Après un curieux 8-Mai, le commentaire amer de Dominique Labarrière
Dans les rues de nos villes, périodiquement, des camions viennent nous débarrasser de ce qu’on appelle les encombrants. Le vieux frigo, le matelas crevé, la tondeuse qui ne tond plus rien, la vieille cage aux oiseaux sans oiseaux, l’aspirateur à son dernier souffle, bref, tout ce qu’on ne veut plus voir. Sans doute est-ce cette attention citoyenne des cités policées qui aura inspiré Monsieur le président de la République lorsqu’il s’est agi d’organiser la commémoration de la victoire des peuples libres sur la monstruosité nazie ? Au matin du 8 mai, devant nos écrans de télévision, nous avions beau ouvrir grand nos yeux, nous n’avions devant nous que la splendide perspective des Champs Élysées, la plus belle avenue du monde. La plus belle et en l’occurrence la plus déserte. Sur les trottoirs, pas un badaud, pas un clampin, pas une famille le drapeau français à la main, le petit dernier à califourchon sur les épaules du papa ou de la maman, pas de grand-père venu biberonner sa marmaille au souvenir si glorieux de cette Libération. Rien de semblable. Personne. Personne hormis les chouchoutés du sérail bien rangés sur des gradins. Assistance triée sur le volet comme pour les garden party des palais de notre monarchie-république. L’entre soi commémoratif. Que du fréquentable dont on n’a à redouter ni vociférations incongrues ni débordements de faitouts. On imagine la jubilation intime du chef des chefs remontant les Champs Élysées déserts avec, pour lui seul, la Garde Républicaine, rutilante, panache au vent, caracolant sur des chevaux fringants, harnachés de gala. Oui, pour soi tout seul. Quel pied ! Un peu comme dans les rêves d’enfance où l’on joue aux soldats de plomb, troupe docile s’il en est qu’on fait parader en s’imaginant être à sa tête, tel Bonaparte après le triomphe d’Arcole. Mais à la vérité, quelle tristesse que ces grands espaces purgés de foule ! Les Champs métamorphosés en morne plaine, préfiguration du Waterloo appelé à sceller la fin des fameux 100 jours, diront certains. Cependant, reconnaissons à l’intéressé d’avoir eu au moins le mérite d’innover en la matière. On lui sera redevable à jamais de l’invention de la commémoration façon pompes funèbres, de la célébration honteuse. Public interdit ou presque, rien de moins ! Restez chez vous, bonnes gens. Y a rien à voir. Le peuple, les citoyens électeurs voilà donc bien les encombrants dans la conception que le président se fait de l’exercice du pouvoir. Sans eux, qu’il serait doux et aisé de gouverner, de réformer et contre-réformer à l’envi ! La haute pensée si complexe trouverait à s’exercer sans se trouver sans cesse entravée par la sombre bêtise du vulgum pecus. Pensez ! Le nirvana ! Cela dit, notre Jupiter aurait dû se méfier de la lecture symbolique que ne manquerait pas de susciter sa décision d’exclure le peuple de ce moment d’histoire qui lui appartient, à lui en tout premier. S’il avait voulu confesser urbi et orbi combien peu lui importent les gens – les vrais gens – il n’aurait pas pu trouver mieux. Car en effet, on peut dire que, en ce 8 mai bradé, il n’aura fait que passer aux aveux.
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