Le 15h17 pour Paris, le nouveau film de Clint Eastwood sur l’attentat déjoué du Thalys interroge notre capacité à affronter la menace terroriste.
Ovni cinématographique, Le 15h17 pour Paris est à la fois un biopic hors norme et la reconstitution fidèle de la scène d’un meurtre de masse déjoué. Que le film biographique à l’intérieur de l’œuvre, oscillant entre réalisme et pathos, soit jugé bon ou mauvais par les critiques de cinéma français, cela importe finalement très peu tant la démarche du réalisateur est extraordinaire. A 87 ans, Clint Eastwood, ce monument du cinéma américain, à la fois acteur, réalisateur et producteur, dont le parcours est jalonné de quatre Oscars (pour Million Dollar Baby et Impitoyable), cinq Golden Globes, trois Césars et de la Palme d’honneur à Cannes en 2009 récompensant sa carrière exceptionnelle, berce nos vies de cinéphiles depuis près de soixante ans avec ses quelque soixante-dix films, dont d’innombrables chefs-d’œuvre. En glorifiant le mythe de l’Ouest américain et en forgeant l’image de ses héros (et de ses anti-héros) sur le modèle des pionniers, il est parvenu à façonner à sa manière la matrice de l’homme occidental.
Il réussit là un énième tour de force – et peut-être son dernier film, son ultime legs – en parvenant à mettre en scène six des principaux protagonistes de l’attentat du 21 août 2015 perpétré par le terroriste marocain Ayoub El-Khazzani dans le Thalys Amsterdam-Paris Nord. Les deux militaires américains Spencer Stone (US Air Force) et Alek Skarlatos (membre d’une unité de la Garde nationale américaine), et leur ami Anthony Sadler, qui ont tous trois neutralisé l’assaillant au péril de leurs vies sans toutefois le tuer; l’universitaire américain Mark Moogalian, qui, de sang-froid, s’est jeté sur El-Khazzani et lui a arraché sa kalachnikov avant d’être blessé par balles et son épouse française Isabelle Risacher; et enfin le passager britannique Chris Norman, qui aida à maîtriser le terroriste, jouent tous leur propre rôle et leur prestation est objectivement plus qu’honorable pour des néophytes. La reconstitution de la cérémonie de remise des Légions d’honneur par François Hollande à l’Elysée, sur laquelle viennent se juxtaposer les images d’origine prises le 24 août 2015, est plutôt audacieuse.
Un djihadiste fiché dans trois pays
Pour mémoire, El-Khazzani, piloté par Abdelhamid Abaaoud, terroriste belgo-marocain et « cerveau » présumé des attentats de Paris en 2015, était fiché dans trois pays – dont la France – comme islamiste radical et faisait l’objet d’une fiche S. Il était entré en Europe illégalement avec Abaaoud en se dissimulant dans un groupe de migrants. Equipé de près de 300 munitions, d’une kalachnikov, d’un pistolet automatique Luger (avec lequel il tira à bout portant sur Moogalian), d’un cutter (qui lui permit de taillader le cou de Stone) et d’un demi-litre d’essence, il aurait – comme le mentionna François Hollande dans son allocution – pu commettre un carnage dans le train qui transportait ce jour-là 544 passagers dont plusieurs enfants.
L’avocate voulait censurer le film
Incarcéré à la prison de Bois-d’Arcy, El-Khazzani, 28 ans, est toujours détenu en isolement dans le quartier réservé aux individus les plus dangereux. Lors des auditions, il a maintenu dans un premier temps la version selon laquelle il était un SDF ayant trouvé un sac contenant de l’armement dans un parc bruxellois, ce qui l’aurait incité à venir détrousser des passagers du Thalys ! Il passa ensuite aux aveux mais soutint cette fois-ci qu’il n’avait eu l’intention de prendre pour cibles qu’une poignée de militaires américains à bord du train. Son avocate Sarah Mauger Poliak envisageait récemment de faire suspendre Le 15h17 pour Paris jusqu’à la fin du procès et d’attaquer en justice la Warner Bros, au motif que le film porterait atteinte à la présomption d’innocence de son client. A noter que maître Mauger Poliak s’est illustrée, dans l’affaire des policiers gravement brûlés lors de l’attaque de leurs véhicules aux cocktails Molotov à Viry-Châtillon dans l’Essonne, le 8 octobre 2016, en assurant la défense de deux mineurs de 15 et 17 ans, soupçonnés d’avoir confectionné les engins incendiaires.
Amnésie et déni de réalité
Dans ce contexte, par contraste avec l’affligeante comédie d’Olivier Baroux Les Tuche 3 qui fait actuellement l’objet d’une promotion tous azimuts et devrait prochainement totaliser 5 ou même 6 millions d’entrées selon les experts (!), l’indifférence voire le dédain affiché pour le film de Clint Eastwood interroge sur la capacité de notre société à tirer les leçons des événements tragiques qu’elle traverse malgré elle. L’amnésie et le déni de réalité la guettent pour sûr, jusqu’à sa disparition certaine, si elle ne fait pas l’effort de revenir à la raison. « Une nation ou une civilisation qui produit de jour en jour des hommes stupides achète à crédit sa propre mort spirituelle » déclarait Martin Luther King. Il ne croyait pas si bien dire.
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