La présidentielle se jouera à droite. Ou plutôt aux droites, car il y en a plusieurs, de la progressiste à la populiste en passant par la conservatrice. La déroute du RN aux régionales a donné des ailes aux partisans de la candidature Zemmour. À défaut d’une victoire improbable, le trouble-fête pourrait participer à la refondation de sa famille politique.
La politique et le sport ont ceci de commun (et de plaisant) qu’ils peuvent encore réserver des surprises. Je vous épargnerai mes commentaires sur la défaite des Bleus, dont le bénéfice collatéral est d’avoir évité aux habitants des grandes villes quelques nuits de charivari aviné. Quant à la déroute macrono-lepéniste – surtout lepéniste, le président ne semblant pas souffrir de l’échec de son non-parti –, même si l’abstention massive rend hasardeuses les extrapolations, elle paraît avoir rebattu les cartes de la présidentielle.
Les commentateurs ont observé en chœur, généralement pour s’en féliciter, le retour du clivage droite/gauche, preuve que les vaches électorales sont bien gardées. C’est oublier que le RN, qui reste le premier parti du pays, conjugue un discours économique de gauche, et même de gauche dure, et un programme politique qualifié par commodité ou détestation de « populiste » – sécurité, immigration, frontières. C’est oublier aussi que les autres clivages apparus ces dernières années entre métropoles et périphéries, peuple et élite, souverainisme et mondialisme n’ont pas disparu par enchantement.
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Certes, l’alliance des populistes des deux rives n’est pas pour demain et tant mieux, la France insoumise ayant préféré la fuite en avant indigéno-racialiste à la reconquête des classes populaires. Par ailleurs, les forces de droite ont à des degrés divers (et la moitié du temps pour les macroniens) intégré la nouvelle donne idéologique que les analystes qualifient d’ailleurs de droitisation : les peuples veulent rester des peuples et réclament donc, en plus de la protection, de la continuité historique et une certaine dose de tradition. Pour l’avenir proche, le front principal ne sera donc pas l’affrontement entre la gauche et la droite mais la bagarre entre cinquante nuances de droite, de la « progressiste » (la droite « de gauche » si on se réfère à la lumineuse définition de Michéa de la gauche comme « parti de demain ») à la populiste en passant par la conservatrice. D’après les enquêtes récentes (IFOP, Cevipof, Fondapol), 13 à 25 % des Français se classeraient à gauche contre près de 40 % à droite, celle-ci se définissant à la fois par le refus du multiculturalisme (rejet de l’immigration, méfiance à l’égard de l’islam identitaire, irritation grandissante face aux délires woke) et par la croyance dans l’effort individuel plus que dans une solidarité collective virant à l’assistanat.
Ces arguties taxinomiques ayant de quoi filer la migraine sans vraiment éclairer la réflexion (les affiliations combinant désormais plusieurs paramètres), résumons : la présidentielle se jouera à droite. Mais pas avec le scénario écrit depuis des mois.
Dans ce contexte, un nouveau diablotin pourrait bien jouer le rôle du grain de sable. Certes, Éric Zemmour n’a pas déclaré sa candidature. Toutefois, l’hypothèse paraît moins farfelue qu’il y a un ou deux mois, et pas seulement pour ses partisans qui, au lendemain des régionales, ont tapissé la France de 10 000 affiches à sa gloire. Si le personnage suscite tant de passions, pressions et grognements, si les paparazzi le traquent, c’est bien parce que beaucoup de gens croient désormais à son entrée en lice.
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On se demande ce qu’un journaliste et intellectuel auréolé de tant de succès irait faire dans cette galère présidentielle, alors que le sondage le plus sérieux le crédite de 5,5 % des intentions de vote. Les arguments en défaveur de sa candidature abondent : le pouvoir culturel n’est pas convertible si facilement en adhésion politique ; il n’a pas de parti mais une machine militante embryonnaire (ultra-motivée il est vrai) ; c’est un solitaire incapable d’entraîner une équipe ; il aime la France mais se fiche des Français. Sans oublier le pari personnel que cela représente : il jette une existence heureuse sur le tapis pour une chance infime de rafler la mise. De plus, il prend le risque d’apparaître comme « le Taubira de la droite nationale », selon la formule de Marine Le Pen, qui craint de voir sa qualification au deuxième tour lui échapper à cause de l’enquiquineur. Sans doute à tort : d’après les premières enquêtes, Zemmour recruterait surtout ses électeurs dans la droite filloniste qui trouve Marine trop dirigiste et pas assez catholique, ce qui est savoureux quand on y pense. En réalité, les zemmouriens sont convaincus qu’elle ne peut pas gagner. « Si on pensait qu’elle avait une chance, ça n’aurait aucun sens qu’on y aille », résume un membre du premier cercle. En revanche, à l’instar d’un proche de Laurent Wauquiez, beaucoup le voient bien participant à une éventuelle primaire de LR, parti dont il fédère nombre de Jeunes Turcs.
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Si c’est seulement pendant l’été qu’il doit prendre « la décision la plus importante de sa vie », lui-même en a de plus en plus envie, comme le montre l’arrondissement des angles auquel il se livre, mine de rien, depuis quelques semaines. Convaincu de détenir le bon diagnostic et le bon remède pour la France, comment ne voudrait-il pas le mettre en pratique alors que ses partisans le révèrent comme un sauveur ? Sur Livre noir, chaîne YouTube animée par Erik Tegnér, proche de Marion Maréchal, il a confié sa peur de regretter un jour, comme Bainville, d’être resté un spectateur, aussi engagé fût-il. Quand on n’a pas les mains blanches de celui qui a l’air de ne pas y toucher, il serait ballot de découvrir sur le tard qu’on n’avait pas de mains.
Autre indice de sa détermination, il a pris le risque de brûler ses vaisseaux avec Albin Michel, en propageant une version de la rupture largement édulcorée : d’après les informations (très étayées) publiées par nos amis de Front populaire, il n’a pas du tout été viré. Son départ, s’il était bien lié à sa candidature, avait donné lieu à un gentleman’s agreement entre lui et son éditeur. Il aurait délibérément choisi de faire monter la mayonnaise en jouant les victimes sur le plateau de CNews, avant de laisser ses partisans et le public dénoncer une censure politique. Certains en concluent qu’il veut la jouer trumpiste. Ce serait faire une lourde erreur de casting sur les Français : beaucoup l’apprécient parce qu’ils le créditent de convictions sincères qui, pensent-ils, à tort sans doute, devraient exclure les turpitudes tactiques.
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Si Zemmour est candidat, on peut espérer que la campagne sera à la fois excitante et d’une certaine tenue intellectuelle. Les électeurs étant souvent taquins, on ne peut pas complètement exclure une victoire – sur le mode napoléonien qui le fait tant rêver. Cependant, s’il franchit le pas, il a forcément un scénario alternatif en tête. Ou d’autres l’ont pour lui. La vie ne s’arrête pas en 2022. D’un côté, dans cinq ans, Marion Maréchal aura 38 ans. Et de l’autre, beaucoup de jeunes militants LR, plus nationaux et plus identitaires que leurs aînés, le verraient volontiers prendre la tête d’un néo-RPR. Autrement dit, à défaut d’entrer à l’Élysée, il peut s’imaginer en faiseur de reine et/ou en refondateur d’un grand parti conservateur. Ce ne serait déjà pas mal.