2016: la bonne année?


2016: la bonne année?

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Si ça continue, il faudra que ça cesse ! En regardant les éminences de droite, de gauche et du centre jurer la main sur le cœur, au soir du 13 décembre, que cette fois, ils avaient entendu le message, et que, à l’image de saint Xavier Bertrand, ils allaient désormais faire de la politique autrement, cet hilarant slogan sorti du cerveau facétieux de notre ami Basile me revenait sans cesse en tête. J’ai beau être bon public et y croire à chaque fois que le héros dit à l’héroïne qu’il l’aimera toujours, le coup du « je vous ai compris » commence à s’user.

Une fois de plus, il a vite été clair qu’on réussirait à ne pas comprendre grand-chose. L’esprit du 13 décembre a donc duré moins que les roses, deux ou trois heures tout au plus. Dès le lendemain on s’est bruyamment félicité de la victoire du merveilleux Front républicain, autre nom de l’UMPS. En vrai, cela revient à se mettre à deux contre un, qui est donc presque assuré de perdre. L’arithmétique démocratique a beau être scrupuleusement respectée – et avec elle les vœux de deux tiers des électeurs –, il y a quelque chose de pas très fair-play dans une victoire obtenue en excluant a priori un tiers de l’électorat de la décision publique.

Le fameux message que chacun jure avoir entendu, c’est évidemment celui des électeurs du Front national, ces aliens de la République que l’on dépeint tour à tour comme des extraterrestres, une tribu primitive, des victimes d’un tremblement de terre ou des enfants qui réclameraient plus de câlins. À en croire une étude publiée par Le Monde, ils sont près de neuf millions, tout de même, à avoir mis un bulletin FN dans l’urne à l’un des deux tours au moins. Neuf millions d’étrangers dans la Cité, ça devient compliqué de faire comme s’ils n’étaient pas là. C’est pourtant ce qu’on s’est très vite employé à faire. Mais en y mettant les formes.

De fait, il faut reconnaître qu’on leur cause meilleur. On ne les insulte plus, plus comme avant. Certes, on continue à dire que le parti pour lequel ils votent se situe quelque part entre Pétain et Hitler (Pétain pour la France, Hitler pour la force), et qu’il menace la République, mais eux, on ne leur en veut pas, au contraire. On leur répète qu’on les aime et on les implore d’arrêter les bêtises. S’agissant d’adultes autonomes, cette sollicitude inquiète doit être un peu pesante, mais mieux vaut sans doute être pris pour un imbécile que pour un nazi.

On s’est donc employé à décoder ce fameux message. À croire qu’ils parlent pas français, ces gens-là. Une cohorte de Champollion de plateaux télé nous a expliqué, après mûre réflexion, que les gens qui votent FN ne sont pas contents à cause du chômage – pourquoi, les électeurs socialistes, ils sont contents ? Pas ceux qui viennent de perdre en masse un poste « à la Région », en tout cas. D’autres savants ont lu dans les entrailles du peuple que tout ça, c’est la faute à la mondialisation, comme si cette mondialisation qui dévaste le monde suscitait, en dehors des électeurs frontistes, une adhésion enthousiaste. Toute la panoplie des explications acceptables – misère, inégalités, discriminations – a ainsi pieusement été déroulée.

Sans surprise, la seule option qu’on s’est bien gardé d’explorer, c’est celle qui consisterait à les prendre au sérieux et à écouter ce qu’ils disent plutôt que de chercher entre les lignes. Pour cela, il faudrait cesser d’agiter des gousses d’ail et des crucifix métaphoriques dès que certains mots sont prononcés et que certaines réalités sont évoquées. Quand, en dépit des sermons et des menaces – et parfois à cause d’eux –, on vote pour le Front national, ce n’est pas pour ce qu’on trouve ailleurs. C’est parce que, à tort ou à raison, un nombre croissant de Français le voient aujourd’hui comme le parti de la France. Du reste, il est le seul à défendre explicitement, dans son programme, la permanence de quelque chose qui s’appelle la France. On peut trouver toutes sortes de défauts à la France de Marine Le Pen – ou à celle de Marion Le Pen. Encore faudrait-il lui en opposer une autre, qui ait une autre consistance que celle des mots « ouverture », « égalité » et « République ».

Le mystérieux message du vote frontiste tient en quelques mots : règle du jeu à l’intérieur, frontières à l’extérieur. Quoi que racontent les amuseurs antifascistes, cela ne signifie pas dictature et autarcie. Cela signifie retrouver un espace dans lequel on peut décider collectivement de son destin. Ce qui, concrètement, suppose de réduire drastiquement les flux migratoires et de cesser de proclamer qu’on est une terre d’accueil contre le vœu d’une majorité de Français. Seulement, sur ce sujet, la tartufferie est de mise. En privé, pas un responsable politique ne dirait aujourd’hui que l’immigration est un bienfait et qu’il faut l’accélérer. « Je n’ai jamais rencontré un maire qui veuille plus d’immigrés », confie Christophe Guilluy. Dans l’arène publique, ne pas célébrer l’immigration de masse comme un bienfait en soi, c’est être coupable de racisme. Pour que le débat puisse avoir lieu, il faudrait que ceux qui se sont livrés à une propagande frénétique, pour faire croire que le tourbillon démographique et la plasticité culturelle qui va avec étaient l’état normal et désirable des sociétés, admettent qu’ils ont menti. Ou qu’ils se sont trompés. Ce n’est pas pour cette année. Après tout, pourquoi s’infliger une déprimante introspection puisque le FN n’arrivera jamais à 51 %, et qu’en attendant il est bien utile dans son rôle d’épouvantail à électeurs ?

Dans ces conditions, on doit se demander par quelle fantaisie nous annonçons en une que la France est de retour – et qu’elle n’est pas contente. Tout d’abord, la France dont il est question ici, c’est le « pays réel », ce pays qui, bien au-delà du vote FN veut rester un peuple, un peuple accueillant mais ferme sur ce qu’il est. Bien sûr, nous n’avons pas plus de titres que d’autres à lui ausculter l’âme – mais pas moins non plus –, et on ne niera pas qu’il y a dans notre titre combattant un peu de wishful thinking. Tout de même, de nombreux signes laissent penser que l’année écoulée a ranimé l’envie, et peut-être la volonté, de refaire une collectivité, donc de lui donner un sens, qui ne se réduit pas à la récente mode tricolore. Que ce désir de France – expression aussi énervante que le vivre-ensemble, mais il ne m’en vient pas d’autre – aille avec l’envie d’adresser un gigantesque bras d’honneur aux sermonneurs médiatiques et politiques n’est pas le moindre de ses charmes. On ne saurait exclure d’emblée que cette heureuse lucidité fasse son chemin dans les hautes sphères et que quelques-uns de nos dirigeants parviennent à changer pour de bon. Il se dit même que le président est aux manettes et qu’il mesure la gravité de la situation. Bref, que la France est de retour, pour de bon. En attendant de savoir si ce nouveau cours n’est pas une lubie de communicants, nous faisons le pari que l’énergie qui s’est levée en réponse aux attentats ne se contentera pas de résister aux terrasses des cafés. Mais nous pouvons nous tromper.

Une chose est sûre : 2015 a été une année pourrie. Pas à cause du 6 décembre, mais à cause du 7 janvier et du 13 novembre. Pourtant, ce n’est pas le terrorisme que la France a découvert en 2015 : depuis les années 1980, elle a connu un certain nombre de ses variantes arabes et islamistes. Les attentats lui ont révélé ce que ses gouvernants s’évertuent à lui cacher – les fractures qui la minent. Elle a dû admettre qu’une partie de ses citoyens la détestait et que ce n’était pas de sa faute à elle. Et elle a compris qu’on lui avait raconté pas mal de bobards.

Il est évidemment hasardeux d’affirmer qu’on a basculé dans la France d’après – une France bienveillante avec ceux qui l’aiment et implacable avec ceux qui veulent la détruire. Les changements dans l’esprit d’une époque ne s’accomplissent pas en une nuit, ils travaillent les esprits, font bouger les lignes en profondeur. Peut-être que, finalement, 2016 ne sera qu’une déprimante répétition de 2015. Nous préférons imaginer, sans y croire complètement, que pour les historiens du futur, 2016 sera l’année du sursaut, celle où la France a retrouvé le goût de l’Histoire. C’est au moins la promesse qu’on ne s’ennuiera pas.

*Dessin : Ranson.

Janvier 2016 #31

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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