Qui donc, quel blasphémateur, quel Croisé peu au fait du destin islamique de l’Europe a chanté «Le vrai Dieu sous ses pieds foulant le faux prophète»?
Et à quelle occasion ?
Le 25 mars 1821, Germanós, évêque de Pátras (au nord du Péloponnèse) lance — ainsi dit la légende : « La race impie des Turcs a comblé la mesure des iniquités ; l’heure d’en purger la Grèce est arrivée » — et il bénit le premier étendard de la liberté portant la croix blanche sur fond bleu.
Que croyez-vous que firent alors les gouvernements européens ? Ils condamnèrent cette atteinte aux droits sacrés des sultans qui depuis 1453 empalaient, crucifiaient et massacraient les Grecs. Metternich, le ministre autrichien qui par le Congrès de Vienne en 1815 avait établi un ordre européen monarchique, ne voulait pas qu’une insurrection démocratique donnât des idées aux divers peuples du continent — idées qui ont quand même éclos à partir de 1848, avec ce que l’on a appelé le Printemps des peuples.
Traditions turques
Pourquoi le 25 mars ? C’est le jour retenu par les scoliastes pour fêter l’Annonciation (soit neuf mois avant la naissance du Christ). C’est par ailleurs une date symbole dans la tradition chrétienne, premier jour de la création du monde, anniversaire de la chute d’Adam et Ève, de la mort d’Adam, du sacrifice d’Isaac, de la mort du Christ sur la croix, — et du Jugement Dernier, qui reste à venir.
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Les agnostiques savent, eux, que c’est la date de l’équinoxe de printemps dans le calendrier latin. Les grands événements religieux se sont coulés dans les traditions qui les ont précédés — tout comme la naissance du Christ a été fixée à la nuit la plus longue de l’année, en déplaçant quelque peu l’événement.
Les Turcs donc tenaient la Grèce d’une poigne de fer. L’humour ottoman consiste à empaler d’abord et à interroger ensuite. Et si Hugo (c’était lui, le blasphémateur cité en tête de cette chronique) parle globalement de l’Afrique, c’est que l’empire ottoman allait du désert de Gobi à la pointe extrême de l’Algérie actuelle, et couvrait tout le Moyen-Orient. Erdogan, en s’installant en Syrie ou en Libye, en revendiquant les fonds pétrolifères de la mer Egée, cherche à reconstituer cet empire qui a volé en éclats après le Traité de Sèvres en 1920. En appuyant l’Azerbaïdjan contre l’Arménie (un tic chez les Turcs) ou en massacrant sans trêve les Kurdes, il s’inscrit dans la même tradition.
Si les rois installés sur des trônes incertains après la fin de l’Empire se montraient conservateurs, il n’en fut pas de même pour les peuples, et surtout pour la frange intellectuelle et philhellène, comme on disait alors, ces jeunes gens passionnés qui revendiquaient l’appellation globale de Romantiques. Hugo s’enflamma, Byron paya de sa personne et s’engagea dans ce qui était une ébauche de Brigades Internationales — pour aller mourir finalement à Missolonghi, tué par des médecins besogneux : le soir de sa mort éclata un immense orage, signe que le poète était parti, dirent les Grecs, qui ont conservé quelques réflexes de l’époque polythéiste.
À Strasbourg, une mosquée à l’initiative Millî Görüs crée la polémique
La libération de la Grèce n’alla pas de soi. Les Turcs se livrèrent à des massacres, à Chios et ailleurs, qui indignèrent encore plus les Romantiques. Delacroix en fit un tableau saisissant. Précisons qu’une grande partie des populations insurgées fut effectivement massacrée, mais que bien plus nombreux furent les Grecs réduits en esclavage. Parce que les Turcs, comme les Arabes qui leur avaient communiqué l’islam, étaient des esclavagistes bien plus systématiques que les Occidentaux — et ils le restèrent bien plus longtemps.
Les puissances européennes n’appuyèrent les insurgés que lorsque leurs progrès furent évidents — surtout sous la pression russe, assez encline à soutenir des Orthodoxes. La marine franco-russo-britannique écrasa la flotte turque à Navarin en 1827, les Russes attaquèrent au nord, le pacha cerné de toutes parts reconnut l’indépendance de la Grèce en 1832. Plus de dix ans de guerre et des centaines de milliers de morts.
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Pourquoi penser à cela ? Eh bien parce que…
– nous sommes le 25 mars ;
– le Parlement européen a fait de son mieux, depuis 2008, à l’instigation des Allemands qui ont un vieux compte à régler avec la Grèce depuis 1944, pour écraser la Grèce sous des restructurations économiques impitoyables ;
– et à Strasbourg la mairie à tendance verte a décidé d’allouer une subvention de 2 563 000 euros pour la construction de la plus grande mosquée européenne, une mosquée turque appelée Eyyub Sultan, à l’initiative d’une organisation turque, Millî Görüs (qui a refusé de signer la charte pour un islam de France — des progressistes, sûrement), avec des capitaux turcs pour l’essentiel. Tout cela sur le dos du Concordat de 1802 qui a donné à l’Alsace un statut inspiré du Droit allemand qui permet de financer des lieux de culte avec des deniers publics.
Précisons qu’en même temps, la majorité strasbourgeoise, fort critiquée aussi bien par LR que par LREM, a refusé de voter une résolution proposée par l’Alliance de la mémoire de l’Holocauste. Antisémites un jour, antisémites toujours. Après tout, le vert est la couleur commune aux écolos et à l’islam.
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