(Avec AFP) – Depuis ce matin, on parle beaucoup du dernier fait d’armes héroïque des Femen, en haut d’un balcon de la place de l’Opéra : interrompre le discours de Marine Le Pen en l’honneur de Jeanne d’Arc en scandant des « Heil Le Pen ! » et en mimant des saluts nazis tous tétons dehors. Contrecarré par le service d’ordre frontiste – le fameux DPS -, l’antifascisme topless n’aura duré qu’un temps.
Mais la présidente du FN a eu d’autres chats freudiens à fouetter. Juste avant qu’elle entame son discours, son « Menhir » de père, interdit d’allocution pour la première fois cette année en raison de rivarolades répétées, est monté à la tribune pour saluer longuement la foule. Une apparition qui n’était pas prévue initialement. Le visage crispé, Marine Le Pen a assisté muette et en retrait à cette scène, avant de lâcher à la presse une déclaration très protocolaire : « Je crois qu’il a souhaité rejoindre le défilé plus loin, c’est son choix, cela ne représente rien de particulier ». Entouré de partisans dont certains criaient « Jean-Marie président! » et de la vice-présidente Marie-Christine Arnautu, naguère proche de l’aile nationaliste-révolutionnaire du mouvement, Le Pen senior a ensuite regagné l’hôtel Régina, avant de rejoindre la place de l’Opéra pour écouter sagement le discours de sa fille.
Est-ce ainsi que meurent les grands fauves ? Au début de l’ère mariniste du FN, tandis qu’un quidam nommé Florian Philippot officiait incognito dans l’ombre de la future présidente du parti, Jean-Marie Le Pen avait voulu ponctuer son laïus de références contre-révolutionnaires, histoire de ratisser large, du nostalgique de l’Algérie française au lecteur de Maurras et Joseph de Maistre. En face, sa fille préférée n’osa jouer le contraste jusqu’à citer Robespierre, mais le coeur y était : des éloges de la République en veux-tu en voilà, avec des clins d’oeil appuyés aux journalistes Philippe Cohen, Elisabeth Lévy et Eric Zemmour – histoire de défriser quelques antisémites ? Chacun retenait ses coups mais la guerre froide était déjà déclarée.
Quatre ou cinq ans plus tard, le nom du vainqueur ne fait plus aucun doute. L’éclatante victoire aux européennes, confirmée par les bons scores des départementales, auréole Marine Le Pen du titre de dédiabolisatrice en chef. Jouer la carte Marion, également en pleine ascension, n’aura guère retardé l’éviction du patriarche. Les deuxième et troisième génération de Le Pen goûtent peu les provocation jean-maristes, qui sont autant d’obstacles à la marche du Front vers le pouvoir. Jean-Marie Le Pen ne tente d’ailleurs même plus de défendre sa candidature à la tête de la région PACA, qu’il a déléguée à sa petite-fille, ni de faire valoir ses idées au sein du FN. Quelques rugissements suffisent à l’ego blessé du vieux lion, à la manière d’un Raul Castro vaincu qui ne se résout pas à fumer le calumet de la paix avec l’Amérique. On connaît la suite. Mais le Lider maximo a plus d’un tour dans son sac à malices. Un pied dehors ou un pied dedans, il peut employer sa capacité de nuisance dans les colonnes de Rivarol ou devant les caméras de Canal +, jamais avare de boules puantes contre le parti-qui-ne-change-pas.
Paradoxalement, cette tragédie familiale pourrait profiter à l’ascension frontiste. Il faut être complotiste comme un cadre de l’UMP ou du PS pour croire à une répartition des rôles surjouée, voire à un coup monté. Irrésistible, la montée du FN se nourrit de thèmes laissés en jachère par la classe politique : immigration, criminalité, demande de frontières, etc. Le reste n’est que littérature.
*Photo : AFP KENZO TRIBOUILLARD.
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