Était-il possible de faire pire ? Probablement pas, mais avec ce Président-là, nous le savons, le pire est justement toujours sûr. L’accablement, qui a saisi tous les observateurs à l’annonce de la publication de la nouvelle carte des régions arbitrée par François Hollande, tient moins au résultat (pourtant consternant), qu’à la méthode de celui dont on sait désormais qu’il ne sera jamais Président de la République.
Renier le programme sur la base duquel on a été élu ? Aucun problème, il n’y a qu’à faire comme avec la finance et le TSCG. Moi président, j’ai dit que : « J’engagerai une nouvelle étape de la décentralisation en associant les élus locaux…Je réformerai la fiscalité locale en donnant plus d’autonomie aux communes, aux départements et aux Régions »[1. Engagement 54 du programme de François Hollande candidat.]
Annoncer une grande réforme alors même qu’un des premiers textes votés par la nouvelle législature a défait une réforme de Nicolas Sarkozy, en réaffirmant les principes que l’on vilipende aujourd’hui ? Et alors ? Il fallait bien se trouver un peu de grain à moudre après les catastrophes électorales du printemps. En lançant dans l’urgence, sans précaution, sans concertation, sans un vrai travail préalable un bouleversement de l’organisation de l’espace public français.
Bidouiller en quelques minutes sur un coin de table une nouvelle carte dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle pique les yeux et sur la rationalité de laquelle on peut s’interroger ? Mais pourquoi donc ? Vous n’avez pas compris que ce qui comptait c’était les arrangements, ne pas contrarier les copains, et se servir du redécoupage à des fins électorales. Les régions, ce sont aussi des circonscriptions. Ségolène Royal, la souveraine de Poitou-Charentes ne supporte pas Alain Rousset, le duc d’Aquitaine ? La cohérence géographique ? Pour quoi faire, allez hop on va la pacser à deux autres plus discrets. Picardie et Nord-Pas-de-Calais, ça ressemblerait à quelque chose. Oui, mais dites le Front National est costaud par là-bas. Donc on ne touche à rien. Rassembler Bretagne et Pays de Loire, cela aurait du sens. Mais, Le Drian et Poignant ne veulent pas, et Ayrault maintenant, on s’en fout. L’Alsace-Lorraine ? On a fait la guerre pour ça il y a 100 ans. Donc, vous aurez l’Alsace et la Lorraine. Évidemment, l’Île-de-France ne bouge pas. On ne va quand même pas poursuivre le projet du Grand Paris alors que la droite pourrait en prendre la présidence.
Et les départements alors ? On a dit qu’on allait les supprimer, mais de façon évocatrice, Jean-Claude Gaudin nous a rappelé qu’il fallait d’abord réviser la Constitution. Et pour cela, pas de majorité au Congrès. Aucun problème, il suffit d’utiliser une petite magouille tactique du type de celles apprises dans les congrès du PS. Les répartitions de compétences sont du domaine de la loi. Donc, on va les déshabiller progressivement pour en faire des coquilles vides. Et comme ça, les missions sociales (RSA, enfance, personnes âgées etc.) passeront discrètement à l’as. Ne faut-il pas faire des économies ? Les sondages nous disent que l’opinion publique est largement favorable à un référendum sur ces questions. Et puis quoi encore ? Même pas en rêve !
Tout y est. L’amateurisme, l’ignorance, le cynisme et la mauvaise foi, caractéristiques du médiocre politicien d’aujourd’hui sont présents à chaque étape. Avec, et c’est le plus rageant, une désinvolture qui en devient mépris vis-à-vis d’un pays que l’on prétend gouverner.
J’ai fait part dans ces colonnes, et je n’entends pas me répéter aujourd’hui, de ce qu’une expérience approfondie de la décentralisation depuis trente ans m’avait appris. Je m’abriterai aujourd’hui derrière Hervé Le Bras, démographe de renommée internationale, et qui n’est pas connu pour être un jusqu’au-boutiste. Je renvoie à la lecture de son article titré : « réforme territoriale, surtout ne touchez à rien ! »[2. « De grâce, ne touchez pas aux frontières », par Hervé Le Bras, directeur d’études émérite à l’Institut national d’études démographique. Le 1, numéro 5 du mercredi 7 mai 2014.].
Hervé Le Bras rappelle que les découpages administratifs s’enracinent dans une réalité historique et sociale. Pour le département par exemple : « Aujourd’hui, les départements français sont devenus un reflet du phénomène social, ainsi certaines cartes démographiques ou portant sur un autre indicateur sociétal (% de personnes âgées, vote FN, taux de chômage, % d’ouvriers…) affichent une similitude prononcée avec les frontières des départements. On assiste ainsi à une superposition de plans, les phénomènes sociaux se cantonnant plus ou moins aux limites départementales. »
Les régions de création plus récente ont fini par développer, de façon moindre que les départements, un sentiment d’appartenance. Mais celui-ci s’est construit autour de la capitale régionale. Et là, on va rire, quand il s’agira, par exemple de choisir entre Strasbourg, Nancy, Metz, Mulhouse…
Et puis, il y a cette fascination ridicule pour l’Allemagne et ses länder. Fondée sur la haine de soi et l’ignorance. « Effet de taille ! Effet de taille ! » Nous disent les cabris sautant sur leur chaise. Oubliant que beaucoup de ces fameux Länder, et non des moindres, ont une population inférieure au million d’habitants. Comme huit états Américains. Il n’a jamais été question de les regrouper. En Italie, c’est pareil la Basilicate compte 580 000 habitants, la Molise, 310 000…
Ah, Matteo Renzi. Tout auréolé de ses bons scores aux européennes, il est devenu la nouvelle idole des sociaux-libéraux. Il arrive à réformer, lui au moins. Il est vrai qu’appliquant un plan de Mario Monti, il a réduit de 100 à 45 les provinces italiennes. Oui, mais ce ne sont que des subdivisions de régions qui n’avaient aucune signification historique et politique.
Et c’est la raison pour laquelle cette comparaison entre un État unitaire ancien et ancré dans l’Histoire avec des pays d’unification récente et à vocation fédérale n’a pas de sens.
Quant aux arguments d’économie, comme le dit Hervé Le Bras, ils sont pitoyables. Ces réformes vont coûter une fortune à mettre en place. Les économies de bouts de chandelle réalisées à terme n’équilibreront jamais le coût initial. Alors, au lieu de travailler sur le contenu et les missions des collectivités territoriales, François Hollande et Manuel Valls font de l’agitation avec le changement du contenant. Espérons que, rattrapés par la riposte politique que mérite leur inconséquence, ils s’y cassent les dents.
Un petit argument pour celle-ci : il faut donc faire des économies ? La suppression des 4000 conseillers généraux permettrait d’économiser leurs indemnités. On a fait le calcul. Cela rapporterait 115 millions d’euros par an. C’est rigolo, exactement le salaire total des patrons du CAC 40. Mais c’est vrai que si au Bourget, Hollande avait déclaré, mon ennemi, ce sont les conseillers généraux, ça aurait eu moins d’allure.
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