Le président Macron est un immense espoir avorté pour la France, c’est entendu. Mais qui sont ses petits concurrents ? Philippe Bilger croque les candidats à moins de trois mois de l’élection.
Il y aurait tant de sujets plus sérieux à traiter… Les « féminicides » dont pour ma part je souhaiterais qu’on les intégrât dans la criminalité en général, même si j’admets le caractère spécifique du rapport de pouvoir et de la violence se substituant au langage souvent à la source de ces horreurs « intimes ».
Les propositions très pragmatiques et lucides des procureurs de la République dont la réflexion collective a d’heureux effets. Si on en retenait la plupart pour les appliquer, nul doute que la justice s’en porterait mieux. Il est intéressant de comparer cette approche très opératoire avec une tribune récente sur le statut du parquet, théorique et idéologique, sans la moindre incidence sur la justice réelle, au quotidien.
On pourrait m’inviter à traiter des sujets de fond en politique mais on devra admettre que depuis quelque temps, surtout à gauche et à l’extrême gauche, la psychologie des personnalités, la foire aux vanités et la lassitude devant d’incessants appels à l’unité sans la moindre chance d’être suivis d’effet, justifient ce que ma passion des tempéraments et mon désintérêt au fond pour des engagements qui seront à vérifier au feu du réel ne me conduisent que trop à faire : me plonger dans les êtres et les montrer tels que je les vois.
Commençons donc.
Fabien Roussel dont l’honnêteté, le bon sens, l’absence de démagogie sur certains sujets permettent même aux opposants résolus du parti communiste de ne pas s’étouffer face à certaines de ses autres considérations infiniment plus discutables. Il n’a aucune raison de ne pas camper sur ses positions autonomes.
Jean-Luc Mélenchon, insoumis peut-être mais très habile, le plus talentueux et parfois le plus convaincant médiatiquement, devenu apparemment si sûr de soi qu’il s’autorise une étrange modération à l’égard de ceux qui n’ont pas envie de rejoindre son giron qui vite les étoufferait, une certitude affichée (sans y croire ?) sur ses chances d’être au second tour, une intelligence, une inventivité, une richesse d’imagination, avec le mauvais caractère dont il se flatte, que paradoxalement je verrais mieux exploitées comme éminent conseiller plutôt que comme président qui forcément le limiterait.
L’inénarrable Christiane Taubira qui s’appuie sur ses échecs comme d’autres sur leurs réussites et qui à force de s’entendre répéter qu’elle était une icône a fini par y croire. Elle arrive à la fin tout enflée de son importance et s’imagine que l’annonce de sa participation à la primaire citoyenne va créer un immense mouvement de foule. Mais personne ne bouge ou quasiment. Je ne blâme pas la gauche. Elle a besoin d’idoles. Si elle les observait vraiment – par exemple lamentable garde des Sceaux -, elle n’en aurait pas. Alors elle brode et fantasme, qui pourrait le lui reprocher ? Une Taubira du vide pompeux et lyrique vaut mieux qu’une gauche vide de Taubira.
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Yannick Jadot en a assez et je le comprends. Il se bat pour une conception équilibrée, moins punitive, de l’écologie mais certaines municipalités ne cessent de lui préjudicier avec leurs absurdités. Il a déjà eu une primaire citoyenne avec une Sandrine Rousseau dont il a eu du mal à se dépêtrer, il n’a pas envie d’en recommencer une autre qui n’aurait aucun sens trois mois seulement avant l’échéance d’avril. Dans le passé, il a déjà pâti d’un comportement sacrificiel sur le plan politique : il n’est pas masochiste au point de vouloir le renouveler ! Au fond, parce qu’il tente douloureusement d’être un écologiste acceptable par tous, on ne cesse de lui reprocher d’être macroniste ou, pire, de droite. C’est sans doute pour ce qu’on lui prête que je l’apprécie mais je sais que je fantasme : il est de gauche et il coche toutes les cases d’un futur réfrigérant à force d’être sobre. Mais citoyen on n’est pas enfermé dans son camp : je me donne le droit d’estimer ailleurs !
Anne Hidalgo a fini par accepter le fait que sa réélection à la tête de la mairie de Paris a été un miracle que l’état de la capitale, sur tous les plans, rend de plus en plus scandaleux. Au moins elle n’a pas pu s’appuyer sur une gestion municipale calamiteuse pour nous vanter son avenir présidentiel avec elle. Coincée entre une surenchère quantitative et démagogique et un mépris infini pour ceux qui n’ont pas leurs signatures – il est vrai qu’ils sont à plus de 10 quand elle est à quatre ! -, elle cherche désespérément à favoriser une primaire pour que son fiasco individuel probable soit noyé dans un désastre global. Il y a tout de même une justice en politique : on ne peut pas tromper tout le temps l’électeur.
J’aime bien Arnaud Montebourg, son élan et son talent mais cela ne suffit pas pour que je l’insère dans mon portrait de groupe.
Éric Zemmour – ce « républicain radical » que j’apprécie mais pour lequel je ne voterai pas au cas où il aurait ses signatures (il est clair qu’on cherche à l’éliminer par ce biais si peu démocratique) – ne sera pas au second tour. Il continue certes son tour de France, applaudi par des soutiens persuadés du contraire. En même temps il me semble qu’il a déjà tout donné de ce pour quoi il avait décidé de se lancer dans la joute, ses thèmes seront encore au cœur des débats officiels mais j’éprouve comme l’impression, chez lui, d’une lassitude, moins physique qu’intellectuelle. Comme si l’enchantement et l’ivresse avaient dû céder la place au dur exercice d’un métier politique et que ce n’est pas drôle tous les jours. Vouloir « se payer » tous les jours Valérie Pécresse ou Marine Le Pen n’est sans doute pas à la hauteur des ambitions qui étaient les siennes. On lui fera peut-être jeter l’éponge mais lui-même ne la jettera pas. Il ira au bout d’une manière ou d’une autre. Sans vouloir être offensant, l’arrivée de l’évolutif Guillaume Peltier comme porte-parole ne modifiera pas la donne : ce dernier risque d’être plus questionné sur son parcours que sur sa destination. En tout cas, les médiocres ou haineux qui n’auront cessé de le traîner dans la boue en seront pour leurs frais : il méritait d’en être (même si j’ai toujours estimé que la « bête » médiatique, triomphateur dans tous les débats de ce type, aurait dû demeurer dans son extraordinaire registre).
Marine Le Pen sera peut-être au second tour mais elle perdra, de peu au mieux, face à Emmanuel Macron, encore royalement installé dans son simulacre de président hésitant et de candidat pourtant ostentatoire. Elle aura tout essayé pour se dédiaboliser, pour se normaliser, pour perdre le soufre en conservant la rupture mais l’un n’allait pas sans l’autre. Elle est devenue classique, responsable, comptable de ses pensées et de ses mots, une sorte d’anti-Zemmour dont elle prophétise le déclin et regrette l’hostilité. Jamais apparemment l’ombre d’un pessimisme chez elle : une femme de combat ; elle en a tant pris ! Le regret fugace, rejeté, honni, de ne pas s’appeler Marine Maréchal… ainsi tout aurait été métamorphosé. Mais Marine Le Pen ne rêve pas et se répète qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Une dernière fois.
Valérie Pécresse a fait l’union autour d’elle et ce n’était pas simple. Mêler la vigueur, voire la roideur Ciotti à la fermeté douce Pécresse n’était pas un pari gagné d’avance. Ceux qui ont besoin des apparences et ne reviennent jamais sur les fausses images qu’ils cultivent ressassent que Emmanuel Macron et elle constituent une personnalité interchangeable. Guillaume Peltier fait semblant de partager cette absurdité. Rien n’est plus faux. Valérie Pécresse dominera ce contraste, qui peut gêner, entre la fermeté roborative d’un discours, toujours espéré, jamais entendu au niveau présidentiel depuis 2017, et le velouté civilisé d’une voix qui paraît la démentir. Mais on n’est pas obligé d’être une « grande gueule » pour être fiable. En réalité, sur elle, reposent beaucoup, trop, d’espérances. Ses soutiens veulent qu’elle gagne. D’autres attendent qu’elle l’emporte pour éviter la réélection d’Emmanuel Macron, qui serait pour eux le pire futur. Qu’elle n’oublie pas qu’elle est sollicitée de ces deux côtés. Parce que, si elle est au second tour, elle peut, elle doit le vaincre.
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Je ne peux pas finir sans évoquer le monarque devenu au fil du temps si peu républicain. Emmanuel Macron tel qu’en lui-même le nouveau monde entrevu l’espace d’une seconde et l’ancien poussé à son comble l’ont révélé. Intelligent, roué, cynique, humaniste quand il faut, déconstructionniste à l’étranger et pour complaire, adepte des convictions successives et contradictoires, des repentances à foison, des commémorations emplies de larmes et d’impuissance, s’affichant régalien tout à la fin, plein de lui-même, brutal à l’encontre de ceux qui ne lui font rien risquer, complaisant de compréhension molle et de verbe confortablement volontariste à l’égard de ceux qui, partout, dans les cités ou ailleurs, ensauvagent la France, convaincu d’être réélu, s’étant approprié le camp de la raison mais n’ayant pas négligé celui de la provocation, repentant mais à nouveau coupable le lendemain, transgressif dans la soie et le velours, jouant d’un favoritisme sans scrupule, nommant sans autre principe que son bon plaisir, certain que les promesses n’engagent que lui, donc nulles et non avenues, lettré mais sans excès, solitaire dans la pompe de soi, pour le paraphraser avec son fameux « Cuba sans le soleil »), lui, roi mais sans le soleil, méprisant les Français mais pas comme de Gaulle, en les faisant participer à une Histoire, à une épopée plus grandes qu’eux.
Emmanuel Macron demeurerait, non réélu, tel un immense espoir avorté, avec une gauche et une droite non pas dépassées mais survivantes, l’une apparemment défaite mais l’autre revigorée, et, s’il gagne à nouveau, comme la preuve que la politique n’est pas morale et que le suffrage universel souffle sur qui il veut. Avec la légitimité qui en résultera.
Qu’on ne voie pas dans ce portrait de groupe l’ombre d’une dérision à l’égard de quiconque. Je respecte profondément le service politique et républicain en gros même si j’ai quelques réserves au détail…
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