C’est un véritable tour de force, une première dans la singulière histoire de la pétition et à plus forte raison dans la saisine du Conseil économique, social et environnemental. Car en trois semaines, les organisateurs de la « Manif pour tous » ont réussi à convaincre plus de 700 000 personnes de prendre la plume pour faire valoir leur opposition au projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et demander à l’assemblée consultative d’examiner ledit projet. À la tête de cette opération un peu spéciale, le sémillant maire du Chesnay, Philippe Brillault, qui promet un nouvel afflux de pétitions pour dépasser le million, un chiffre qui devrait, cette fois, se passer des tempérances exagérées de la police. À ses côtés, une multitude de bénévoles de tous âges ont épluché des jours et des nuits durant chaque formulaire pour y traquer la moindre erreur, et ce n’est pas peu fiers qu’ils sont venus vendredi dernier déposer les quatre tonnes de pétitions.
Bien que le projet de loi ait été adopté par l’Assemblée nationale le 12 février dernier, rien n’est encore joué. Le texte devra être examiné par la chambre haute du Parlement à compter du 2 avril prochain, avec des sénateurs réputés plus conservateurs et moins sujets aux pressions des feux de la rampe que leurs collègues députés. Et si le dernier mot revient bien à l’Assemblée, la saisine du Conseil économique, social et environnemental par plus d’un demi-million de citoyens, grande première depuis que la loi organique le permet (seules deux pétitions citoyennes avaient déjà été déposées, sans recueillir le nombre de signatures nécessaires), constitue un signal extrêmement fort à l’endroit du gouvernement et du Président de la République. Peuvent-ils feindre d’ignorer, une nouvelle fois, la réticence immense de l’opinion sur cette « réforme de civilisation» ? Rien n’est moins sûr.
Les partisans du mariage pour tous se rassurent avec les propos du président du CESE, Jean-Paul Delevoye, qui a rappelé dans un entretien à La Croix que le CESE n’était « ni une instance de recours pour contester une décision politique, ni une instance disposant d’un pouvoir suspensif pour freiner une décision politique ». En d’autres termes, « cette saisine, si elle aboutit, n’aura aucune conséquence sur la procédure législative en cours ». Mais François Hollande, si prompt à dénoncer la surdité de son prédécesseur face à l’expression démocratique, peut-il se permettre de faire de même ? Libre, indépendante, composée des forces vives de la nation, l’assemblée consultative complète la synthèse démocratique en conseillant le gouvernement et le Parlement dans l’élaboration des lois et des politiques publiques. Le 12 juin dernier, un mois après son élection, François Hollande y tenait une conférence. Dans un discours fleuve, le chef de l’Etat soulignait l’importance de la troisième assemblée de la République et promettait de ne pas ignorer ce « corps social ». Lors de son allocution, François Hollande regrettait que l’assemblée consultative ne soit justement que trop peu consultée, a fortiori depuis la modification constitutionnelle de 2008 et la loi organique ouvrant aux citoyens le droit de la saisir. « Une loi organique, celle du 27 juin 2010, a bien introduit la possibilité d’une saisine directe mais avec un seuil si élevé, 500 000, que ce droit nouveau est resté lettre morte. Pourquoi ne pas abaisser ce seuil ? Pour ce qui me concerne, j’y suis prêt » confiait-il aux sages de la République.
Montaigne disait des lois qu’elles se maintiennent en crédit non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois. L’Histoire a montré plus d’une fois que la loi, son interprétation ou son exécution, ne satisfaisaient pas l’exigence d’équilibre à laquelle tout justiciable entend être traité. Mais parce qu’elle apparaît comme seul moyen régulateur de l’ordre social, il ne nous appartient pas de la remettre en question, sinon par le biais d’une procédure de parallélisme des formes, procédure longue, lourde et bien souvent sans résultat probant. Dans le respect de sa fonction, de ses prérogatives et des jalons qui encadrent sa mission, le CESE est sans aucun doute la géniale invention qui peut prévenir le législateur des dangers d’une loi, sans mettre en péril la souveraineté du Parlement. François Hollande ne peut faire l’économie de ses avis.
*Photo : cbr_perso.
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