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30 ans après… la Russie

Supplément aux «Lettres de Russie-1839» d’Astolphe de Custine


30 ans après… la Russie
Leningrad / Saint Petersbourg en 1935 Wikimedia Commons

30 ans après « la plus grande mutation géopolitique de l’histoire » selon Vladimir Poutine, la fin du communisme et de l’URSS, qui n’ont fait aucune victime, la Russie a-t-elle besoin de nous ? Et avons-nous besoin d’elle ?


Décembre 2021. La France s’expose à Moscou, dans ses plus beaux atours. Mille ans d’amitié franco-russe, exposition à l’initiative de l’Ambassade de France qui a la mémoire longue, pendant que la Russie fait de même à Paris avec l’exposition Répine, le plus grand peintre russe du XIX-ème siècle dont l’œuvre phare, « Les bateliers de la Volga » a fortement marqué les esprits à l’époque de l’école naturaliste française, dans le sillage de Zola.

On y apprend que la dynastie capétienne, une des plus longues de l’histoire du monde, n’existe que par le remariage en 1051 de Henri Ier, veuf sans enfant, avec une princesse Anne de Kiev, fille du roi Iaroslav. Le lectionnaire byzantin offert en dot à Henri 1er a été présenté à tous les sacres des rois de France pendant près de mille ans.

Dans un monde globalisé, tout le monde a besoin de tout le monde

Et chacun sait que la langue de cour à Saint Pétersbourg au XVIIIème et au XIXème siècles était le français. On connait la célèbre exclamation de Voltaire à la Grande Catherine : « Catherin je suis, Catherin je mourrai ! »

Le pacte franco-russe de 1894 a marqué le début de la première révolution industrielle de la Russie, avec les investissements massifs des entreprises françaises et la création des grandes industries textiles, minières et sidérurgiques et la construction du méga projet du Transsibérien. Provoqué par la révolution de 1917 financée par l’Allemagne, le retrait de la France a été une des conséquences de la plongée de l’Union soviétique dans une ère de tyrannie obscurantiste qui a duré 75 années, dans la droite ligne de l’autocratie fustigée par Custine.

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Obsédés par les souvenirs des révolutions de 1789 et de 1917 et des massacres qui les ont accompagnées, les putschistes de 1991, comme ceux qui les ont arrêtés, ont réussi à mener une double révolution pacifique qui a mis fin à la plus grande imposture politique du XXème siècle et à l’URSS qui en était la fille naturelle. La nouvelle Russie est née de cette tourmente géopolitique majeure. Le plus vaste empire de l’histoire s’est effondré sur lui-même sans un coup de feu et dans l’allégresse générale. Une première absolue dans l’histoire de l’humanité

Les débuts de la nouvelle Russie étaient problématiques. Plus un sou en caisse, des têtes nucléaires éparpillées sur un territoire immense, à la merci de seigneurs de la guerre locaux, une administration totalement corrompue, des pénuries généralisées, des frontières improvisées. Le monde retenait son souffle. La raison russe l’a emporté et ce qui aurait pu amorcer la fin de la civilisation est devenu un mouvement pacifique d’abolition de la tyrannie.

Si les premiers pas des républiques nées de l’éclatement de l’URSS furent pacifiques, on le doit à la sagesse de dirigeants de fortune pour la plupart issus de la nomenklatura soviétique. Mais leur incompétence se manifesta dans le domaine économique où les privatisations s’accompagnèrent d’un des plus grands pillages économiques de l’histoire de l’humanité. En l’espace de dix ans, entre le mur de Berlin et la crise de 2008, à la faveur des décrets de convertibilité du rouble de 1992 et 2006, des centaines de milliards de dollars ont disparu des caisses des entreprises exportatrices de matières premières (pétrole gaz, cuivre, charbon, bois, pêche entre autres) et de produits de base (engrais, aluminium, produits semi-finis), privant une économie exsangue de ses ressources. On a vu apparaitre sur la scène mondiale ces étranges nouveaux « grands ducs » dilapidant des fortunes usurpées et totalement stériles, en grands « robber barons » de bandes dessinées (les vrais « robber barons » américains, eux, avaient construit les Etats-Unis).

Malgré les immenses efforts qui ont présidé à la mise en ordre de marche d’un système déconstruit, les erreurs initiales, dont les principaux responsables sont morts ou exilés, pèsent encore lourd.

30 ans après » la plus grande mutation géopolitique de l’histoire » selon Vladimir Poutine, la fin du communisme et de l’URSS, qui n’ont fait aucune victime, la Russie a-t-elle besoin de nous ? Et avons-nous besoin d’elle ?

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Dans un monde globalisé, tout le monde a besoin de tout le monde. Une fois ce truisme asséné, la géopolitique s’invite à la table.

La Russie, même détachée des acquis de l’URSS, est toujours un empire eurasiatique, héritier à la fois des mongols de Gengis Khan et des slaves de la grande plaine cis-ouralique. Cette double descendance a été remise à l’ordre du jour par la conquête des steppes asiatiques au XVIIème siècle et l’irruption des Russes sur le Pacifique en 1639. La Russie coiffe littéralement l’Asie du sud, menace le Japon et jouxte l’Amérique depuis la vente, en 1867 de l’Alaska aux États-Unis. Sa population est le reflet de sa géographie. Slaves, tatars, turkomans, mongols vivent en bonne intelligence, ayant tous adopté la culture russe, même s’ils gardent leur religion.

On ne peut véritablement dialoguer avec un Etat que lorsqu’on a compris les ressorts de son ambition. Les Français, nombreux à Saint Pétersbourg depuis la révocation de l’édit de Nantes, régents de la Nouvelle Russie et d’Odessa à travers le duc de Richelieu, son gouverneur en 1803, savaient de quoi ils parlaient lorsqu’ils plaidaient déjà pour une alliance franco-russe au moment de l’invasion napoléonienne. À sa concrétisation, en 1894, la Russie commença enfin sa révolution industrielle et la France était au cœur du projet.

Suivant l’exemple des Etats-Unis qui, après la Révolution française répudiaient leurs dettes vis-à-vis de la France sous le prétexte qu’ils devaient l’argent à un roi qui n’existait plus, Lénine dénonça toutes les conventions financières avec la France sous le prétexte que l’argent avait été prêté au tsar, qui n’existait plus. La crise qui s’ensuivit a marqué des générations de Français. La Russie de 1991 n’a pas pris la dimension de ce scandale dans la mémoire française. Il faut continuer de lui expliquer.

« Comment, vous défendez la Russie de Poutine, qui est indéfendable ? » me dira-t-on ! À quoi je demanderai où en était la démocratie en France en 1819, à l’époque de Custine, 30 ans après 1789 ?

Il s’agit de savoir si la France a, ou non, intérêt à renouer avec la Russie. L’exposition en cours est un geste dans ce sens, en rappelant ce que les deux nations doivent l’une à l’autre et en mettant en évidence un « soft power » que la France est la seule à avoir. La relation entre deux Etats ne doit pas dépendre de dirigeants forcément provisoires, mais de données économiques et géo politiques étayées par le tropisme réciproque de deux peuples.

Auchan, premier employeur étranger en Russie

A cette aune, la réponse est évidente. Chaque fois que la Russie s’est allié à nos voisins de l’est, les choses ont mal tourné pour la France, quel que soit son régime politique. Chaque fois que les deux pays ont travaillé ensemble, c’est le contraire qui s’est passé. C’est précisément ce que montre l’exposition de Moscou qui dégage un fort potentiel émotionnel. Les Russes en sont à requalifier nos conflits en querelles de famille ! On est loin de la Russie de Custine !

Hélas, il manque à cette empathie une politique, des projets et des hommes qui la matérialiseraient.

La France désindustrialisée n’a plus grand-chose à apporter à une Russie qui est comme chez elle en Allemagne 70 ans après avoir conquis Berlin, et qui ouvre toutes les portes aux entreprises allemandes. Même chose avec le Japon. Et la prise en main de la Sibérie par les capitaux chinois n’est qu’une question de temps. Et pourtant ce qui existe marche : Renault, Total, Auchan (premier employeur étranger en Russie), mais on les compte sur les doigts d’une main. Il suffirait d’un bon accord économique et financier pour que tout démarre. Nous devrions peut-être prendre exemple sur les Allemands dans nos protestations sociétales et géopolitiques teintées de naïveté. Ne pas nous laisser entrainer par des Européens-anti russes historiques comme les Baltes et la Pologne qui, eux, ont vraiment des raisons de se méfier. Montrer à des dirigeants qui en ont toujours fait preuve à notre égard, du même respect que celui du président Jacque Chirac, dernier chef d’État à avoir une juste vue de l’importance de la Russie pour la France.

Des projets ? Il y en aurait beaucoup, dans l’espace, l’industrie navale, l’IT, le développement de la Sibérie, terre du XXIIème siècle avec le réchauffement. À condition de les conduire d’État à État. Le détour par l’Europe nous met forcément dans le sillage de l’Allemagne, ne nous laissant que des miettes. Pas besoin de beaucoup d’imagination mais de beaucoup de travail et de confiance. Alors, une expérience de trente ans en Russie m’autorise à dire que ça marche. Le marquis, engoncé dans ses préjugés aristocratiques, avait prédit une éternité autocratique. Trente ans après la renaissance de la Russie, lentement mais sûrement, un grand retour de la France en Russie pourrait ressusciter une vision commune qui s’était arrêtée en 1917. Il suffirait de le vouloir.

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Auteur de « Le naufrage de l’Union soviétique : choses vues » Transcontinentale d’Ed. 2020 Chef d’entreprise, vice-président de l’IUE (International Union of Economists)- Académie des Sciences de Russie.

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