À l’occasion de l’anniversaire des « 50 ans » de la Citroën CX, Monsieur Nostalgie évoque cette oblongue berline au charme gaullo-giscardien, dernière salve avant l’austérité, dernière fantaisie automobile avant le carcan du cahier des charges.
Après elle, plus rien n’a été pareil. Les crises ont scellé durablement notre existence. Les politiques ont emprunté le langage de la raison et de la com’, le sabir des vaincus. Les managers ont remplacé les capitaines d’industrie en dépeçant nos usines. Les élites ont abandonné les Humanités au profit des « conf call ». Les synthés ont supplanté la guitare sèche en faisant l’impasse des paroles dans les chansons. Les écrivains ont pris goût aux studios télé et les acteurs, leur carte d’abonnement dans les ministères.
Une parenthèse entre deux mondes
Bientôt Montand se prendra pour Tapie, et Renaud pour le Che. La CX, présentée à la fin de l’été 1974, est la parenthèse entre deux mondes, la fin du gaullisme sur fond de révolution sexuelle, le triomphe du marché sur les chaînes de montage et l’avant-gardisme fracassé sur le mur des économies d’échelle. Pompidou est mort. Les ouvriers vivent leur dernier quart d’heure de célébrité. VGE est à la barre. Mitterrand ronge son frein. Son tour viendra. Le nouveau monde ressemble à l’ancien en plus décomplexé et vorace, en plus plastique et mouvant, en plus doucereux et pernicieux. Cette CX arrive au pire moment. Elle est pourtant l’héritière de la DS, l’incarnation du haut de gamme à la française quand le style et la technologie étaient les mamelles de la croissance. On attend beaucoup d’elle. Elle porte le poids des chevrons sur son capot, toute la lyre, le Petit-Clamart et le Grand Charles. À la veillée, dans les chaumières, on raconte sa genèse, comment ce jour de 1955 au salon de l’Auto, sous les verrières du Grand Palais, elle est apparue, mi-soucoupe volante, mi-déesse de la route, aux yeux des mécréants du monde entier. Le journaliste des actualités télévisées parlait alors « d’une ligne hardie ». On prétend que les premiers propriétaires de DS 19 ont été déroutés par sa direction assistée et sa suspension hydropneumatique. La CX n’aura pas la même rampe de lancement et le même engouement populaire quoiqu’elle se vendra à plus d’un million d’exemplaires et obtiendra le prix de la Voiture de l’année en 1975. Le ciel s’est assombri sur nos démocraties. Deux ans avant le meurtre du petit Philippe Bertrand, la France a déjà peur. Guerre du pétrole et Trente Glorieuses en capilotade, l’heure est au serrage de boulons et au tour de vis budgétaire. Fini la récréation ! Fini les vacances au Crotoy ! Fini la Nationale 7 et ses platanes tentateurs ! Place aux autoroutes de l’information et aux cures d’amaigrissement.
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Un modèle qui ravit les citroënistes activistes
La CX est chère au cœur des citroënistes car elle est considérée comme la dernière production maison avant le rachat par Peugeot. Certaines prises de contrôle ne passent toujours pas, un demi-siècle plus tard. En catastrophe, la CX qui est dans les cartons depuis quelques années doit impérativement sortir et oublier ses rêves de motorisations nobles ou innovantes. Un bon « quatre cylindres » fera l’affaire. Elle n’en demeure pas moins une vraie Citroën avec ses codes esthétiques et sa mystique moderniste. On adhère à sa ligne ou on la rejette d’emblée. La CX n’est pas faite pour les centristes mous. Elle déploie sa propre dramaturgie, son propre vocabulaire, sa sérénité soyeuse, avec cette singulière différence qui émeut. J’entends encore mon beau-frère, citroëniste activiste, me parler de la lunule (tableau de bord), de son éclat et de son onde mystérieuse, comme s’il récitait du Rimbaud. Il peut disserter à l’infini sur le sujet des pneus TRX. La CX est un univers à part, incompréhensible pour les rationalistes enferrés. Notre regard s’est déshabitué à son profil dans les rues, ne subsistent que quelques souvenirs d’ambulance à la campagne et d’une Prestige élyséenne. On a oublié sa pureté originelle surtout la première série de cette routière, fluide et tourmentée à la fois, squale dévorant l’asphalte, anticonformiste et effilée dans la marée des SUV replets et satisfaits d’eux-mêmes.
Lorsque l’on croise son regard à nouveau dans « L’Alpagueur », « La Balance », dans un Derrick, Tatort ou même un obscur Schimanski, on revit. Dans « Trois hommes à abattre », une CX 2400 Super néo-polardeuse apparaît. Ultime morceau de bravoure. Au niveau des échangeurs de la Défense, elle est poursuivie par la rageuse Lancia Gamma d’un Alain Delon passablement énervé. On tremble pour elle.