Les 150 propositions adoptées le week-end dernier par la Convention citoyenne ressemblent à une compilation d’idées recyclées, de solutions qui n’en sont pas, de pensée magique et parfois, rarement, de bonnes intuitions. Il n’est question nulle part de financements, de conséquences économiques, sociales, politiques, de réalités technologiques et industrielles, d’investissements… Et les sujets qui fâchent, le nucléaire, l’Europe et la taxe carbone, ont été soigneusement évités.
En sept week-ends de travail, les 150 citoyens tirés au sort ont donc résolu le problème de la transition qui mobilise de par le monde des centaines de milliers de scientifiques, d’ingénieurs, d’écologistes, d’universitaires, de chercheurs depuis des décennies… Une tâche considérée même comme bien plus compliquée et hasardeuse que d’envoyer un homme sur la lune. Dans le détail et en dépit de l’emphase de la Convention citoyenne qui commence son texte par «Nous citoyennes et citoyens libre», les 286 pages et 150 propositions adoptées le week-end dernier ressemblent au mieux à un inventaire à la Prévert, au pire, à une compilation d’idées recyclées, de solutions qui n’en sont pas, peu efficaces et idéologiques, de pensée magique et heureusement, rarement, de bonnes intuitions. Mais il n’est question nulle part d’investissements, de financements, de conséquences économiques, sociales, politiques, de réalités et d’innovations technologiques, de créations de filières… Ce travail bâclé n’a qu’une seule cohérence, considérer que la décroissance et la multiplication des contraintes et des interdictions sont les seuls moyens de réduire les émissions. Si ces mesures voient le jour, elles ont ainsi toutes les chances de provoquer un rejet social massif… L’écologie punitive dans toute sa splendeur. Dire que la Convention se voulait une réponse au mouvement des gilets jaunes!
Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement, résume assez bien le sentiment à la lecture de ce morceau d’anthologie: «l’absence de connaissances, l’incompréhension transpire de beaucoup de ces mesures… Comme s’ils avaient voulu peindre un monde idéal, sans consulter aucun chef d’entreprise, aucun économiste… Comme si tout pouvait se faire d’un coup de baguette magique. Il y a une espèce de mépris de la compétitivité, et d’égocentrisme. Beaucoup n’y connaissaient rien, ils ont été affolés, et ont écouté religieusement les associations.»
Le nucléaire, l’Europe et la taxe carbone… n’existent pas!
Mais pouvait-il en être autrement? La transition énergétique consiste à substituer aux énergies fossiles, qui émettent de grandes quantités de gaz à effet de serre, des énergies plus propres. Il s’agit d’un processus long, difficile et complexe. Il s’étalera sur des décennies et nécessite une adaptation continue et l’utilisation de technologies qui sont aujourd’hui embryonnaires voire inexistantes notamment dans l’industrie et les transports. Il ne suffit pas, comme le laissent croire de nombreux militants et certains ministres, d’installer des éoliennes et des panneaux solaires, d’acheter des voitures électriques et d’interdire à tout va.
L’objectif fixé à la Convention citoyenne était en lui-même démesuré. Elle devait proposer des mesures permettant de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990. Concrètement, de passer de 445 millions de tonnes de CO2 rejetées l’an dernier en France à 263 millions de tonnes. Les 150 propositions n’ont aucune chance de permettre ne serait-ce que d’approcher de cet objectif.
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D’autant plus, que les sujets qui fâchent, les plus importants, ont été soigneusement évités à l’image du nucléaire, de l’Europe et de la taxe carbone. Cette dernière avait provoqué, au moins en partie, le mouvement des gilets jaunes. Elle est à l’origine de la création de la Convention proposée par Emmanuel Macron comme une réponse à l’opposition entre la «fin du monde» et la «fin du mois».
La taxe carbone a donc été évacuée des débats et cela même si elle est considérée, par de nombreux experts dans le monde, comme l’un des moyens les plus efficaces pour réellement limiter les émissions de CO2. Tout simplement, parce qu’elle utilise le meilleur levier pour cela, rendre les émissions de plus en plus coûteuses pour les entreprises et les citoyens et les inciter fortement à utiliser des énergies plus propres…
Pour la Convention, l’Europe, les modèles étrangers et les contraintes du marché mondial n’existent pas non plus. Pourtant, toutes les propositions doivent s’inscrire dans un cadre juridique qui n’est pas franco-français. Le droit de l’environnement relève dans 95% des cas de la compétence de l’Union européenne. Quant aux modèles étrangers, concrets, éventuellement à suivre, ils ont été ignorés. L’Allemagne vient de décider d’investir 9 milliards d’euros dans l’hydrogène… Cela n’a aucune importance. La Suède est souvent donnée en exemple. Elle a réussi à concilier depuis 1990 la croissance (3% en moyenne par an) et la baisse dans le même temps de 26% de ses émissions de gaz à effet de serre. Le contraire de la stratégie préconisée par la Convention. Mais pour cette dernière, la France est une île, coupée du monde, maîtresse sans contraintes de son destin…
Obsession anti-automobile
L’électricité nucléaire était aussi un sujet tabou. Elle est aujourd’hui, en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre, le principal atout de la France. Elle lui permet d’être parmi les bons élèves de la transition. Car si la quasi-totalité de la production électrique française est «propre», c’est parce que plus de 70% est d’origine nucléaire. L’avenir de cette forme d’énergie est donc une question essentielle tout comme l’électrification des usages qui est un élément majeur de la transition, notamment dans les transports et l’industrie. Cela n’a pas semblé effleurer les membres de la Convention et ceux qui les chaperonnaient. Ces derniers ont en revanche réussi à leur transmettre leurs lubies et leurs obsessions.
Ainsi, la Convention citoyenne a été obnubilée par les transports (31% des émissions) et plus particulièrement la voiture (16% des émissions). Voilà pourquoi, elle a adoptée des gadgets idéologiques comme la limitation à 110 kilomètres heure de la vitesse maximum sur les autoroutes dont l’impact est, au mieux, marginal. L’argument de la sécurité routière ne tient pas non plus. Les autoroutes sont de loin les voies les plus sûres et la somnolence est un facteur d’accident trois fois plus important que la vitesse. Enfin, cette mesure a la mémoire courte. Elle oublie l’impact sur la naissance du mouvement des gilets jaunes du passage de 90 kilomètres heure à 80 kilomètres heure de vitesse maximale sur les routes secondaires, compris comme une stigmatisation de la France périphérique par la France d’en haut. La France périphérique est aussi celle qui prend le plus l’autoroute.
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La France des grandes villes n’est pas pour autant épargnée. La Convention veut interdire dès 2025 la vente des véhicules neufs qui émettent le plus de CO2 et leur accès aux centres villes. Cela aura peut-être un impact sur la qualité de l’air, mais à peine mesurable sur les émissions de gaz à effet de serre. Seront aussi interdites certaines publicités, les enseignes lumineuses, les terrasses chauffées dans les bars et restaurants.
«Consommer moins, produire moins, travailler moins…»
En ce qui concerne le bâtiment, la Convention vise enfin bien plus juste. Ce domaine représente 39,5% de la consommation finale d’énergie en France et 27% des émissions de CO2. Il est aussi essentiel que les transports. D’autant plus, que sur un parc de 35 millions de logements, la France compte environ 7,5 millions de «passoires thermiques». Il est donc possible de diminuer rapidement la consommation d’énergie et les émissions.
La Convention entend rendre ainsi obligatoire la rénovation énergétique de 20 millions de logements d’ici à 2040, et surtout de 5 millions de «passoires thermiques» d’ici 2030. Elle entend également contraindre la rénovation de l’ensemble des bâtiments publics et le remplacement des chaudières au fioul et à charbon. Tout cela est incontestable. Mais il y a un léger problème. Comment seront financés ces investissements considérables que seront incapables de mener seuls les propriétaires privés? Surtout que les années à venir, avec la profonde récession née de la pandémie, s’annoncent économiquement très difficiles. D’autant plus, si les mesures préconisées par la Convention se traduisent par un appauvrissement supplémentaire du pays…
On peut même parler de logique malthusienne, quand elle a proposé de réduire le temps de travail de 35 heures à 28 heures par semaine! Une proposition finalement et fort heureusement rejetée lors de la dernière session du 20 juin après un sursaut de lucidité. «La réduction du temps de travail, sans perte de salaire, est proposée pour aller vers ce nouveau modèle: sobriété, partage, justice sociale. Pour répondre pleinement à ces enjeux, nous devons consommer moins, produire moins et donc travailler moins», écrivait la Convention.
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De nombreuses autres propositions, n’ayant aucun rapport avec les émissions de gaz à effet de serre, ou alors vraiment très lointain, ont elles été adoptées. Ainsi, d’ici 2030, tous les Français devront consommer au moins 20% de fruits et légumes issus de l’agriculture biologique. Il s’agira «d’atteindre 50% d’exploitations en agroécologie d’ici 2040» et de «diminuer l’usage des produits phytopharmaceutiques de 50% d’ici 2025». Les questions de la baisse des rendements, de l’autosuffisance alimentaire et du prix des denrées ne sont même pas évoquées… Peu importe comment les ménages paieront.
Le plus stupéfiant est que plusieurs organisations écologistes appellent le Président de la République à ne surtout pas choisir «à la carte» parmi les mesures à appliquer. Un tiers des 150 mesures en question a été rédigé sous la forme de proposition de loi ou de règlements, prêts à l’emploi. Il semble bien qu’Emmanuel Macron se soit piégé lui-même.
Le chef de l’Etat a jusqu’au 29 juin pour trouver une parade. Il recevra, ce jour-là, les 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat, «afin d’apporter une première réponse à leurs propositions». Il a bien la possibilité d’un referendum évoqué depuis quelques temps dans la majorité. Mais là encore, il a été devancé par la Convention dont les membres souhaitent que les Français se prononcent sur l’introduction dans la Constitution de la question climatique et sur la création «d’un crime d’écocide». Ce qui se dessine ressemble plus à un quitte ou double politique qu’à une stratégie de transition. Dommage, cela ressemble encore furieusement à une occasion manquée d’aborder enfin sérieusement, avec réalisme et ambition, la question de la transition.
Cette analyse a été publiée sur le site de la revue Transitions & Energies
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