Le président de la République a choisi cette année de ne pas se livrer à la traditionnelle interview télévisée du 14-Juillet devant les Français. Il ne laisse rien transparaitre de ses éventuelles volontés de remaniements ministériels. Alors que la période désordonnée, instable et violente aurait appelé le retour d’une accalmie, d’une habitude démocratique d’écoute, de dialogue et d’apaisement, le président, selon son bon plaisir, a raisonné à l’inverse, déplore notre chroniqueur.
Entre tradition et nouveauté, la plupart de nos présidents de la République ont eu du mal à opérer une synthèse satisfaisante pour leurs concitoyens. Après Charles de Gaulle et Georges Pompidou (un grand président mort trop tôt), ils ont tenté de satisfaire, chacun à sa manière, rupture et sauvegarde, classicisme et originalité. Il serait facile de le démontrer pour Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. À des degrés divers mais pour l’ensemble de ces mandats, la mue était difficile à réaliser entre le chef d’État qu’attendaient les Français et celui que chaque personnalité rêvait d’être. Mais il me semble qu’Emmanuel Macron bat tous les records sur ce plan. Son premier mandat, comme la première année du second, me paraissent en effet gangrenés par l’envie maladive de surprendre. Depuis sa réélection en particulier, on peut avoir l’impression qu’il cherche à gagner en inattendu ce qu’il a perdu en majorité. Comme si le singulier était destiné à le consoler de la perte de la majorité absolue. Et à nous étonner plus qu’à nous convaincre et nous mobiliser.
La politique est un art
De quelque côté qu’on se tourne, la propension du président de la République à ralentir quand on le souhaite rapide, à être indulgent quand on le voudrait sévère, à laisser les ministres et les choses en l’état quand on aspirerait à une verticalité décisive, à changer de conviction au fil des jours, des tactiques et des rapports de force alors qu’on l’aimerait fermement campé sur un socle stable et sincère, est éclatante. Elle le constitue tel un fugitif permanent de lui-même et un créateur d’étonnements pour les citoyens. À force de ne jamais être là où l’attend, il a perdu le bénéfice de la surprise. Il est tombé dans l’ennui d’une posture dont l’invention n’est plus spontanée, mais programmée : l’incongru est roi.
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Certes j’admets volontiers que la politique est un art. Elle exige un talent capable de s’adapter à la réalité dans toutes ses évolutions. Mais, par exemple, n’y a-t-il pas, dans la volonté persistante du président de ne pas tirer les leçons de certains échecs gouvernementaux ou ministériels et de maintenir contre toute attente la Première ministre (les dernières supputations la voient remplacée par Gérald Darmanin) et certains ministres, différant le remaniement comme s’il jouait avec les nerfs de son peuple, une obsession de ne pas réagir comme ses prédécesseurs et de damer le pion à ceux qui prétendraient savoir lire dans ses pensées ? À un certain degré de contradiction avec le sentiment populaire majoritaire, la pratique d’un président ne relève presque plus de sa liberté mais d’une forme de sadisme républicain désireux seulement de se distinguer par la déception qu’il inspire.
Le pays est sorti de ses gonds, mais Emmanuel Macron est distant
Dans un registre mineur, alors que comme chaque année la France aura un invité d’honneur pour le 14 juillet, le président de la République a décidé de ne pas respecter la tradition – il l’a déjà transgressée – de l’entretien du 14 juillet. Il avait pourtant promis de s’exprimer en ce jour de fête nationale et on aurait pu espérer que cet engagement serait tenu et que cette normalité républicaine serait contagieuse pour mettre en état de tranquillité un pays sorti de ses gonds. Mais non. Dans quelques jours il se livrera à cet exercice ou communiquera d’une autre manière. Alors que cette période, précisément parce qu’elle est désordonnée, instable et violente, aurait appelé le retour d’une accalmie, d’une habitude démocratique d’écoute, de dialogue et d’apaisement, le président, selon son bon plaisir, a raisonné à l’inverse. Et je pense qu’il a tort. On ne peut pas toujours prendre prétexte de situations bouleversantes pour s’interdire l’exigence de sérénité. Il y a une puissance, dans les rituels respectés, qui mettent de l’ordre et de l’espoir dans les temps, aussi troublés qu’ils soient.
Je pourrais aussi, au risque de lasser, considérer comme une pratique présidentielle bizarre le fait de garder près de soi à l’Élysée ou au gouvernement des personnalités mises en examen, notamment Thierry Solère qui traîne la bagatelle de 13 mises en examen, ce qui ne gêne apparemment pas Emmanuel Macron.
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Dans cet entêtement qui récuse les conclusions que le bon sens privilégierait, faut-il remarquer une obstination qui ne veut rien se laisser imposer, surtout pas l’opinion dominante du profane, ou un tempérament ludique qui trouve son plaisir à faire des pieds de nez à la morale et à la décence républicaine ?
Il serait navrant en tout cas que le cercle des courtisans autour du président le conforte dans cette conception du pouvoir en félicitant sa personnalité d’être aussi atypique. Ce n’est pas faire injure à Emmanuel Macron que de vouloir pour la France, en 2027, quel que soit son successeur, une brillante normalité. J’ose croire que ce sera possible.
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