Français ce qui est bon pour eux, il enrage qu’ils ne s’en rendent pas compte. Cela prouve au demeurant que l’intelligence cérébrale ne suffit pas, pour gouverner, il faut aussi une intelligence charnelle qui fait sans doute défaut à notre jeune président. Le roi Salomon demandait à Dieu de lui donner un cœur intelligent. Quant au mépris, réel ou supposé, j’en ai un peu marre de ces pleurnicheries. Je ne veux pas que le président de la République me considère, ni qu’il m’aime, mais qu’il fasse une bonne politique pour le pays. Sur ce point, on a parfaitement le droit de critiquer durement Emmanuel Macron, et de lui dire qu’il a le peuple qu’il mérite. Mais comme aurait dit Pompidou, arrêtez d’emmerder Brigitte !


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin au micro de Sud Radio


[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/12/01/depuis-la-dissolution-de-l-assemblee-nationale-le-lent-crepuscule-d-emmanuel-macron_6423144_823448.html

Lyrique: Stravinsky dans la pente fatale d’Olivier Py

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The Rake's Progress 24-25 © Guergana Damianova - OnP

Une mise en scène carrément hideuse !


Naturalisé Américain depuis 1945, le compositeur de L’Oiseau de feu (1910), de Petrouchka  (1911) et du Sacre du printemps (1913) s’est établi à Los Angeles. En 1951, année de la création de l’opéra The Rake’s Progress à la Fenice de Venise, Stravinsky (1882-1971) n’est plus de toute première jeunesse.  Dans la mouvance de ce qu’il est convenu d’appeler le « retour à l’ordre », le vieux Russe blanc orthodoxe natif de la septentrionale Oranienbaum, politiquement marqué à droite dans l’entre-deux guerres, a fait retour de longue date vers le courant néo-classique, s’incorporant tout autant dans l’esthétique baroque que le style italo-mozartien, dans un syncrétisme qui régénère non sans génie les archétypes de la tradition lyrique.  

Dans un des textes du programme qui accompagne l’actuelle reprise de The Rake’s Progress à l’Opéra-Bastille dans cette première mise en scène d’Olivier Py pour l’Opéra de Paris, millésimée 2008, le philosophe Jean-Marc Mouillie rappelle qu’en 1951, le jeune Pierre Boulez confiait à son ami John Cage la profonde détestation qu’il portait à cette partition : Stravinski, encore un effort pour être tout à fait moderne !

© Guergana Damianova – OnP

The Rake’s Progress : ce titre étrange mérite d’être explicité. Littéralement, « le progrès du râteau ». Mais comme l’explique Mouillie, Progress signifie plutôt, en langue anglaise classique, « pente fatale ». Et un Rake, c’est un « roué », un « débauché sans principe ».

En 1947, Igor Stravinsky, féru d’art plastique, découvre sur les cimaises de l’Art Institute de Chicago une suite de huit tableaux de William Hogarth (1697-1764) peints vers 1733-1734. Ils décrivent la carrière d’un libertin (ces toiles truculentes sont fort heureusement reproduites dans la brochure-programme de l’opéra). C’est le point de départ de la composition. Pour le livret, Stravinsky fait appel au célèbre poète W.H. Auden (1907-1973), lequel ne tarde pas à y associer son  ex-amant et mélomane Chester Kallman. La transposition s’enrichit de personnages décalés, tel ce grotesque Méphisto et cette repoussante femme à barbe baptisée Baba la Turque…

Dans ce joyau iconoclaste sous sa facture à dessein mélodiquement conventionnelle, à savoir sciemment référencée aux modèles anciens, on comprend bien que ce n’est pas le pastiche qui a pu attirer Olivier Py ; mais la force incoercible du désir charnel, l’attrait du péché, l’ambivalence sexuelle, le combat entre le bien et le mal, la rédemption…  Le problème, dans cette mise en scène, c’est qu’au lieu de fournir une lecture limpide (c’est-à-dire éclairante pour le spectateur) de cet opéra composite (qui croise le mythe de Faust et de Don Juan et culmine dans la folie et dans la mort), celle-ci, au prix d’une extrême laideur sur le plan visuel, se contente de percoler les sempiternelles obsessions et le goût pour la trivialité propres au scénographe. De là que travestissements, orgies, paillettes, numéros de cabaret, excentricités en string, se débondent dans un décor de poutres, de parois et d’encastrements de métal noirs, de néons flashy et de costumes luisants, sans compter la vidéo dont l’usage, en l’espace de 15 ans, a beaucoup vieilli, –  le tout carrément hideux, accessoires inclus.

N’était la baguette quelque peu aseptisée de la cheffe scandinave Susanna Mälkki – on aurait souhaité qu’elle dévale plus suavement la pente néo-classique – le casting des chanteurs pourrait sauver la mise : dans le rôle de l’héritier libertin et mégalo Tom Rakewell excelle vraiment le ténor américain Ben Bliss (entendu déjà l’an passé en Don Ottavio dans Don Giovanni à la Bastille) ;  le baryton-basse écossais Iain Paterson incarne superbement le diabolique Nick Shadow ; si la mezzo Jamie Barton manque parfois de coffre en Baba la Turque, la très belle soprano Golda Schultz, surtout, campe cette figure de l’amour vrai qui prend ici les traits de la bien-nommée Anne Trulove, avec charisme et infiniment de délicatesse vocale. Son alter ego Trulove est porté avec élégance par Clive Bayley, basse émérite qu’on avait pu encore admirer tout récemment à Paris dans l’opéra contemporain The Exterminating Angel.  


The Rake’s Progress. Opéra en trois actes d’Igor Stravinski. Avec Ben Bliss, Iain Paterson, Clive Bayley, Gloria Schultz, Jamie Barton…
Direction : Suzanna Mälkki. Mise en scène : Olivier Py.  Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.
Palais Garnier, les 4, 10, 12, 17, 23 décembre à 19h30. Le 8 décembre à 14h30
Durée : 3h05

Causeur: Boucs émissaires ou privilégiés? Chers fonctionnaires…

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de décembre


Pour les uns, c’est grâce aux fonctionnaires que la France est un pays où il fait bon vivre. Pour les autres, ils nous mènent à notre perte à force de bureaucratie, de paresse et de privilèges. Et si on arrêtait de voir les fonctionnaires comme un remède à tout et qu’on apprenait à s’administrer la bonne dose d’administration ? Comme le dit Elisabeth Lévy en présentant notre dossier : « Pour reformer en profondeur la machinerie qui gouverne la France, il faudrait commencer par débureaucratiser les esprits. Et pas seulement ceux des fonctionnaires. » Un des problèmes fondamentaux, selon Pierre Vermeren, c’est que l’État perd à la fois ses meilleurs serviteurs et son autorité. Mal payés (profs, médecins) ou parce qu’ils cèdent aux sirènes du privé (haute fonction publique), les fonctionnaires qui le peuvent quittent le navire, affaiblissant la culture du service public, le sens de l’État et celui de l’intérêt général. Certes, dans les hautes sphères administratives, tout le monde est convaincu que le millefeuille territorial et la fonction publique qui va avec nous coûtent un pognon de dingue. Cependant, comme le montre une enquête de Gil Mihaely, les élus locaux ont de solides arguments pour résister aux coups de laminoir envisagés à Paris. Et les fonctionnaires ont des défenseurs, comme Henri Guaino. Dans une tribune, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy s’érige contre les caricatures qui font porter le chapeau de la dette et de l’inertie françaises aux seuls agents publics. Causeur a invité Benjamin Amar, enseignant et porte-parole de la CGT du Val-de-Marne, à réfuter les critiques dont les fonctionnaires font l’objet, ce qu’il fait en dénonçant une charge libérale, voire « réactionnaire », fondée sur des éléments biaisés et caricaturaux, alors que dans bien des domaines, le service public est plus efficace que la gestion privée.

Le numéro 129 est disponible sur le kiosque numérique, et mercredi 4 décembre chez votre marchand de journaux !

En revanche, pour Benoît Perrin, directeur de Contribuables Associés, la véritable armée de fonctionnaires entretenue par le contribuable comporte de nombreux bataillons inutiles. Les politiques de décentralisation et le statut intouchable de ces employés ne cessent d’ajouter des couches à un millefeuille administratif déjà hypertrophié. Au détriment de la qualité du service public. Prenons le cas de la capitale que notre rédac’chef culture, Jonathan Siksou, connaît comme pas un. La mairie de Paris est tellement généreuse, avec l’argent des Parisiens, qu’elle ignore le nombre exact de fonctionnaires qu’elle entretient, et continue, chaque année, d’embaucher de nouvelles légions. Pour Stéphane Germain, la fonction publique n’acceptera jamais la réduction de ses effectifs. Protégé par la double barrière du corporatisme et du clientélisme, ce mammouth indifférent à l’intérêt général continue de s’empiffrer. Le dégraisser est une chimère, seul son équarrissement pourrait nous sauver. Enfin, Chloé Morin, l’ancienne directrice de la Fondation Jean Jaurès, se confiant à Jean-Baptiste Roques, maintient que c’est en déployant davantage de fonctionnaires sur le terrain et en réduisant la bureaucratie qu’on améliorera la qualité des services publics. Il faut surtout en finir avec une caste : la noblesse d’État qui gouverne l’administration.

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Dans son éditorial du mois, Elisabeth Lévy commente les résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS sur les « sexualités » en France, résultats qui font la joie des médias de gauche en montrant apparemment que les Français baisent correct : inclusif, égalitaire, sans tabous, sans culpabilité. Il semble que les Français fassent moins l’amour, cette réticence étant plus développée chez les femmes, et que la pénétration ait perdu son rôle primordial dans la jouissance. On serait également de moins en moins hétérosexuel, notamment chez les femmes. « Autrement dit, le lavage de cerveau néoféministe a convaincu ces demoiselles qu’en tout homme sommeille un violeur ». Cette réaction apparente contre les normes traditionnelles de la sexualité n’a eu pour conséquence que de créer une nouvelle doxa conformiste qui dénigre les rapports érotiques entre partenaires consentants : « La libération sexuelle sera pleinement réalisée quand on pourra se passer non seulement de l’autre sexe, mais de l’autre tout court. » Boualem Sansal est aujourd’hui l’otage d’un régime qui profite de nos lâchetés. Son ami Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire et professeur associé à l’université Paris-Sorbonne, nous exhorte tous à le soutenir car c’est à la fois un devoir moral et une nécessité vitale. Dans sa chronique, Emmanuelle Ménard passe en revue la colère des agriculteurs et des viticulteurs, les menaces de grèves à la SNCF pour les prochaines vacances, le budget en sursis et la motion de censure du gouvernement en perspective, pour conclure que c’est l’esprit de Noël made in France !

Boris Johnson était de passage à Paris à l’occasion de la publication de ses mémoires. L’ancien Premier ministre britannique a reçu Causeur pour évoquer le Brexit, la politique migratoire de ses successeurs et l’importance de la culture classique pour notre identité européenne. Sans oublier ses relations avec Emmanuel Macron et la sagesse de la reine Elizabeth… L’élection de Donald Trump représente-t-elle une aberration dans l’histoire des États-Unis ou constitue-t-elle un tournant politique majeur ? Pour John Gizzi, le correspondant permanent de la chaîne d’information continue Newsmax à la Maison-Blanche, cet événement décoiffant est d’abord la marque d’un pays pragmatique. Qui est responsable de la perte d’influence de la France au sein de l’Union européenne ? La France elle-même, selon Noëlle Lenoir, ancienne ministre chargée des Affaires européennes. Vu depuis Paris, Bruxelles n’est qu’un lot de consolation pour politiques en mal de circonscription, et nos députés brillent par leur absentéisme. Quant à nos fonctionnaires qualifiés, ils sont négligés, et ne sont donc pas promus.

Deux ans après avoir quitté le gouvernement, Jean-Michel Blanquer publie un livre pour défendre son bilan à l’Éducation nationale et répondre aux attaques contre sa réforme du bac. Dans une discussion avec Barbara Lefebvre animée par Jean-Baptiste Roques, il dénonce aussi le « machiavélisme à la petite semaine » d’Emmanuel Macron… Estelle Farjot et Léonie Trebor nous parlent du cas d’Elias d’Imzalène, ce militant islamiste qui a appelé à l’intifada dans les rues de Paris devant le gratin LFI, et qui a tranquillement récidivé face à l’OSCE, cénacle censé œuvrer à la sécurité en Europe. Quel est le bilan de Javier Milei, élu à la tête de l’Argentine il y a un an ? Pour Charles Gave, auteur du bestseller Cessez de vous faire avoir et actionnaire de Causeur, l’ancien professeur d’économie a appliqué méthodiquement son programme ultra-libéral. Résultat : l’inflation s’est effondrée, les loyers ont baissé, la monnaie s’est renforcée et le budget est aujourd’hui excédentaire.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: In gode we trust

Nos pages culture s’ouvrent sur un grand événement éditorial : la publication d’un épais volume de textes et d’entretiens d’Alain Finkielkraut dans la collection Bouquins. Selon Claude Habib, ces écrits démontrent la sûreté et la précocité de son jugement politique, ainsi que sa capacité à se frotter à ses contradicteurs. Le défenseur de l’identité et de la nation se double d’un grand styliste, et d’un ami véritable. La même auteure se confie à Céline Pina à propos de son propre livre, Le privé n’est pas politique, où elle dénonce la volonté des néoféministes de faire du foyer l’arène du combat entre l’homme forcément bourreau et la femme évidemment victime.

Georgia Ray nous raconte l’exposition « Figures du fou », actuellement au Louvre, qui constitue une remarquable réunion d’œuvres et d’objets retraçant cette physionomie de la déraison qui, profane ou religieuse, est un miroir tendu vers chacun. Leurs mines sont peut-être moins grotesques qu’au Moyen Âge, mais les fous et autres bouffons sont toujours parmi nous. De son côté, c’est de Notre-Dame ressuscitée que nous parle Pierre Lamalattie. Plus de cinq ans après son incendie, la cathédrale a rouvert ses portes début décembre. Le chantier de restauration a réveillé des savoir-faire ancestraux, révélé des trésors oubliés et relancé la querelle des anciens et des modernes. De quoi s’inquiéter, mais surtout s’émerveiller.

Driss Ghali a lu le nouveau livre de Sonia Mabrouk Et si demain tout s’inversait ? Si demain les Européens débarquaient massivement sur les côtes d’Afrique du Nord, s’adapteraient-ils aux mœurs de pays hôtes en se convertissant à l’islam ? Renieraient-ils leur identité, comme certains le font déjà dans leur propre pays ? Par esprit de sacrifice de soi, Emmanuel Tresmontant a visité les caves de Pol Roger à Épernay. Il s’agit de la plus petite des grandes maisons de champagne, mais qui cultive l’art d’assembler les cépages depuis le milieu du XIXe siècle, et a compté Winston Churchill parmi ses illustres clients.

Selon Ivan Rioufol, la révolution conservatrice est en marche. En France, les mouvements souverainistes précipitent l’enterrement du vieux monde macronien. Le gouvernement Barnier n’est pas sûr de passer l’hiver. La pensée automatique s’effondre, aspirée par le vide. C’est la revanche du réel. Enfin, Gilles-William Goldnadel ébauche un dictionnaire contemporain de la partialité médiatique et judiciaire en Occident, dictionnaire qui n’intéressera pas que les lexicologues et les philologues…

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In gode we trust

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La journaliste Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

La presse s’est récemment réjouie des résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS indiquant que les Français font de moins en moins l’amour et rejettent de plus en plus les normes. Moins mais mieux ! assuraient nos journaux.


Dans les sacristies médiatiques, on a sablé le champagne. À en croire les résultats de la méga-enquête Inserm/ANRS sur les sexualités en France – le pluriel étant gage d’ouverture –, la lumière progressiste se répand dans les alcôves. Les Français baisent correct : inclusif, égalitaire, sans tabous, sans culpabilité. Surtout les jeunes, particulièrement les jeunes femmes, pionnières dans l’art très académique de casser les codes, mais vous pouvez aussi trouver un godemiché dans le tiroir de votre grand-mère – en attendant le jour béni où il trônera sur la cheminée, entre une photo de mariage et une gondole en plastique. Cette sexualité privée de normes à profaner dans l’ombre du fantasme est un brin déprimante. La chair sans le péché, c’est moins excitant, enfin j’imagine, j’ai lu ça dans les romans. Dans la nouvelle génération, la mutation anthropologique a eu lieu. Elle veut revenir au paradis perdu, au monde sans mal et sans mâle. Le roman, c’est très dépassé.

Premier constat, relégué dans les coins : les Français font moins l’amour. En 1992, 8 % des hommes de 18 à 69 ans n’avaient eu aucun rapport sexuel dans l’année. Trente ans plus tard, ils sont plus de 18 %. Chez les femmes, la proportion d’abstinentes est passée de 14 à 23 %. Nos sociologues-évangélistes exultent : cette apparente baisse de la libido témoigne de « la moindre disponibilité des femmes », qui font moins l’amour pour faire plaisir. Faire plaisir à sa grand-mère en passant des vacances avec elle, c’est admirable, mais un petit coup pour faire plaisir à son coquin, c’est un viol conjugal – comme si l’appétit ne venait jamais en mangeant. Plus question de dire « non » en pensant « oui », les filles. Quant aux hommes, s’ils forniquent moins, c’est peut-être un peu parce que le chemin du lit au tribunal n’a jamais été aussi court. Ça leur laisse du temps pour méditer sur leurs mauvaises pensées.

Moins c’est mieux ! psalmodient les commentateurs extatiques. On change de partenaires, on multiplie les expériences, c’est la fête du slip tous les jours. On salue donc « la démocratisation de la pénétration anale (réalisée ou reçue) [sic] » et la généralisation du sexe oral. Nathalie Bajos, membre de l’équipe de recherche, constate que, « au sein des couples hétéros, les rapports sexuels ne se font pas juste autour de la pénétration vaginale ». Le Monde publie une enquête énamourée sur « ces couples qui préfèrent faire l’amour sans pénétration », avant-garde du monde sans tabous. Un certain Pierre y explique que la pénétration est « éprouvante, répétitive, presque mécanique ». Pour autant la bastille du coït reste à prendre : « le rapport sexuel pénétratif reste un cap important de l’entrée dans la vie sexuelle des jeunes », s’inquiète une autre chercheuse. La faute aux stéréotypes, déplore une troisième[1]: pour beaucoup de gens, « c’est la pénétration qui symbolise l’affectivité et l’entente au sein du couple ». N’allez pas imaginer qu’il y aurait là une survivance archaïque, un inconscient anthropologique qui établirait un lien entre sexualité et procréation.Ces temps obscurs où on était obligés de se frotti-frotter à l’autre sexe pour se reproduire sont heureusement révolus.

A lire ensuite: Claude Lelouch face à la meute

La bonne nouvelle valait bien une journée d’actions de grâces sur France Inter : l’hétérosexualité, c’est fini. Il ne m’a pas échappé que, dans la vie concrète, elle existe toujours, mais elle a perdu son statut de norme et perdra bientôt son mince privilège majoritaire. Malheureusement pour les lobbys spécialisés dans le pleurnichage victimaire, l’homosexualité est largement acceptée. Heureusement, la « transidentité » suscite toujours des réticences (on se demande pourquoi), ce qui permet aux chercheurs de communier avec les journalistes dans la dénonciation des discriminations qui perdurent.

Découvrant les avancées de la fluidité, l’éditorialiste de Libération ne se sent plus de joie : « Si les frontières géographiques menacent de se renforcer en cette décennie 2020 [si seulement !], celles entre les genres s’estompent. En 2024, on se sent plus libre qu’avant d’aimer une personne du même sexe. » Les femmes sont en avance : une sur cinq (mais près de 40 % des 18-29 ans) déclare ne pas être strictement hétérosexuelle, alors que chez les hommes, on est encore à un sur sept. « Dans un contexte de diffusion croissante des idées féministes, ces jeunes femmes s’orienteraient vers des trajectoires où les inégalités et la violence sont moins prégnantes », conclut une journaliste. Autrement dit, le lavage de cerveau néoféministe a convaincu ces demoiselles qu’en tout homme sommeille un violeur.

Que les hommes et les femmes puissent faire ce qu’ils veulent avec qui ils veulent est une excellente chose, même si un soupçon d’interdit ne nuit pas. Chacun fait ce qui lui plaît, chacun est ce qui lui plaît. Sauf que cette absence de normes est terriblement normative – soyez cool, soyez fluides, soyez vous-même, homme, femme, « autre ». Pas sûr que ces injonctions à la déconstruction soient moins pesantes que les anciennes injonctions au mariage bourgeois avec papa-dans-maman le samedi soir.

« Il n’y a pas de rapport sexuel », disait Lacan. Les chercheurs notent avec satisfaction les progrès foudroyants de la masturbation, à laquelle trois quarts des femmes et 93 % des hommes reconnaissent s’adonner. Mais si on peut tant se donner du plaisir que faire des enfants tout seul, pourquoi s’infliger les tourments et chichis de la relation ? La lutte continue camarades ! La libération sexuelle sera pleinement réalisée quand on pourra se passer non seulement de l’autre sexe, mais de l’autre tout court.


[1] Cette équipe de recherches ne semble pas très paritaire, en tout cas, ce sont les femmes qui causent

Jean-Christophe Rufin sur Boualem Sansal: «Le silence n’a jamais rien arrangé»

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Le médecin, écrivain et diplomate Jean-Christophe Rufin, image d'archive © LEVY BRUNO/SIPA

Jean-Christophe Rufin a soutenu la semaine dernière la candidature de Boualem Sansal à l’Académie française comme moyen symbolique de demander sa libération, mais l’initiative n’a pas abouti.


Causeur. Vous avez proposé à vos pairs de l’Académie française d’élire Boualem Sansal à un fauteuil vacant en utilisant une procédure exceptionnelle. Pourquoi ? 

Jean-Christophe Rufin. Boualem est quelqu’un que nous connaissons et que nous aimons. Nous l’avons distingué par deux fois dans le passé en lui décernant le Grand Prix de la francophonie, et le Grand prix du roman pour 2084. C’est un éminent défenseur de la langue et de la culture françaises.

Et par ailleurs, qui d’autre peut le défendre ? Pas les politiques car leurs interventions ne font qu’aggraver les choses, et pas non plus les diplomates puisqu’il est précisément la victime d’une crise diplomatique entre la France et l’Algérie. Donc, c’est aux artistes, aux écrivains, aux intellectuels de le faire.

Etait-ce pour la beauté du geste ou pensez-vous que son élection aurait pu avoir un effet protecteur ?

Il y aurait eu deux effets possibles. Le premier, c’était de prolonger le soutien et l’intérêt pour le sort de Boualem Sansal. Il y a eu des pétitions, des appels, c’est très bien mais très éphémère, il y a toujours un moment où ça s’essouffle parce que la roue de l’actualité tourne. Son élection aurait inscrit les choses dans la durée. D’autre part, c’est un homme seul, dans sa geôle ou dans son hôpital. Il est important qu’il sache qu’il appartient à une famille, à une communauté, qui bénéficie de la protection statutaire du président de la République. C’est donc une manière supplémentaire d’affirmer le soutien de la France dans la durée et de montrer que notre défense de la francophonie, notamment à travers nos très nombreux prix, que notre soutien ne s’arrête pas le jour où un auteur francophone est en prison.

Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas été suivi, puisque votre proposition a été refusée par 13 voix contre 6. Pourquoi ?

Tout d’abord, le débat a fait apparaître une unanimité de principe sur la nécessité de soutenir Boualem Sansal. D’ailleurs, jeudi, la cérémonie de remise des prix de l’Académie lui sera dédiée et commencera par un hommage solennel. C’est sur les méthodes que nous avons eu des divergences profondes. Ma proposition de l’élire n’a pas été retenue, une majorité des académiciens présents craignant que nous aggravions la situation. Je n’y crois pas car sa situation est déjà très grave, mais cet argument est légitime.

A lire ensuite, Elisabeth Lévy: Français et Algériens: séparés par un passé commun

Vous n’en êtes pas moins déçu par ce refus. Avez-vous trouvé vos pairs trop prudents, trop soucieux de ménager la chèvre et le chou ?

Disons qu’il y a des différences de tempéraments. Le mien, c’est de dire qu’il faut agir et voir ce qui se passe. L’histoire se fait comme ça, on ne peut pas toujours avoir des garanties a priori qu’une décision n’aura pas d’effets pervers. Beaucoup ne voient pas les choses ainsi. On ne peut pas nier qu’il y a une certaine pesanteur de l’institution qui n’est pas habituée à agir dans l’urgence, c’est le moins qu’on puisse dire. Peut-être aussi, un certain souci de bienséance qui est souvent légitime mais qui devrait parfois s’effacer quand l’heure l’exige. Par ailleurs, il faut noter que nous étions assez peu nombreux et que beaucoup d’académiciens qui étaient sur ma ligne n’étaient pas là, ce qui a un peu déséquilibré les choses. Cela dit, la majorité était très nette.

Vous avez été diplomate. D’après votre expérience, faire du raffut peut-il être utile dans ces cas-là ?

Le réflexe du Quai, dans les affaires de prise d’otages, c’est toujours de demander le silence. Mon expérience, c’est que le silence n’a jamais rien arrangé. La pression médiatique, en revanche, peut souvent faire avancer les choses. N’oubliez pas que pour l’Algérie, se joue aussi une question d’image. Après tout, il y a certainement au sein du pouvoir algérien des gens qui n’ont pas envie que leur pays apparaisse trop clairement comme une dictature. C’est pour l’avoir dit que Boualem Sansal est en prison, ce qui lui donne cruellement raison.

Le problème c’est qu’en général les preneurs d’otage réclament quelque chose. Nous n’allons pas reconnaître l’algérianité du Sahara occidental pour libérer Boualem Sansal…

Certes, mais il y a beaucoup d’autres paramètres sur lesquels on peut jouer : les visas, les relations commerciales, la coopération économique et sécuritaire. Nous avons tellement de liens avec l’Algérie que, même s’il n’y a pas de monnaie d’échange évidente, nous avons les moyens de les faire bouger. D’ailleurs, ils s’en sont pris à un symbole, c’est peut-être une manière de ne pas toucher à des intérêts plus fondamentaux.

Finalement, à quoi sert l’Académie si elle n’est pas capable d’un coup d’éclat pour faire libérer un écrivain…

L’Académie française n’est pas une ONG et elle ne l’a jamais été. C’est une institution culturelle dont la vocation est d’exprimer la reconnaissance du pays pour ses écrivains et, au-delà, pour tous les créateurs francophones. Peu de pays donnent ainsi un statut officiel à leurs écrivains. Notre premier moyen d’action, ce n’est pas le dictionnaire qui est une façon d’affirmer une continuité historique, puisque c’était la première mission de notre compagnie. Aujourd’hui, notre levier d’action principal ce sont les prix que nous décernons, des Grands prix dans tous les domaines de la création francophone. Ne soyez pas trop dure : avec ses défauts, l’Académie française est utile au rayonnement de la France et de la langue française.

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«En quoi consiste le mal français?»: le regard d’une économiste franco-britannique sur les tourments de notre pays

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Confinement, Nantes, avril 2020 © Sebastien SALOM-GOMIS/SIPA

« Les Français ne le méritent pas », aurait confié Brigitte Macron à l’actrice Arielle Dombasle au sujet d’Emmanuel Macron, selon une indiscrétion du Monde. Ce qui est certain, c’est que le niveau de défiance populaire vis-à-vis des élites est particulièrement élevé en France. L’universitaire franco-britannique Brigitte Granville enquête pour savoir pourquoi, dans un livre.


Française d’origine, économiste de formation universitaire, Brigitte Granville est professeur d’économie au Queen Mary College de l’Université de Londres. Son ouvrage What Ails France, publié en 2021 en anglais, est passé presque inaperçu de ce côté-ci du Channel. C’est bien dommage, car l’ouvrage, qui est richement documenté et solidement étayé (les références bibliographiques occupent pas moins de trente pages), est susceptible d’intéresser tous ceux qui, dans notre pays, s’intéressent à la chose publique.

Dans la préface de son ouvrage, Brigitte Granville fait référence de manière explicite à l’ouvrage d’Alain Peyrefitte, Le mal français, publié en 1976, dont elle entend prolonger, approfondir, et actualiser la réflexion. Depuis la publication de l’ouvrage de l’ancien ministre, est intervenu le passage à l’euro, et le livre, écrit peu de temps après le mouvement des gilets jaunes et pendant la crise sanitaire, s’attache à mettre en évidence les causes profondes de nos difficultés économiques sans céder au politiquement correct : « Ceux qui expriment de la sympathie pour les doléances des Gilets jaunes sont traités comme de dangereux hérétiques qui mettraient en péril une formule éprouvée pour atteindre et préserver la prospérité. Mais le silence imposé dans les rangs, ainsi que la souffrance indicible engendrée par le fait d’être traité de « populistes », ne peuvent qu’aggraver les choses. Mon objectif, en écrivant cet ouvrage, est de rompre avec ce silence, ce que je considère comme une condition nécessaire pour pouvoir identifier des solutions à la stagnation et au désespoir. »

Brigitte Granville contre les petits hommes gris

La première partie de l’ouvrage est intitulée « La République des technocrates ». L’auteur y décrit une oligarchie étatique, dont le noyau dur est constitué des hauts fonctionnaires appartenant aux « grands corps » et issus des « grandes écoles ». Cette oligarchie, qui constitue une particularité française et dont le seul mérite est d’avoir réussi des concours difficiles à l’âge de 20 ou 25 ans, lui apparaît comme largement déconnectée des réalités, conformiste, peu créative et peu habituée à travailler collectivement. Elle est sourde aux aspirations et cris de douleur du peuple et des entreprises, se trouve désemparée lorsque des révoltes surviennent, et résiste activement à son remplacement par des élites plus capables. Elle s’efforce d’étendre sa sphère d’influence au-delà du secteur public, en accaparant des postes clés dans les grandes entreprises, souvent avec des résultats calamiteux : Brigitte Granville rappelle les désastres du Crédit Lyonnais, Alstom, Vivendi, France Télécom… Les allers et retours entre le public et le privé (pantouflage et rétro-pantouflage) sont en outre porteurs de conflits d’intérêts. Le propos n’est pas forcément très original (à ce sujet, voir Bourdieu 1989, ou encore – plus récemment – Coignard et Guibert, 2012), mais il est étayé avec force exemples. Il en résulte un fonctionnement médiocre de l’administration et des services publics, qui est évidemment un problème en soi. Mais en outre, le niveau de confiance vis-à-vis des institutions est particulièrement bas en France, et Brigitte Granville considère que l’existence de cette oligarchie étatique, compte tenu de ses positions acquises et de l’immunité dont elle bénéficie face à ses échecs, ne peut que contribuer largement à cet état de fait. Or, souligne-t-elle en s’appuyant sur des recherches récentes en la matière (notamment Algan, Cahuc et Zylberberg, 2012), l’absence de confiance est éminemment préjudiciable au bon fonctionnement économique.

Brigitte Granville contre la monnaie unique

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’euro. Brigitte Granville convoque la théorie des zones monétaires optimales, pour montrer – à la suite de nombreux économistes américains et aussi européens – que la monnaie unique, dans une Europe où la mobilité des travailleurs est entravée par des dissensions linguistiques, ne peut pas fonctionner. Elle dresse l’analogie avec l’étalon-or, auquel de nombreux pays développés sont restés « accrochés » durant la première moitié des années trente, prolongeant et amplifiant ainsi la crise économique issue du krach de 1929. Dans les deux cas, le renoncement à l’instrument monétaire qui va de pair avec la fixité des changes obligeait et oblige à mener des politiques de déflation interne (i.e. de baisses des salaires et de pertes de pouvoir d’achat…) pour restaurer une compétitivité dégradée, ce qui ne pouvait – ne peut – qu’enclencher une spirale récessive. Brigitte Granville s’étonne à juste titre que le débat sur la question de l’euro soit tabou au sein de la profession économique en France, alors qu’en Amérique du nord et au Royaume Uni de nombreux économistes – et parmi eux un grand nombre de prix Nobel – ont clairement pris position contre l’euro. Pour Brigitte Granville, il ne saurait y avoir de restauration durable des équilibres économiques internes en France (et dans les autres pays de la zone euro, qu’ils soient excédentaires comme l’Allemagne ou déficitaires comme les pays de l’Europe du sud) sans rompre avec la monnaie unique.

A lire ensuite: Viande contre bagnoles

La France malade de son jacobinisme

La troisième partie est intitulée « l’utopie de l’état-nation ». Comme le titre de cette partie l’indique, l’auteur y aborde la centralisation administrative excessive de notre pays (le jacobinisme), mais aussi les multiples fractures – géographiques et sociales – qui minent le pays, ainsi que le poids excessif des dépenses publiques. Pour justifier son existence, l’oligarchie d’état s’emploie sans cesse à engager de nouvelles dépenses publiques, ce qui conduit à augmenter les impôts et à laisser s’accroître la dette publique. S’appuyant notamment sur les travaux de Jérôme Fourquet et de Christophe Guilluy, l’auteur note que la fracture géographique qui traverse notre pays n’est plus entre « Paris et le désert français », mais entre les grandes métropoles d’un côté, où logent les élites qui tirent parti de la mondialisation, et les zones rurales péri-urbaines et plus éloignées, de plus en plus privées des services publics de proximité et où sont concentrés les « travailleurs pauvres » – qui n’ont toutefois pas l’heur d’être assez pauvres pour pouvoir bénéficier des aides sociales. La fracture géographique se double d’une fracture éducative : les élites ne se préoccupent guère du naufrage de l’Education nationale parce que leur capital social et financier leur permet d’échapper largement aux contingences de la carte scolaire. L’OCDE, au fil des classements PISA, signale d’ailleurs que le milieu d’origine a un impact sur la réussite scolaire des enfants plus déterminant en France que dans les pays comparables.

La quatrième partie de l’ouvrage se penche sur les réformes du marché du travail engagées par le président Macron durant son premier quinquennat : assouplissements du Code du travail, réduction de la durée et du montant d’indemnisation au titre de l’assurance chômage, tentative d’instaurer un système de retraites universel par points… Ces réformes ont été présentées par M. Macron comme inspirées des pratiques des pays du nord de l’Europe, alors qu’à bien des égards le mode de régulation du marché du travail dans les pays scandinaves est à l’inverse de la façon de faire du pouvoir macroniste : Brigitte Granville relève qu’en Suède par exemple, il est plus compliqué qu’en France de licencier une personne, et dans tous les pays scandinaves le chômage est indemnisé plus généreusement qu’en France. Surtout, les macronistes ont tenté sur tous ces sujets de passer en force (en ayant recours à l’article 49-3 de la Constitution ou par décret, selon les cas), alors que les mesures ayant trait au fonctionnement du marché du travail sont prises dans les pays scandinaves en étroite concertation avec – et avec l’implication des – partenaires sociaux. Pour Brigitte Granville, puisque l’objectif était de relever le taux d’activité des travailleurs potentiels et que le problème réside à ses yeux dans l’inadéquation des formations proposées par l’Education nationale aux besoins de main d’œuvre exprimés par les entreprises, le gouvernement aurait été bien inspiré de faire porter ses efforts sur le système éducatif et sur l’apprentissage.

La cinquième et dernière partie traite des nouvelles technologies de l’information et de la communication, ce que l’auteur appelle « l’économie de la connaissance ». La culture managériale française, très verticale et centralisée, qui encourage peu le travail en équipe et décourage le jaillissement des idées originales surtout si elles sont risquées, est aux yeux de l’auteur a priori peu propice à des succès dans le domaine des nouvelles technologies, un point qui avait d’ailleurs été souligné dès les années 1980 par l’universitaire américain John Zysman. Brigitte Granville entrevoit toutefois une lueur d’espoir en la matière avec la création des « écoles 42 », sous l’impulsion de Xavier Niel, écoles qu’elle qualifie de modèle d’école anti-jacobine par excellence.

Certains pans de l’analyse, dans l’ouvrage de Brigitte Granville, peuvent prêter à discussion. Néanmoins, au total, l’ouvrage de Brigitte Granville balaye large et profond, et fournit des pistes intéressantes pour approfondir la réflexion. On ne peut donc qu’en recommander chaudement la lecture à tous ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare.


Granville Brigitte (2021) : « What Ails France? », Mc-Gill Queen University Press.

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Autres références :

Algan Yann, Pierre Cahuc et André Zylberberg (2012) : « La fabrique de la défiance… Et comment s’en sortir », éd. Albin Michel ;

Bourdieu Pierre (1989) : « La noblesse d’état », Les éditions de Minuit ;

Coignard Sophie et Romain Guibert (2012) : « L’oligarchie des incapables », éd. Albin Michel ;

Tribalat Michèle (2010) : « Les yeux grand fermés», éd. Denoël.

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La Syrie en pleine tourmente: la bataille d’Alep et le rôle central du mouvement HTS

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Alep aux mains des rebelles du HTS, Syrie, 1 décembre 2024 © Asaad Al Asaad/SIPA

La stratégie du dirigeant syrien Bachar al-Assad est mise à mal par les succès récents des islamistes radicaux de Hayat Tahrir Al-Cham. Analyse.


La Syrie, théâtre d’un conflit prolongé, connaît une nouvelle escalade avec la prise récente de plusieurs quartiers d’Alep et l’avancée vers le centre du pays des rebelles menés par Hayat Tahrir al-Cham (HTS). Cette offensive marque un tournant dans la guerre civile syrienne, remettant en lumière les divisions internes du pays et les jeux d’influence régionaux et internationaux.

Hayat Tahrir al-Cham, ou HTS, est l’une des forces rebelles les plus influentes et les mieux organisées en Syrie. Ce groupe islamiste armé, issu de la fusion de plusieurs factions, dont le Front al-Nosra (ancienne branche syrienne d’Al-Ǫaïda), a su s’imposer comme un acteur incontournable dans le nord-ouest du pays. Fondé en 2017, HTS a cherché à se distancier d’Al-Ǫaïda pour élargir sa base de soutien. Bien qu’adhérant à une idéologie salafiste-jihadiste prônant un État islamique régi par la charia, le groupe se démarque de Daech en adoptant une stratégie plus pragmatique. Hayat Tahrir al-Cham est basé et domine principalement la province d’Idlib, située à la frontière avec la Turquie, à l’ouest d’Alep. Cette région est devenue l’ultime bastion des groupes rebelles opposés au régime de Bachar al-Assad. À son apogée, Idlib a accueilli des millions de civils, dont beaucoup de déplacés des régions reprises par le régime syrien.

Déplacements de population permanents

Rapidement, les factions rebelles ayant trouvé refuge dans la province s’affrontent pour le contrôle de la région. Pendant ces luttes internes, le mouvement HTS émerge et finit par s’imposer comme le groupe dominant. Entre 2018 et 2020, le régime syrien, avec le soutien aérien de la Russie, lance une série d’offensives pour reprendre Idlib, provoquant des déplacements massifs de population. Ces offensives aboutissent à des accords de cessez-le-feu, négociés principalement entre la Turquie et la Russie au début de la crise du Covid-19, qui permettent de réduire temporairement les hostilités sans instaurer une paix durable.

Depuis lors, Idlib reste partiellement sous le contrôle des rebelles, principalement HTS, tandis que les zones périphériques sont tenues par le régime syrien. Le cessez-le-feu, bien que fragile et régulièrement violé, demeure en place. La région reste un point de tension géopolitique majeur, impliquant directement la Syrie, la Russie, la Turquie, ainsi que, dans une moindre mesure, les forces kurdes.

Dans cette région, HTS gère des institutions civiles via le Gouvernement de salut syrien, une entité qui collecte des taxes, administre les services publics et supervise des milliers de combattants bien entraînés. Ces capacités militaires et organisationnelles sont illustrées par leurs performances sur le terrain ces cinq derniers jours. Cette structure semi-étatique aurait permis à HTS de financer ses activités et de coordonner des offensives majeures, comme celle d’Alep.

La récente prise de quartiers stratégiques d’Alep, incluant son aéroport international, constitue une avancée majeure. Cette offensive, minutieusement planifiée et habilement exécutée, a pris de court le régime syrien et ses alliés, révélant des failles structurelles persistantes dans leur contrôle territorial. HTS a su exploiter ces vulnérabilités avec une grande habileté, en s’appuyant sur une fine compréhension du contexte régional.

Timing

Plusieurs facteurs expliquent le timing de cette offensive. Dans un contexte large, l’affaiblissement du régime syrien aurait permis d’envisager une offensive pour casser le statut quo. Gangréné par la corruption et incapable de relancer l’économie ou de reconstruire le pays, le régime de Bachar al-Assad est à son point de faiblesse le plus critique depuis des années. Cet affaiblissement est aggravé par la réduction de l’implication militaire russe, la Russie étant focalisée sur le conflit ukrainien, les frappes israéliennes répétées visant les infrastructures du Hezbollah en Syrie, et, enfin, par la réorganisation des milices iraniennes, moins coordonnées qu’auparavant, limitant leur capacité à défendre efficacement le régime syrien.

La Turquie semble avoir abandonné l’approche diplomatique après l’échec des négociations avec Damas. Face au refus syrien de parvenir à un accord, Ankara a opté pour une stratégie de pression militaire, cherchant à forcer un changement par la dynamique des combats. Par ailleurs, la crise des réfugiés syriens pèse lourdement sur la Turquie, incitant le président Erdogan à accélérer les efforts pour créer des conditions favorables à un éventuel retour de ces populations en Syrie.

Finalement une fenêtre d’opportunité s’est ouverte par la fin récente du conflit entre Israël et le Liban, qui a laissé le Hezbollah affaibli, réduisant momentanément son influence militaire en Syrie. De plus, l’Iran, déjà confronté aux revers subis par ses alliés régionaux – notamment le Hamas et la milice chiite libanaise – semble sur la défensive, luttant pour maintenir la cohésion de son « axe de résistance ». Ces développements ont offert à HTS une opportunité unique de lancer son offensive dans un contexte où ses adversaires étaient affaiblis ou distraits.

Cette offensive n’aurait probablement pas été possible sans un soutien logistique externe, vraisemblablement fourni par la Turquie. Bien que la Turquie considère officiellement le mouvement HTS comme une organisation terroriste, Ankara maintient une relation ambiguë avec le groupe. En tolérant ses actions et en fournissant un soutien indirect dans le cadre d’intérêts communs, la Turquie aurait contribué au développement des capacités déployées par le HTS sur le champ de bataille. La liquidation des poches kurdes au nord d’Alep ces derniers jours pourrait illustrer les contours d’un possible « deal » entre le président Erdogan et le chef de HTS, Abou Mohammed al-Joulani.

La Russie intensifie actuellement ses bombardements

Cependant, après le choc initial et la déroute des forces loyalistes – qui ont perdu non seulement Alep, mais également plusieurs bases aériennes et le contrôle stratégique de l’autoroute M5 reliant Damas à Alep – le régime syrien semble reprendre l’initiative. Soutenu par l’Iran, qui a déjà dépêché des milliers de miliciens, et par la Russie, dont l’aviation intensifie les bombardements contre les forces rebelles et leurs bases arrière, le président Assad mobilise actuellement ses troupes pour tenter de stopper l’offensive du HTS et de rétablir le contrôle sur les territoires perdus.

Les Iraniens sont très impliqués dans la gestion de la crise. Leur diplomatie est à la manœuvre pour trouver un compromis entre MM. Assad et Erdogan et le corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI)  – qui aurait perdu déjà l’un de ses généreux dans les combats – est présent sur le terrain pour coordonner les opérations sur le terrain.

Pour l’instant, un grand perdant se dessine : Bachar al-Assad. À minima, le président syrien risque de perdre davantage de territoires, de pouvoir et de recettes. Cette situation fragilise encore plus son régime, déjà affaibli par plus d’une décennie de guerre civile et les sanctions internationales.

Quant aux potentiels gagnants, ils sont principalement deux : Israël et la Turquie. Pour Israël, la crise pourrait réduire significativement le rôle de la Syrie dans l’axe de la résistance, affaiblissant ainsi sa capacité à servir de base arrière et logistique pour le Hezbollah. Une telle éventualité serait très positive pour l’Etat hébreu, mais aussi pour le Liban, en réduisant les risques de confrontation transfrontalière.

La Turquie, pour sa part, a déjà repoussé les Kurdes plus à l’ouest, réduisant ainsi la menace que représente pour elle l’autonomie kurde dans le Rojava. De plus, Ankara dispose désormais d’une force capable d’influencer les rapports de force, non seulement avec Damas, mais aussi avec les Kurdes syriens. Cette position renforce le levier turc dans la région, tant sur le plan militaire que politique.

Pour l’Iran, la situation est plus incertaine. Téhéran pourrait tirer parti de la crise pour renforcer son emprise sur la Syrie, mais cette ambition est conditionnée par la viabilité de ses alliances. Sans le Hezbollah, son plus précieux allié dans la région, le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) se retrouverait affaibli sur le plan opérationnel et stratégique.

Enfin, la Russie se trouve dans une position délicate. Si elle n’a pas grand-chose à gagner, elle a en revanche beaucoup à perdre. La crise syrienne, désormais une préoccupation secondaire pour Moscou, détourne des ressources et de l’attention au détriment du front ukrainien, où la situation est plus critique pour le Kremlin. Par ailleurs, la Turquie s’impose comme un acteur de plus en plus influent en Syrie, affaiblissant indirectement la position russe. À plus long terme, Moscou pourrait même voir ses bases stratégiques en Syrie – navale à Tartous et aérienne à Hmeimim – menacées. Ses investissements économiques dans l’exploration de pétrole et de gaz en Syrie, notamment dans les régions de Tartous, Damas et le nord-est du pays, pourraient également être compromis si le contrôle territorial de ses alliés faiblit davantage.

Les Kurdes syriens se retrouvent dans une position précaire, coincés entre le régime de Bachar al-Assad, le HTS, et la Turquie. Si le HTS, à travers sa communication, semble vouloir apaiser les tensions en affirmant ne nourrir aucune hostilité à leur égard, les Kurdes, marqués par une longue histoire de méfiance, demeurent sur leurs gardes. Leur méfiance est justifiée : ayant déjà perdu leurs bastions autour d’Alep, ils savent que leur survie est menacée, notamment face à l’agressivité de la Turquie. Dans ce contexte, ils ne peuvent se permettre de tourner le dos au régime syrien tant qu’ils n’ont pas la certitude de sa chute…

Une grande question demeure : jusqu’où HTS est-il prêt à aller, et que cherche-t-il réellement à accomplir ?

La stratégie actuelle du mouvement islamiste repose sur plusieurs axes.

Si le discours nationaliste et les déclarations des responsables des rebelles insistent sur l’idée que « nous sommes tous Syriens », affichant une volonté apparente de rassembler les différentes communautés sous une bannière commune, la réalité sur le terrain semble bien plus complexe.
Les milices du HTS, malgré leur rupture officielle proclamée avec le djihad mondial – visant à se démarquer de Daech et d’Al-Qaïda –, affichent des comportements qui contredisent ce positionnement. En pratique, certains de leurs groupes continuent de cibler ici et là des communautés, notamment des kurdes.
Cette posture ambiguë est exacerbée par une volonté de vengeance particulièrement dirigée contre les Alaouites et les Kurdes, accusés par le HTS d’être au service du régime de Bachar al-Assad.
Ces actions sur le terrain contredisent souvent les discours rassembleurs promus dans les médias, révélant un décalage entre la communication officielle et les dynamiques locales.
Malgré les efforts du HTS pour rassurer l’opinion, la méfiance prédomine. Peu d’acteurs locaux ou internationaux croient véritablement à ce changement idéologique. L’image du HTS reste profondément marquée par son passé, et ses assurances peinent à convaincre.

À ce stade, la majorité des parties prenantes préfèrent attendre l’évolution des rapports de force avant de s’engager pleinement. Elles observent avec prudence, cherchant à évaluer où penchera la balance pour éventuellement soutenir le camp victorieux, tout en maintenant leurs distances avec le HTS. De leur côté, les Kurdes adoptent une posture réservée, tentant de préserver ce qui reste de leur autonomie. Ils évaluent attentivement les alliances qui pourraient garantir leur survie face à des adversaires puissants, notamment la Turquie.

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Sainte Paresse, priez pour moi!

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DR.

En villégiature studieuse à Roquebrune-Cap-Martin (il y a pire…), notre chroniqueur trouve le temps de s’émouvoir de l’omniprésence, dans l’hôtellerie et la restauration, de travailleurs immigrés italiens, venus en voisins, et de la difficulté extrême à recruter des Français. Xénophobe, va!


Tout le personnel de l’hôtel Victoria où la direction de Lecture en fête m’a logé est italien — et charmant, bien élevé, attentionné, parfaitement bilingue. Mais où sont les Français ?
Dans les cuisines des restaurants de ma ville natale — et qui est probablement, après de vastes détours, celle où je mourrai —, ce sont les Africains qui réalisent la bouillabaisse, les supions et l’aïoli. Des Français, nulle nouvelle.

L’Hotel Victoria, Roquebrune-Cap-Martin (06)

Je me suis enquis auprès des patrons des gargotes des raisons de leurs difficultés de recrutement local. « Refus de travailler après 19 heures, et pas plus de 35 heures par semaine. Ils veulent avoir leurs soirées pour batifoler avec leurs copains. Et ne pas sentir le graillon. »

Rééducation nationale !

L’une des raisons profondes de ce désintérêt des petits Français pour le travail salarié (« tous patrons ! » — disent-ils en se faisant de lourdes illusions sur le temps de travail des patrons) vient surtout du fait qu’on leur a distribué des diplômes à tire-larigot — « tous bacheliers ! Tous Licenciés » — et qu’ils croient avoir une qualité authentifiée par un parchemin à valeur nulle. À force de laisser passer en sixième des analphabètes, et de féliciter les analphacons pour leurs belles idées ; à force d’envoyer en seconde des collégiens qui devraient entrer tout de suite dans la vie active ; à force de donner le Bac, qui est toujours, en théorie, le premier diplôme du Supérieur ; à force d’obliger les enseignants du Supérieur à propulser dans l’année suivante des petits branleurs qui ne viennent assister au cours que bardés d’écouteurs de façon à rester en ligne et, comme ils disent, vivre avec leur temps, rien d’étonnant si l’on va chercher en Italie les gentils travailleurs qui nous font défaut.

Il faut remettre la France au travail, de la maternelle à la retraite. Et vite. Toute cette génération née depuis 2000, à quelques exceptions près, est perdue. Il est nécessaire de la rééduquer.

A lire aussi, du même auteur: Génération connards

S’il faut renouveler la classe politique (et il faut le faire), ce n’est pas dans les babyboomers cacochymes que nous trouverons un espoir — ni dans les p’tits jeunes dont la vocation profonde est de consommer des pizzas surgelées, vautrés dans leur canapé défraîchi, en triturant leur… télé-commande. J’ai dans l’idée que c’est dans la catégorie des 40-50 ans, une classe creuse qui jusqu’ici a été barrée par les Grands Anciens qui les ont précédés, que nous pouvons espérer trouver les chefs dont nous avons besoin. J’en connais.

Bonnes résolutions

Après la désastreuse Guerre du Péloponnèse, les Athéniens se voient imposer par le général spartiate vainqueur, Lysandre, trente « tyrans » (en fait, des magistrats qui ont composé un gouvernement oligarchique) qui ont redressé la ville en imposant un régime de terreur qui n’accorde les droits démocratiques qu’à 3000 de leurs partisans, et exécute les métèques, nombreux dans la cité. C’est à cette époque que Socrate, accusé de corrompre la jeunesse, est condamné à boire la ciguë.

On a bien fait. Critias (dans la réalité) et Calliclès (dans le Gorgias de Platon) ont raison contre les forces qui délitent le tissu national.

Les Romains se sont vaguement inspirés de cet épisode pour instituer la possibilité d’une dictature à durée limitée (puis illimitée) quand la patrie était en danger.

Et je vous le dis franchement. S’il faut suspendre les droits démocratiques des petits branleurs, faisons-le. S’il faut suspendre les droits des travailleurs étrangers qui ne travaillent pas (particulièrement ceux de leurs enfants qui revendiquent des racines illusoires pour ne rien foutre et agiter des drapeaux qui ne sont pas les leurs), faisons-le. Et s’il faut renvoyer en Algérie, ce doux pays où l’on met les écrivains en prison (avec la bénédiction de Samia Ghali, Benjamin Stora, Karim Zéribi et autres crapules stipendiées, à gauche, par les pétro-dollars des islamistes), en dénonçant l’accord de 1968 qui permet aux dirigeants malades de ce pays malade de venir se faire soigner en France tout en nous crachant à la gueule, eh bien faisons-le.

L'école sous emprise

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