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Les fossoyeurs du français, et les autres

Le français n’est pas (encore) mort !


Les fossoyeurs du français, et les autres
Le prix Nobel de littérature Annie Ernaux, ici photographiée en décembre 1996, aimerait bien simplifier la langue française, décidément bien trop compliquée © ANDERSEN ULF/SIPA

À contrecourant de la tendance actuelle prônant le ratatinement de notre langue et sa simplification à outrance, un ouvrage se propose, lui, d’enrichir notre vocabulaire. Et c’est succulent. 200 mots rares et savoureux pour briller, de Marion Navenant (Éditions De Boeck Supérieur, 2023).


Une tribune publiée dans Le Monde le 15 octobre nous a appris l’existence du collectif Les linguistes atterré(e)s, ainsi que leur revendication : « il est urgent de mettre à jour notre orthographe » !

Des gens très sérieux, tel le linguiste Claude Hagège, du Collège de France, ou encore des autrices et des auteures (je n’ai pas compris la différence), telles Geneviève Brisac, Annie Ernaux ou Marie Desplechin font front commun pour moderniser notre orthographe[1]. Parmi leurs arguments chocs : 1878, date antédiluvienne à laquelle remontent les règles qui régissent notre langue actuelle. Les signataires appellent à mettre fin à cet obscurantisme à l’origine de « l’opacité de notre orthographe […] et du temps passé à enseigner ses bizarreries et incohérences au détriment de l’écriture créative » (sic). Ces gens très sérieux appellent à retrouver « une liberté de choix », quitte à s’acoquiner avec quelques incohérences. Si « l’idée n’est pas de tout simplifier ni d’écrire en phonétique », il est, selon eux, légitime d’écrire « ognon » et « nénufar ». La même honnêteté intellectuelle leur dicte : « la paresse et le moindre effort seraient de ne rien changer » (re-sic). Parce qu’ils débordent donc d’énergie, ils estiment que les pluriels en « -s » doivent systématiquement remplacer ceux en « -x », même s’ils reconnaissent qu’ « on ne distinguera plus « lieux » et « lieus », ni « feux » et « feus » ». À ce petit détail, les signataires renvoient au « contexte » de la phrase. Ces auteures, autrices et autres linguistes ont bénéficié d’un enseignement général leur permettant de savoir ce que veut dire le mot contexte. Or, les preuves ne manquent pas pour affirmer sans risque que nombre d’écoliers, aujourd’hui, doivent ignorer ce mot ; ce mot comme tant d’autres.

Dans ce contexte, si je suis dire, d’effondrement du niveau d’orthographe comme de vocabulaire, à l’école comme dans la vie publique et professionnelle, il est rassurant de voir que nous ne sommes pas qu’entourés de fossoyeurs de la langue française. Tout le monde ne souhaite pas être enterré avec elle.

L’essayiste Marion Navenant. D.R.

Ainsi Marion Navenant nous offre-t-elle un ouvrage réjouissant : 200 mots rares et savoureux pour briller. Pour briller où ? À une réunion de famille, au bureau, au restaurant, chez le médecin, devant ses enfants, devant son chat (!), en vacances, en voiture, entre amis, sur les réseaux sociaux, à un rendez-vous amoureux, à la maison… Autant de chapitres débordants chacun d’une quinzaine de mots, avec leur étymologie, leur définition et des exemples pour les employer en société.

On pioche avec régal : fourchon. Désigne une dent de fourchette. Cuilleron, la partie creuse d’une cuillère… Ailurophile, du grec ailouros, employé pour désigner un animal qui remue la queue… Pour faire le malin, ne dites plus « j’ai attrapé un coup de soleil », mais « j’ai attrapé une actinite », et apprenez aux ignares allongés au bord de la piscine que ce mot est formé de l’affixe d’origine grecque actino-, « radiation », et –ite, « inflammation ». Une inflammation due aux rayons de soleil, quoi !

Connaître quelques bribes de la richesse de notre vocabulaire permet aussi de dire tout ce qu’on pense. « Ce type me canule » fait meilleur effet que « ce type me fait ch*er » (explication p. 129). On peut aussi lancer, sans craindre les contresens : « Je vous invite à poculer ! » Pour ceux qui n’entendent rien au latin, poculum est un « coup à boire ». 

Grâce à nos auteures, autrices et autres linguistes atterré(e)s, les élèves de France penseront encore longtemps que controuvé est une méchante insulte, si ce mot arrive un jour à leurs oreilles. Les lecteurs de causeur.fr et de Marion Navenant apprendront, s’ils ne le savent déjà, que cela désigne quelque chose d’inventé. Une rumeur ou une fausse nouvelle n’est autre qu’une « histoire controuvée ».

Quoi que nous racontent Annie Ernaux et ses amis dans cette tribune du 15 octobre, tous font bien l’éloge de l’acédie. Définition page 77 !


200 mots rares et savoureux pour briller, de Marion Navenant, Éditions De Boeck Supérieur, 2023.

Chez le même éditeur :

49 petites histoires dans l’histoire de France, de Marc Lefrançois.

49 petites histoires dans l’histoire de l’Antiquité, de Clothilde Chamussy et Lucas Pacotte.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/15/pourquoi-il-est-urgent-de-mettre-a-jour-notre-orthographe_6194603_3232.html




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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