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80 ans du débarquement: évitera-t-on une Troisième Guerre mondiale?

L’opposition a-t-elle vraiment raison de reprocher à Emmanuel Macron de « dramatiser » le 6 juin 44 ?


80 ans du débarquement: évitera-t-on une Troisième Guerre mondiale?
Le président Macron prononce son discours à l'occasion des 80 ans du débarquement, Omaha Beach, Saint-Laurent-sur-Mer (14), 6 juin 2024 © Jacques Witt/SIPA

Après la commémoration grandiose du 6 juin 44 à Omaha Beach, où étaient présents auprès de lui le président américain, le roi d’Angleterre, Volodymyr Zelensky et de nombreux autres chefs d’État, le président Macron a annoncé à la télévision la livraison d’avions de chasse et la formation d’une brigade de 4500 soldats ukrainiens. Les oppositions ont critiqué de leur côté une exploitation électorale du D-Day.


Le 6 juin 1944 réveille des fantômes douloureux pour les Français. Il nous rappelle que nous n’avons pas pu nous libérer seuls de l’occupant qui, quelques années auparavant, nous infligeait la plus grande humiliation de notre histoire millénaire. Nous fûmes d’ailleurs doublement humiliés en dépit de la bravoure de nos soldats. Par nos officiers incompétents et dépassés qui n’ont pas compris la stratégie allemande. Par notre classe politique qui, au terme de la « Drôle de guerre » puis de la Bataille de France, a signé un armistice en forme de reddition en rase-campagne, confiant au vieillard Pétain les destinées d’une nation meurtrie et soumise.

Il a fallu le génie politique du général de Gaulle pour nous inviter à la table des vainqueurs, lui qui fut, avec Jacques Bainville, la Pythie des années 1930, annonçant et prévoyant la déroute inéluctable face à une Allemagne nazie revancharde et modernisée. Les Anglais n’avaient pas non plus oublié le sacrifice héroïque des soldats français, que le cinéma moderne a si cruellement oublié comme en témoigne le triste Dunkerque de Jonathan Nolan. Sans la résistance magnifique des Français, jamais les troupes britanniques n’auraient pu rejoindre la Grande-Bretagne.

Cela explique d’ailleurs pourquoi le général de Gaulle n’était pas forcément enthousiaste à l’évocation du débarquement : la blessure était aussi vive que celle d’un fil d’épée. Si le commando Kiefer a permis à des Français de s’illustrer avec ses 177 commandos, dont 10 furent tués le 6 juin, le débarquement fut essentiellement une opération alliée. Et le général de Gaulle le savait parfaitement, raison pour laquelle il fut quelques années plus tard si courroucé par le succès des Ricains du jeune Michel Sardou, dont il censura même le premier pressage ! Las, le temps a depuis fait son œuvre et les relations avec les Américains se sont désormais grandement apaisées.

Honorer les derniers survivants était un devoir

Imaginez ces jeunes hommes venus du Wisconsin, du Québec ou plus modestement du Yorkshire, aborder les côtes normandes dans l’espoir de renverser l’armada de l’Axe. Une tâche peu évidente qu’ils ont pourtant remplie en à peine quelques mois. Ils avaient pour les guider des éditions du Guide Michelin de 1939, ainsi que s’est plu à le raconter la presse ces derniers jours. Souvent naïfs, ces fameux « boys » bénéficiaient de l’avantage matériel considérable d’une armée qui avait bien trente ans d’avance sur les autres de son temps. Mécanisée, dotée d’un train fabuleux, elle a aussi appliqué des stratégies qui font froid dans le dos avec le recul. Il faut d’ailleurs à ce titre saluer et remercier le roi Charles III qui a évoqué les « innombrables victimes civiles des bombardements des villes normandes » et le courage des résistants français sans qui cette opération n’aurait pas été possible.

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Un geste rare et à saluer que celui du monarque britannique, tant ces célébrations omettent parfois les horreurs qu’ont dû affronter les Français et les Françaises durant un conflit terrible où ils furent soumis à l’arbitraire nazi puis à la puissance aveugle du feu américain. Charles III, amateur d’histoire, doit d’ailleurs savoir que c’est Churchill qui préserva la Normandie et le reste de la France de la fureur froide de Montgomery, prêt à sacrifier des dizaines de milliers de vies supplémentaires pour avancer plus vite… Mais ces crimes et ces erreurs bien réelles furent le prix à payer pour une France qui avait par suffisance failli devant l’histoire, se déshonorant comme jamais auparavant.

Oh, les choses étaient déjà bien avancées avant le débarquement, notamment en Italie où la campagne militaire avait commencé dès le mois de septembre 1943, contraignant même une armée allemande fortement contrariée à démobiliser des soldats combattant à l’est pour s’opposer aux troupes alliées. L’Armée française de libération a pu s’illustrer à la bataille du Mont-Cassin où le corps d’armée mené par le général Juin a grandement contribué à la rupture de la ligne Gustave. Un premier succès qui conditionna la mise en place de l’opération Overlord en juin 1944. Puis, en août 1944, le débarquement de Provence commandé par le général de Lattre où s’illustrèrent en majorité des forces françaises de l’Armée B accompagnées de la VIIème armée américaine.

Epique, le débarquement du 6 juin 1944 le fut. Rien de comparable toutefois au déluge de feu dépeint par Steven Spielberg dans son chef d’œuvre Il faut sauver le soldat Ryan, mais on pardonne toujours aux auteurs ces petites imprécisions… Le réalisateur américain était d’ailleurs invité avec Tom Hanks aux commémorations réussies de ce 80ème anniversaire du débarquement. Une date symbolique qui fut peut-être la dernière occasion d’honorer les Américains, Anglais ou encore Canadiens qui ont participé à la libération de l’Europe du joug de l’Allemagne nazie. Très âgés, ces derniers survivants de ces batailles historiques se sont montrés d’une absolue dignité, insistant tous pour se lever lorsque le président Emmanuel Macron leur a remis la Légion d’honneur. Des visages magnifiques filmés au crépuscule de leurs riches vies qui ont à juste titre ému Américains et Français.

Rien ne peut acheter l’honneur

Ces commémorations grandioses et réussies n’ont toutefois pas réussi à éclipser les actualités du moment. On serait même tenté de dire qu’elles les ont mises en exergue, pour le meilleur comme pour le pire.

Exclu de la cérémonie, Vladimir Poutine avait beau jeu d’affirmer que les troupes soviétiques ont été déterminantes dans la chute de l’Allemagne nazie. Reste que l’URSS s’est aussi rendue coupable de nombreux crimes, dont le principal fut d’occuper pendant plusieurs décennies les pays qu’ils avaient « libérés ». Quant aux protestations liées à la présence de Zelensky, elles étaient injustes puisque les Ukrainiens ont aussi participé à cette guerre au sein de l’armée rouge, leur pays étant alors inclus au sein de l’URSS. Que des Ukrainiens aient combattu avec l’Allemagne est une vérité. Ce fut aussi le cas de Russes au sein de l’armée Vlassov, dont certaines unités se sont battues en Normandie contre les alliés. Bref, tout cela a été très largement manipulé et schématisé. Si Vladimir Poutine n’était pas présent, ce n’était pas par mesquinerie ni révisionnisme mais parce que la Russie est désormais une nation hostile.

Au rayon des mesquineries, Emmanuel Macron comme les oppositions ont toutefois également eu leur moment :

– Le président, en établissant un parallèle hasardeux entre « l’extrême droite » aux élections européennes et le débarquement lors de son entretien télévisé ; il a même eu le toupet d’accuser les « populistes » de refuser de surveiller les frontières du continent, alors que ses propres élus européens soutiennent généralement les mesures les plus laxistes en la matière…

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– Les oppositions, en reprochant à Emmanuel Macron de profiter du moment pour instrumentaliser la guerre d’Ukraine à son profit. Il s’avère que les élections tombaient durant ces commémorations et que la guerre à l’est se fait plus intense que jamais. Devait-il s’arrêter d’en parler pour complaire à nos politiciens ? Sûrement pas, et le président en a profité pour faire des annonces majeures, dont la livraison d’avions de chasse et la formation d’une brigade de 4500 soldats ukrainiens. Des mesures prises à contretemps mais salutaires. Pour cette fois, l’honneur sera sauf.

L’histoire est complexe et il ne faut jamais l’oublier

Dans son célèbre roman La Ciociara, Alberto Moravia traite de tragiques évènements de la Seconde Guerre mondiale en Italie. Il conclut ainsi : « Malheureusement, celui qui a volé et tué, fût-ce à cause de la guerre, ne peut espérer redevenir l’homme qu’il était auparavant; de cela, je suis certain. Ce serait, pour donner un exemple, comme une femme qui ayant perdu sa virginité, se persuade qu’elle pourra redevenir vierge par on ne sait quel miracle qui ne s’est jamais produit. Les voleurs et les assassins, même sous l’uniforme et la poitrine couverte de décorations, resteront à jamais des voleurs et des assassins. » 

Ce legs de reniements, de bombardements, d’épuration prétendument résistante et de trahisons n’a toujours pas été soldé. Quatre-vingts ans plus tard, il est pourtant temps de redevenir ce que nous fûmes avant tout ça ; plus candides mais aussi plus forts. C’est le chemin qui est devant nous dans un monde où le danger du retour de la guerre à l’échelle industrielle est plus que jamais présent.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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