Qui a dit que la bande dessinée était réservée aux enfants ? Vous imaginez bien que les premiers hommes des cavernes, après avoir croqué des scènes de chasse et des animaux sauvages en ont eu vite marre. Le rupestre, c’est joli, ça égaye les grottes, mais ça ne nourrit pas les fantasmes intérieurs. Quoi de plus déprimant que de peindre son quotidien ? Vous avez déjà vu des ouvriers d’usine dessiner leur fraiseuse ou leur tour sur les murs de leur chambre à coucher ? Notre taux de natalité, notre dernier motif de fierté nationale, en aurait pris un sérieux coup dans le bas ventre.
Mettez un garçon devant une feuille de papier avec une chatoyante boîte de crayons de couleurs, et vous verrez le résultat. Pornographique à coup sûr ! La représentation du corps des femmes, du désir et de l’acte sexuel est inhérente à la création picturale. Dans son anthologie de la bande dessinée érotique publiée aux Editions Beaux Arts qui s’adresse à un public averti, Vincent Bernière revient (dans son introduction) sur les grandes étapes du dessin cochon, des fresques de Pompéi au Kama Sutra en passant par les Shunga japonais (1615-1868) et les Tijuana Bibles américaines des années 20. L’auteur de cette somme réjouissante ne manque pas de rappeler qu’au cours des siècles, l’Etat et ses corps constitués n’ont eu de cesse d’interdire ou de limiter la diffusion de ces objets de scandale. Lectures perverses, gouvernement en détresse.
Jadis, on s’émouvait à l’antenne d’un genou subrepticement dévoilé, alors vous imaginez la stupeur des autorités devant la perfection esthétique des fessiers chez Manara ou l’indécente opulence des poitrines chez Serpieri. Vincent Bernière n’a pas souhaité trancher entre ce qui doit être considéré d’un côté comme porno et de l’autre, érotique, rappelant cette maxime d’André Breton : « la pornographie, c’est l’érotisme des autres ». Sa sélection n’est pas exhaustive, comment le pourrait-elle, il existe des milliers d’auteurs de BD coquines à travers le monde. Vincent Bernière a simplement classé par genres : soft, chic, trash, rigolo et autobiographique.
Amateurs de gauloiserie, de bondage, de triolisme, de SM, etc… Il y en a pour toutes les sensibilités et tous les styles, de la ligne claire à l’hyperréalisme, de la gaudriole aux messages libertaires, de la Chine du XVIème siècle à l’avènement de l’homme bionique. Tous les goûts sont dans la nature. Qu’y-a-t-il de commun entre les pin-up menottées et cravachées de John Willie, la Barbarella intergalactique de Forest, la Druuna ruisselante de Serpieri, les blondes paillardes de Dany, le troublant double de papier de Giovanna Casotto, la Linda arty de Philippe Bertrand, les bourgeoises décomplexées de Martin Veyron ou les obsessions de Crumb?
La variété des traits et des expressions montre combien le 9ème art fripon n’a rien perdu de son sex-appeal. On aurait pu croire qu’avec le déversement d’images X sur le net, la bonne vieille BD priapique serait morte. Elle maintient la barre. Aucune baisse de forme à signaler, la force de son dessin, son pouvoir de suggestion et ce découpage par cases, escalade garantie vers le plaisir sont autrement plus subversifs et excitants qu’un « youporn » consumériste. Ce livre qui n’est pas à mettre entre toutes les mains fera un excellent cadeau de fin d’année. Et contrairement aux prix littéraires, il sera lu.
Anthologie de la bande dessinée érotique, Vincent Bernière (Beaux Arts éditions)
*Image : « Gwendoline », de John Willie © ED. DELCOURT.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !