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Génocide rwandais: la fausse compassion des Occidentaux

Une tribune d’André Versaille, réalisateur du film "Rwanda, un génocide en héritage"


Génocide rwandais: la fausse compassion des Occidentaux
Commémorations à Kigali, capitale du Rwanda, en avril 2019 © Ben Curtis/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22322173_000002

En 1994, le génocide des Tutsis par les extrémistes Hutus a déchiré le Rwanda, laissant derrière lui des traumatismes indélébiles. Une tribune d’André Versaille, réalisateur du film Rwanda, un génocide en héritage.


Comprendre ?

Ah, parce que vingt-cinq ans plus tard vous vous décidez à faire une escapade à Kigali, vous pensez pouvoir comprendre ce qui s’est passé ici ?

Comprendre… Comprendre quoi, exactement ?

Mais d’abord, dites-moi, avez-vous fait le pèlerinage à Auschwitz ? Non ? Alors pourquoi le Rwanda ? Vous ne savez pas ? Et bien je vais vous dire pourquoi vous êtes venu au Rwanda. Vous êtes venu parce que vous sentez confusément que ce génocide est le vôtre, je veux dire celui de votre génération. Auschwitz, c’était celui de vos parents. C’était de l’Histoire. Ça vous concernait peut-être, ça ne vous impliquait pas vraiment. Le Rwanda, c’est votre présent. Et vous avez été distrait à votre présent, vous avez manqué votre génocide…

Comprendre…

Il n’y a rien à comprendre. C’est très banal, vous savez. Une majorité a décidé d’en finir une fois pour toutes avec une minorité qui se prenait pour l’aristocratie de la nation. Point.

Je n’ai pas le courage de regarder en face
le déshonneur de mon pays.
Le mot de déshonneur me paraît lui-même
sans proportion avec les événements
et les hommes…

Georges Bernanos

Inhumanité ? Voyons, mon cher, de quelle planète tombez-vous ? Ouvrez les yeux. Relisez votre Histoire. La violence, les viols, le crime de masse, quoi de plus humain ? C’est même le propre de l’humain. Un peu comme le rire, si vous voulez.

Je vous l’accorde, ici on a été un peu plus loin que de coutume : nous avons à faire à un génocide. Remarquez que ce n’est jamais que le troisième ou le quatrième du siècle, selon que vous comptiez ou non ce que l’on a appelé l’« auto-génocide » cambodgien. (« Auto-génocide », quelle trouvaille, n’est-ce pas !) N’empêche, ce n’est pas le premier et nos amis Hutus n’ont rien inventé d’original, sinon le genre : le « génocide agricole », le « génocide de proximité », comme l’a défini Jean Hatzfeld.

Comprendre…

Comme si le tourisme humanitaire pouvait faire comprendre. Mais vous ne pourrez même pas entamer le mystère de ce qui s’est passé ici.

Allons, essayez plutôt de comprendre l’autre mystère, plus compact encore, celui de l’inertie de votre monde occidental. Oh, bien sûr, bien sûr, les Occidentaux ne sont pas les seuls à être resté indifférents. Les Asiatiques, les Arabes, les Africains, la terre entière a pudiquement détourné son regard. Mais les Occidentaux, c’est autre chose, ce sont les champions des droits de l’Homme ! Où étaient-ils, il y a vingt-cinq ans, ces athlètes de la compassion ?

Je sais, c’est quelque chose de difficile à regarder en face pour un progressiste perpétuellement bourrelé de remords de ce qu’il n’a même pas commis, mais que sa race, sa classe et son aisance (à laquelle il ne renoncerait pour rien au monde) mettent mal à l’aise le temps d’une entrevision lucide. À demi instruit, à demi-conscient, à demi sincère, éperdument citoyen et délicieusement culpabilisé… Ah la culpabilité occidentale, quelle belle invention que cette espèce de cilice qui irrite le cœur, juste ce qu’il faut !

Allez, ne vous frappez pas, je vous charrie. Après tout, vous n’êtes pas ce qu’il y a de plus mauvais dans votre espèce. Seulement ce qu’il y a, disons de plus soft : une cervelle d’assez bonne qualité, et suffisamment souple pour pouvoir à chaque événement trouver la position raisonnablement inconfortable…

Qu’est-ce qui vous surprend au juste ? Ah ce qui vous choque ce ne sont pas tant les tueries mais la planification de génocide. C’est ça ? Vous pensiez quoi ? Que les noirs étaient décidément inférieurs aux Aryens ? Allons, décrassez-vous ! Abandonnez vos vieilles théories sur l’inégalité des races. Gobineau est très démodé, vous savez.

Les nazis avaient inventé le génocide industriel. Les Hutus ont réhabilité et réintroduit la dimension humaine dans le génocide. Et reconnaissons-le, l’opiniâtreté quotidienne, la conscience avec lesquelles ils ont accompli leur mission, forcent l’admiration. Et le courage a été récompensé. Avec les armes les plus rudimentaires du monde, la machette et la lance, les artisans ont fait mieux que les industriels. Environ un million de morts en quelque cent jours. Cinq fois plus performants que les nazis avec leurs chambres à gaz et tout leur bataclan sophistiqué.

Et bien, voulez-vous que je vous dise ? Le fait que, malgré les progrès de la science et de la technique, l’homme nu, armé de sa seule détermination, de son seul enthousiasme, l’emporte sur la machine, a quelque chose d’encourageant.

Comprendre…

Rwanda, un génocide en héritage. Un film d’André Versaille

Projection du film le dimanche 29 septembre 2019
Rwanda, un génocide en héritage – Paroles de jeunes
réalisé par André Versaille
au Mémorial de la Shoah de Paris
17, rue Geoffry-l’Asnier – 75004 Paris – Tél : 01 42 77 44 72
Métro : Saint-Paul ou Hôtel-de-Ville
(Entrée libre)

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