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1941-1945: Ouzbékistan terre d’accueil

Les Ouzbeks, peuple éprouvé et généreux


1941-1945: Ouzbékistan terre d’accueil
Sculpture à Tachkent, Ouzbékistan © D.R.

Durant toute la Seconde Guerre mondiale, l’Ouzbékistan, une des RSS a accueilli de nombreux enfants évacués des zones de guerre.


Le 8 mai, peu avant minuit, la seconde capitulation allemande est signée à Karlhorst, en banlieue sud-est de Berlin; Staline a été mécontent de la première, signée la veille au QG d’Eisenhower à Reims. La capitulation devait entrer en vigueur le 8 mai à 23h01, soit le 9 mai à 1h01 à Moscou. Cette raison technique explique pourquoi la victoire sur l’Allemagne est célébrée en Russie (et certaines des anciennes Républiques soviétiques) le 9 mai, 24 heures après les anciens alliés occidentaux. Mais au-delà de ce prétexte technique il y avait là quelque chose d’annonciateur : unie dans la guerre, l’Alliance avec l’URSS n’a pas résisté à la victoire. Deux dates, deux célébrations et, bien sûr, deux réponses à la grande question : la Seconde Guerre mondiale a-t-elle été gagnée à l’Est ou l’Ouest ? Si on raisonne en nombre des morts, la question « qui a le plus souffert » est vite résolue : l’Armée rouge a perdu en juin 1941 et mai 1945  près de 10 000 000 de soldats (morts et disparus), les Américains 400 000 et le Commonwealth (RU, Australie, Nouvelle-Zélande) presque 500 000. À ces pertes militaires, il faut ajouter celles subies par les civils (13 000 000 de citoyens de l’URSS ont péri), bilan extrêmement lourd, auquel s’ajoute la destruction massive des infrastructures. Il est donc certain que l’essentiel de la Heer (l’armée de terre allemande) a été piégée à l’Est, usant ses hommes et ses moyens contre une résistance soviétique qui a surpris Berlin d’abord, mais aussi Londres et Washington.

Un effort de guerre colossal des deux côtés

Mais quand on entre dans une discussion plus militaire – dans le sens large du terme – le bilan est plus complexe. D’abord, le Royaume-Uni a tenu bon entre mai 1940 et juin 1941, créant ainsi les conditions d’un deuxième front (même limité). Ensuite, l’aide massive fournie par les États-Unis – au détriment d’autres alliés et d’autres fronts avec les conséquences de cette priorisation – a permis à l’Armée rouge de pallier des insuffisances et défaillances critiques, notamment en ce qui concerne les transports et les carburants.

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Ainsi, même si l’on parle de nouveau d’une guerre froide et que l’on célèbre la victoire sur l’Allemagne nazie en deux dates différentes, il est de plus en plus évident que la guerre a été gagnée par un effort colossal fourni par l’ensemble des armées et pays alliés. Il est donc important que des publications en français concernant la guerre à l’Est (et pas uniquement sur Stalingrad) soient de plus en plus disponibles, grâce notamment à Jean Lopez. Mais il convient aussi d’attirer l’attention sur l’expérience des non-militaires et des territoires éloignés des champs de bataille. Les drames humains étaient moins spectaculaires qu’un corps-à-corps dans les décombres d’Octobre rouge, mais si on veut comprendre l’étonnante résilience de l’URSS, du système stalinien, mais aussi des populations, il faut s’intéresser à ce qui s’est passé ailleurs, en Ouzbékistan par exemple.

L’Ouzbékistan, un pays éprouvé

Comme partout ailleurs en Union soviétique, le choc allemand se heurte à des institutions et des sociétés éprouvées par une longue décennie dévastatrice sous la main de fer de l’État stalinien. L’Ouzbékistan ne fait pas exception. Pendant les grandes purges, les élites politiques locales – accusées de nationalisme séparatiste – sont décimées et remplacées par des personnes venues de Russie. Quand la guerre éclate, l’Ouzbékistan (ainsi que d’autres régions d’Asie centrale) accueille en quelques mois de nombreuses usines et installations industrielles évacuées en catastrophe des régions européennes avant qu’elles ne tombent entre les mains des Allemands. Avec les machines arrivent aussi des trains entiers de Russes et d’Européens, ouvriers, ingénieurs et fonctionnaires et leurs familles. Les Ouzbeks d’origine vivant essentiellement dans les régions agricoles du pays – surtout quand Staline décida de transformer le pays en champ de coton. Plus tard, d’autres Russes et non ouzbeks s’y sont installés, notamment des réfugiés – dont de nombreux Juifs – des orphelins et enfants séparés de leurs parents. Ainsi, les quelque six millions d’Ouzbeks ont accueilli presque un million de nouveaux arrivants, dont 400 000 enfants souvent seuls.      

La générosité des Ouzbeks

En Ouzbékistan, durant ces années difficiles de la guerre (rappelons que plusieurs centaines de milliers d’Ouzbeks étaient sous le drapeau de l’URSS et que plus de 538 000 d’entre eux sont morts), les habitants – souvent des femmes, des adolescents et des vieux – se sont montrés d’une générosité et d’une bienveillance remarquable, malgré le dénuement et le manque de nourriture. 

Dès octobre 1941, les autorités locales ont créé le « Bureau Central » chargé de la gestion de l’évacuation des enfants et de leur accueil. En décembre de la même année, des commissions (au niveau national, municipal voire au niveau équivalent de l’arrondissement) ont été mises en place pour trouver hébergements et familles d’accueil pour les enfants évacués. Mais ce qui est important à signaler est qu’au-delà de l’effort de la République socialiste soviétique (RSS) et du parti communiste local, les Ouzbeks se sont mobilisés, se montrant particulièrement généreux avec les enfants séparés de leurs parents, que de nombreuses familles ont accueilli et élevé pendant les années de guerre.   

Entre novembre 1941 et octobre 1942, 15 649 enfants ont été accueillis par des familles ouzbeks, dans différentes zones d’évacuation. Jusqu’en février 1942, 92 415 enfants ont rejoint la région de Fergana et ont été placés à Fergana, Margilane, Kokand ou dans les autres villes et villages de la vallée. Ce fut notamment le cas du jeune Marek Halter, dont la famille qui a fui la Pologne et le destin des Juifs de ce pays, ont trouvé refuge justement dans la ville de Kokand.  

De nombreuses familles d’accueil pour pallier le manque d’orphelinats

Le défi était de taille, car au début de la guerre l’Ouzbékistan ne disposait que de 40 foyers pour enfants et orphelinats, vite saturés. Dans la seule année 1942, 20 000 enfants se sont ajoutés aux 214 orphelins ouzbeks qui y vivaient au début de l’été 1941. Peu à peu, le réseau des orphelinats, des écoles maternelles et autres structures d’accueil s’est densifié. Ce n’est pas sans rappeler l’élan populaire qui, en 1940, accompagna l’évacuation de Londres bombardé, un comité d’action a lancé en janvier 1942, face aux arrivages incessants de l’Ouest, un appel solennel à ce « qu’aucun enfant qui arrive en Ouzbékistan ne devait être laissé sans lit ni chaleur maternelle ». En quelques jours, 643 familles se sont portées volontaires pour accueillir des enfants évacués de 69 villes soviétiques. En septembre 1942, ces mêmes familles ont accueilli 303 enfants orphelins de plus.

On trouve dans les archives que les familles Muazzam Juraeva et Dilbar Ashhurhodzhaeva de Boukhara ont à eux seuls accueilli huit enfants chacune. La famille Nefedova, de la région de Fergana, en a accueilli cinq et dans neuf fermes collectives de la région de Yangiyyl, ce sont 169 enfants qui ont trouvé refuge. Au début de la guerre, Shaakhmed Shamakhmudov et son épouse Bahri Akramova ont adopté 15 enfants orphelins et évacués à Tachkent puis trois autres enfants après la guerre. Ces enfants étaient Russes (Volodia, Khabiba et Shukhrat), Juifs (Yuldash, Ergash), tatars (Rakif, Rakhmatulla), Moldaves (Kholida), kazakhs (Halima), Ukrainiens (Hamidulla), etc. Les Shamakhmudov n’avaient pas d’enfants, mais alors que Shaakhmed avait 53 ans et sa femme 40 ans, ils allèrent à la gare où arrivaient les enfants évacués pour en accueillir plusieurs. Fyodor Kulchnovsky, un Juif Ukrainien évacué vers Tachkent, a pris le nom de Shamakhmudov et après avoir reçu une formation de contremaître dans les mines, il retrouva, 45 ans plus tard, son arrière-grand-mère âgée de 104 ans ! Olga Timonina, une Moldave, dernière des enfants adoptés est restée vivre à Tachkent et a pris le nom de Kholida Shamakhmudova. Après la guerre, certains enfants sont repartis dans leur patrie alors que d’autres sont restés en Ouzbékistan. Entre 1945 et 1947, 78 enfants installés à Fergana ont été adoptés par des familles ouzbèkes.

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Le 9 mai 2018, à l’occasion de la commémoration de la victoire sur l’Allemagne nazie, Shavkat Mirzyoev, président de la République d’Ouzbékistan, a inauguré un monument en l’honneur de la famille Shaakhmed Shomakhmudov érigé dans le lieu où elle habitait.

Si on veut comprendre comment l’URSS a pu tenir, il faut chercher aussi ses petites histoires qui se cachent derrière les grandes victoires et les films et les romans qui les racontent et célèbrent.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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