Notre directeur adjoint de la rédaction Jeremy Stubbs esquisse le bilan des deux décennies passées du Royaume-Uni dans la revue de géopolitique Conflits. Sortie de l’Union européenne, victoire des travaillistes puis des conservateurs, rapports avec les États-Unis, les 20 dernières années ont été riches de surprises. Nous reproduisons ici cet entretien.
Revue Conflits. La géostratégie britannique est d’abord caractérisée par la special relationship entre Londres et Washington. Depuis la guerre en Irak de 2003, où Tony Blair fut virulemment décrié comme le poodle (caniche) de Bush, jusqu’à l’alliance AUKUS signée entre le populiste Boris Johnson et l’antipopuliste Joe Biden, les relations anglo-américaines semblent inébranlables. Pourtant, le moins qu’on puisse dire, c’est que ces relations diplomatiques n’ont pas toujours été au beau fixe et ont connu des périodes de refroidissement. Quel est le bilan de la special relationship ces 20 dernières années ?
Jeremy Stubbs. La special relationship est surtout de nature opérationnelle, en termes de renseignement et de coopération militaire. Elle est le fruit de l’alliance étroite entre le Royaume-Uni et les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale et est fondée sur le principe que cette collaboration doit continuer, quels que soient les hauts et les bas des relations diplomatiques bilatérales, et qu’il y ait ou non des actions d’éclat à accomplir ensemble. Très souvent, les grandes interventions militaires se sont faites malgré la special relationship. On pense à Suez, où les Britanniques se sont fait vertement tancer par les Américains ; au Vietnam, où les Britanniques ont refusé de seconder les Américains ; ou aux Malouines, où Margaret Thatcher a découvert que son meilleur allié n’était pas Ronald Reagan, mais François Mitterrand. Le « poodlism » de Tony Blair dans la guerre d’Irak a laissé un goût amer pour les opérations de cette envergure, surtout parce qu’il était fondé sur des renseignements qui se sont révélés être faux. Quand Barack Obama devient président en 2009, il lance ce qui est censé être un grand changement de cap dans la politique étrangère des États-Unis, mettant l’accent désormais beaucoup moins sur les relations avec le Royaume-Uni et les autres alliés européens traditionnels, et beaucoup plus sur de nouvelles relations au Moyen-Orient et en Asie. Ces nouvelles relations ne se concrétisant pas, M. Obama est contraint, à regret, de rester plus ou moins proche des pays amis du Vieux Continent. Avec Donald Trump, qui met en avant sa différence avec M. Obama ainsi que son ascendance écossaise, les beaux jours des relations anglo-américaines semblent de retour, mais en réalité les gouvernements britanniques ont eu du mal à appréhender sa préoccupation – toute naturelle – pour la grandeur des États-Unis (« Make America Great Again ») ainsi que son style de négociation idiosyncrasique. Paradoxalement, les choses se passent mieux avec son successeur antipopuliste, Joe Biden. Certes, l’ascendance irlandaise (il a aussi des ancêtres anglais, mais ils n’ont pas de valeur électorale) et le catholicisme de M. Biden l’ont amené à exprimer une grande impatience pour les négociations qui paraissent interminables sur le protocole nord-irlandais (protocole qu’il ne comprend qu’à moitié, semble-t-il).
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Pourtant, il a bien compris les raisons de l’inquiétude au sujet de la Chine ressentie par M. Obama, dont il a été le vice-président, et même l’hostilité exprimée par M. Trump. Dans cette nouvelle guerre froide avec la Chine, il s’est immédiatement tourné vers son plus proche allié, le Royaume-Uni, qui est aux côtés des États-Unis au sein de l’alliance Five Eyes avec les services de renseignement canadien, australien et néo-zélandais. Cette alliance est une des incarnations de cette collaboration opérationnelle, au jour le jour, évoquée ci-dessus. Elle prend racine dans l’accord de principe, la Charte de l’Atlantique, approuvé par Roosevelt et Churchill en 1941. Or, dans un acte hautement symbolique, Biden et Johnson ont signé une New Atlantic Charter le 10 juin 2021. Quoiqu’il ne s’agisse que d’une déclaration réaffirmant les principes de la démocratie et d’un ordre mondial reposant sur l’état de droit, le document est une affirmation de l’unité entre les deux alliés face aux menaces chinoises et russes. Pour consolider une amitié, rien ne vaut un bon ennemi commun. C’est dans ce contexte que le traité AUKUS, réunissant trois des membres de l’alliance Five Eyes et visant – sans le nommer – l’expansionnisme chinois, prend tout son sens. L’absence de la France, quelles qu’en soient les raisons, est vivement à regretter.
La Revue intégrée publiée au mois de mars 2021 propose un retour en force du Royaume-Uni sur le plan géostratégique. Y a-t-il finalement une singularité de la culture stratégique britannique en dehors de sa special relationship ? Que reste-il de la diplomatie britannique en dehors de Washington ?
La publication par le gouvernement britannique de la Revue intégrée de sécurité, de défense, d’aide au développement et de politique étrangère, le 16 mars, suivie par celle d’un deuxième document portant spécifiquement sur la stratégie militaire, est censée marquer le début d’une nouvelle grande stratégie appelée « Global Britain in a Competitive Age ». Les partisans du Brexit, qui sont actuellement au pouvoir, diraient que c’est l’adhésion à l’Union européenne qui a empêché le développement par le Royaume-Uni d’une stratégie autonome. Pourtant, sa stratégie au cours des dernières décennies était fondée sur sa position intermédiaire entre l’Europe et les États-Unis, position qu’elle vient plus ou moins d’abandonner, imposant la définition d’un nouveau rôle. Cela dit, la stratégie annoncée semble bien adaptée à l’époque contemporaine. D’abord, les politiques de défense, de sécurité, de soft power (aide au développement), ainsi que les politiques diplomatique et commerciale, seront – c’est du moins l’ambition – harmonisées. L’objectif est de focaliser l’attention sur l’Indopacifique, à la fois pour contenir la Chine et pour profiter de la croissance future que promet cette région. En voyant une puissance de taille moyenne qui prétend ainsi jouer un rôle mondial, on peut se demander si ce n’est pas la conséquence de quelque folie des grandeurs, alimentée par la nostalgie impériale. En fait, l’approche relève d’un multilatéralisme assumé et même de ce qu’on appelle aujourd’hui le « minilatéralisme », des alliances agiles entre un petit nombre d’États qui complémentent les grands pactes militaires comme l’OTAN ou l’OTASE. Le traité AUKUS en serait un assez bon exemple. La complémentarité entre stratégie de défense et stratégie commerciale s’exprime de deux manières : la participation d’un des deux nouveaux porte-avions de la Marine royale, HMS Queen Elizabeth, et…
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