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2019: bonne année de Nice!

Les gilets jaunes ont encore du pain sur la planche


2019: bonne année de Nice!
Nice, place Garibaldi. Wikipedia. Txllxt TxllxT.

Fêter le Nouvel an à Nice, c’est observer les plaques de rue qui jalonnent le temps. Une façon d’invoquer les mânes de Nietzsche, Aragon, et la Résistance… Bonne année !


1er janvier 2019, 0h01, les sirènes sur le port de Nice, entendues depuis le balcon de l’immeuble de la rue Ségurane où une plaque nous indique obligeamment que Nietzsche a séjourné ici. On aurait aimé le croiser dans l’escalier, Nietzsche, et lui demander des comptes sur la mort de Dieu. Parce que, pour un mort, il se porte bien, Dieu. C’est en son nom qu’on se massacre un peu partout de nouveau depuis 2001 et que ça risque de continuer en 2019.

Avec le temps, va…

On pourrait, par provocation, dire que notre première pensée a été pour les soixante ans tout ronds de la révolution cubaine. Le 1er janvier 1959, Castro et ses guerilleros entraient à La Havane au matin : soixante ans à narguer l’impérialisme américain. Mais ce n’est pas vrai, cela n’a pas été notre première pensée. Comme toujours, dans ces moments-là, notre première pensée est pour le Temps. Celui qui passe, celui qui reste et comment, surtout, l’employer. La provocation, c’est bon quand on est jeune. Première résolution de l’année, ne plus provoquer. Le provocateur, c’est quelqu’un qui a peur ou qui veut se faire de la pub. Ou les deux. C’est de l’épate-bourgeois, que le bourgeois soit de gauche ou de droite.

On a ouvert une bouteille de Drappier brut nature. Le Pinot Noir, contrairement à la série du même nom, rend tout très lumineux. On en arriverait même, en regardant les bouquets de mimosa sur la table, à trouver un avantage au réchauffement climatique. Cette lumière jaune et moussue arrive de plus en plus en avance d’après la fleuriste du Cours Saleya.  Elle doit être payée par le GIEC, cette femme. Non, on avait dit qu’on arrêtait les provocations.

Le paysan de Nice

Puisqu’on parle du Cours Saleya, on y retrouve une autre plaque : « Louis Aragon et Elsa Triolet ont séjourné en ce lieu de l’automne 41 à l’automne 42. »  Je me souviens du poème sur sa rencontre avec Carco :

Tu meurs sans avoir vu le drame
Carco qui ne sus que chanter
Te souviens-tu de cet été

De Nice où nous nous rencontrâmes

On faisait semblant d’être heureux
Le ciel ressemblait à la mer
Même l’aurore était amère
C’était en l’an quarante-deux

Les plaques, c’est ce que nous traquons dans toutes les villes, elles forment un réseau secret de sens, elles font circuler une énergie invisible qui est celle de la mémoire, elles fonctionnent comme des manières d’accumulateurs qui se nourrissent de ceux qui les lisent, souvent en les découvrant par hasard. Elles célèbrent le génie oublié ou le héros inconnu. Cette fois-ci, à Nice, pour ce séjour, deux autres rencontres alors qu’il y a longtemps que nous savons retrouver Apollinaire, Bonaparte, Garibaldi, Gary ou Joyce. D’abord, la plaque de Jean Lorrain, sous la colonnade du Palais Astraudo, face au port. Cela aurait été sa dernière demeure. Il est bien oublié Jean Lorrain. Fin de siècle décadent jusqu’au bout des ongles, goût pour la beauté morbide, l’éther et les mauvais garçons. On peut pourtant encore lire avec plaisir Monsieur de Phocas.

Les vœux anesthésiants

Et puis l’autre, plus émouvante, à quelques pas du musée Chagall, au Cimiez : le résistant FTPF Emile Krieger, blessé le 28 août 44, capturé et mort en déportation le 11 janvier 45 à Innsbruck. On pourrait bien sûr imaginer un roman sur l’ironie du sort qui fait mourir un jeune homme si peu de temps avant l’effondrement du Reich. Sur son courage, aussi, sur ce que signifiait libérer une ville, sa ville, dans la chaleur de l’été et de voir sa mort arriver. Se souvenir, alors, de la plaque de Nietzsche, de ce qu’il disait de l’acquiescement dionysien à l’Eternel Retour: « Cette joie qui porte encore en elle la joie de l’anéantissement. « 

On a écouté les vœux présidentiels, aussi. Bon. Comment dire ? Anesthésiants et incantatoires à la fois. Coup de téléphone à ma mère, ancienne infirmière, pour la bonne année, le lendemain : « Ce n’est pas parce qu’il dit le mot « hôpital » qu’il a réglé les problèmes de l’hôpital. » Apparemment, pour les robinets à commentaires des chaînes infos et autres spécialistes et experts de garde qui ont suivi, c’est pourtant le cas. Macron a pris à bras le corps tous les problèmes puisqu’il les a nommés.

Retrouver le niveau de vie des années 70

Peu importe qu’on ait appris, par la bande, grâce au Monde, que le 28 décembre, en catimini, les règles contrôlant les chômeurs se sont durcies au point que le salaire perçu avant un licenciement n’entre plus en ligne de compte pour définir « une offre raisonnable de Pôle Emploi. » Il faut que tout change pour que rien ne change. Les gilets jaunes ont encore du pain sur la planche. Quand est-ce que ce pouvoir va comprendre que ce mouvement est simplement le désir des Français de retrouver un niveau de vie qui était celui des années 70 et qu’on cesse de leur répondre que « ce n’est pas possible » comme si le capitalisme était un videur de boite de nuit qui vous empêche d’entrer pour participer, un peu, à la fête ?

En attendant, un dernier verre place Garibaldi, en terrasse, dans la lumière de janvier. Et souhaiter que l’année qui vient soit, pour nous tous, aussi douce que ce bleu-là.

Monsieur de Phocas

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