Il était une fois 2015 (1/3)


Il était une fois 2015 (1/3)

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2015 n’a pas été une mince affaire. Attaques terroristes d’une ampleur inédite sur le territoire national. Retour de Pif Gadget en kiosque. Afflux inédit de migrants en Europe. Montée en puissance du comique américain Donald Trump, dont la stand-up comedy permanente pourrait bien se poursuivre en cette nouvelle année… Ce fut éprouvant… En 2015, les Français ont découvert, médusés, que deux familles de gitans peuvent paralyser – seules – une autoroute entière avec un feu de palettes et trois vieux J9 d’origine douteuse. En 2015 le monde a joué à la fin du monde, mais fut sauvé de justesse par Laurent Fabius à la Cop 21. La France a échappé de peu au péril nazi personnifié par Marion Maréchal-Le Pen, et à l’issue d’une bataille colossale, Fernandel est arrivé à la présidence de la région PACA. Une année d’amalgames, de padamalgames… une année qui a vue la disparition d’Anita Ekberg, la surfemme fellinienne de la Dolce Vita, de Demis Roussos (à ne pas confondre avec Alexis Tsipras, qui a suscité cette année d’autres types de fantasmes), de Roger Hanin le cow-boy du far-Oued, mais aussi François Maspero, Percy Sledge, la chanteuse Patachou (qui avait révélé Brassens), le bluesman Charles Pasqua, BB King… Une année que nous allons passer en revue de A à Z…

Autrice. Dans la nécrologie de la cinéaste Chantal Akerman, publiée par Le Monde, j’ai découvert le mot « autrice »… Il m’a fallu attendre 2015 pour être frappé de cette révélation…de nos jours il n’y a plus d’auteurs, ni même d’auteures, mais des autrices… ! J’ai d’abord cru à une erreur de la journaliste, une regrettable faute de frappe, un scélérat incident lors de l’impression… Que nenni. Renseignements pris, malgré la réticence de l’Académie française (pour les immortels « auteur » n’a pas de féminin), « autrice » est reconnu par Le dictionnaire officiel du jeu de Scrabble, et par le bréviaire des modernes. Je crois que je vais vraiment avoir du mal à parler le sabir de l’époque… – Et sinon, amis journalistes, ce serait bien d’arrêter de titrer « Clap de fin » quand un réalisateur passe l’arme à gauche, merci.

Avant-guerre. Les grands événements, ou les morts célèbres, ont un effet singulier sur nos mémoires. On se souvient tous de ce que nous faisions lorsque nous avons appris la disparition de telle personnalité, ou quand les avions se sont jetés sur les tours jumelles de New-York. Il en sera de même pour le 13 novembre 2015, l’une des dates les plus sombres de l’histoire de notre pays. Personnellement, au moment du drame, j’écoutais le Concerto macabre (cela ne s’invente pas…) de Bernard Herrmann à l’auditorium de Radio France ; dans le métro du retour j’ai vu des scènes de panique, tandis que les haut-parleurs annonçaient de manière parfaitement surréaliste que des « incidents sur la voie publique » se déroulaient quelque part dans Paris. A partir du moment où un suicide est un « accident grave de voyageur » il est normal qu’un massacre soit un incident… Le 13 novembre ressemblait pourtant à une journée postmoderne tout à fait normale. C’était même la Journée mondiale de la gentillesse (mais aussi la Journée mondiale de la vasectomie). En pleine campagne pour les élections régionales Marine Le Pen était en meeting à Rouen, Manuel Valls était en déplacement à Dijon sur le thème des « fonctionnaires ». A midi François Hollande a remis le Prix Elysée de la photographie à un artiste. Les médecins libéraux étaient en grève pour dénoncer le projet de loi santé. En Avignon se tenaient les « Etats Généraux LesbiensGayBiTransInter » (sic). Eurostat publiait le chiffre vertigineux de la croissance dans la zone euro. Les One Direction (ne me demandez pas de quoi il s’agit) sortaient leur nouvel album. L’hystérie collective au sujet de la Cop21 était à son comble. On parlait beaucoup du sort des migrants, de leur accueil, de leur destin. Dans les colonnes de Libé les progressistes de confort dénonçaient gravement le péril frontiste. On remettait le Prix Interallié. L’Obs consacrait sa Une à Nicolas Hulot. L’Express ressortait son éternel marronnier du classement des cliniques où il fait bon mourir. C’était un vendredi 13. C’était juste avant les attaques islamistes abominables qui ont ôté la vie à 130 personnes, dont près d’une centaine dans sa seule salle du Bataclan. C’était juste avant le trou noir… Les historiens, dans le futur, feront de 2015 le dernier jalon de notre avant-guerre…

Bécasse (mordorée). Président de la République n’est pas un métier facile. Il faut savoir faire du scooter, maîtriser l’art de l’anaphore, faire semblant d’être copain avec des écologistes, prendre des postures, pratiquer l’effet de manche, parler couramment la langue de bois… il faut aussi donner des interviews à des magazines spécialisés. C’est important les niches, surtout quand une élection se profile. Aller à la rencontre des lecteurs de Tatouages magazine pour dire que l’on caresse le désir de se faire graver un petit Rocard sur la fesse droite. S’aventurer chez Molosse Passion et parler de son labrador. François Hollande ne fait pas exception à cette règle et a donné – cette année – une assez pénible interview au Chasseur Français. Peu après la crise agricole qui a envoyé des centaines de tracteurs dans Paris, le président a entrepris de parler ruralité sur pas moins de  huit pages…  Allant jusqu’à déclarer des trucs du genre : « Grâce à la Corrèze, j’ai pu découvrir la chasse. Les jours d’ouverture sont l’occasion de fêtes qui se préparent dans l’enthousiasme, dans l’émulation et dans la camaraderie. J’ai également été invité à la table de nombreux chasseurs. J’ai assisté à des battues » Malheureusement, malgré ces efforts rhétoriques colossaux, le magazine a réservé sa Une à la bécasse mordorée… Dur.

becasse chasse

Cabu. L’année a très mal commencé. Pour beaucoup par une migraine, comme après toutes les soirées de Saint-Sylvestre. Mais la France s’est réveillée avec une vraie gueule de bois le 7 janvier, date du massacre de bon nombre des membres de la rédaction de Charlie Hebdo, hebdomadaire satirique qui avait eu l’impudence de représenter Mahomet et de moquer l’intégrisme religieux. Parmi les grands dessinateurs assassinés ce jour-là, Honoré, Charb, Tignous, Wolinski… choisissons de dire quelques mots de Cabu. Né dans les années 30, sévissant dans les pages de Charlie mais aussi dans bien d’autres journaux, dont Le Canard Enchaîné, il a laissé des personnages forts qui peuplent déjà notre imaginaire collectif tels que le Grand Duduche, l’adjudant Kronenbourg ou le « Beauf », notre prochain. Anar, libertaire, talentueux, mélomane, grand admirateur de Trenet, pitre chez Dorothée pour toute une génération (la mienne), le dessinateur racontait cette anecdote touchante à nos confrères du JDD un an avant le drame : « À mes débuts à L’Union de Reims, j’avais dessiné une clocharde de Châlons. On la surnommait Marie la Lune. Elle vendait des cartons pour vivre. J’en avais fait une BD. Mais plus je la faisais vivre comme personnage, plus les enfants lui jetaient des pierres. Un jour, elle a été blessée. On l’a emmenée à l’hôpital. Je suis allé la voir. Et j’ai arrêté de la dessiner. » On ne sait pas ce qu’est devenue Marie la Lune, mais Cabu nous a appris que pour Mahomet c’était dur d’être aimé par des cons… Il ne fallait pas transiger avec le fanatisme et Jean Cabut – comme ses copains de Charlie – est mort les armes à la main.

à suivre…

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21676854_000208.



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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