Accueil Politique 14 juillet: le jour où on a le droit d’aimer la France

14 juillet: le jour où on a le droit d’aimer la France

Vive la fête nationale et vive la France !


14 juillet: le jour où on a le droit d’aimer la France
Feux d'artifices à la Tour Eiffel. Image d'illustration Unsplash

Pourquoi il faut défendre ce défilé militaire que tant de progressistes aimeraient voir disparaitre


L’une des façons les plus courantes d’humilier la France est de l’attaquer sur son passé. Il y est de bon ton, au nom d’une vision monolithique de l’histoire, de s’y flageller jusqu’au sang, de marquer d’une pierre blanche tous les anniversaires susceptibles de rappeler combien des hommes se sont comportés comme des porcs en son nom – tout en passant sous silence le récit de ceux qui, en vertu des mêmes revendications, ont rendu un vibrant hommage à l’humanité. Au nom de la nécessité de « regarder l’histoire en face », on oblige une vieille nation à la repentance perpétuelle, la culpabilité profonde sans doute à la racine du délitement dont le constat fait désormais l’unanimité. Il convient de haïr cette identité qui nous lie au nom de son passé criminel, jamais de reconnaître l’émouvante générosité dont elle a su faire preuve et qui ferait pâlir tant d’autres pays. Comme s’il n’y avait pas dans un cœur humain suffisamment de place pour faire cohabiter des réalités mitoyennes.     

A lire aussi: Causeur #103: Silence, on égorge

Toujours est-il qu’en ce jour de fête nationale, ces constantes sont démenties. Une fois par an, tous les symboles français sur lesquels d’ordinaire on s’essuie les pieds prennent la lumière le temps d’une parenthèse enchantée. Les drapeaux sont brandis aux fenêtres, des fumigènes aux couleurs tricolores traversent les nuages, on applaudit ceux qui portent l’uniforme et qui se montrent prêts à tous les sacrifices pour servir cet intérêt supérieur. Des cars sont affrétés aux aurores depuis tout le pays pour ceux qui ne veulent rien rater du spectacle parisien depuis les Champs-Élysées, d’autres programment leur télévision à l’heure de leur petit-déjeuner. Qu’importe d’où l’on vienne, on laisse la haine de soi et le martinet au placard pour (re)trouver la fierté d’être Français. On a le droit de dire qu’on aime la France sans être rangé chez les fachos, les ploucs, les irréductibles qui résistent encore et toujours à la mondialisation. Le 14 juillet, c’est la revanche des «Somewhere» sur les «Anywhere», pour reprendre la dichotomie de David Goodhart, dressée dans son best-seller traduit en français sous le titre Les Deux Clans, La nouvelle fracture mondiale. Les enracinés ont leur (petit) quart d’heure de gloire, ils voudraient 14 juillet tous les jours de l’année. Dans cet interstice du calendrier, l’amour de soi n’est pas assimilé à la détestation des autres et la France n’est plus un horizon dépassable, soluble dans l’Europe, les Etats-Unis, le marché : elle demeure infiniment tangible dans ce qu’elle a de meilleur, représentée par sa fine fleur académique et militaire sur laquelle tous les projecteurs sont braqués. Ce défilé maintient l’illusion artificielle que le patriotisme n’est pas menacé, que la souveraineté nationale demeure sans qu’elle ne soit réductible aux nationalismes barbares d’antan.  

Des militaires de la marine nationale répètent pour le défilé du 14 juillet, 12 juillet 2021, Paris © Lewis Joly/AP/SIPA

Cet événement qui se veut un instrument de l’unité nationale atteint son but : l’espace d’une courte journée, on réussit à « faire peuple » autrement qu’en rouspétant à cause des retards dans le métro ou qu’en fêtant une victoire sportive. Les partisans de « la France » et de « la République » sortent les drapeaux blancs, ils rangent les armes argumentaires de leurs guerres intestines pour applaudir leur armée et scruter son aviation. Il est question de s’inscrire dans un héritage, d’asseoir des traditions, d’admirer la discipline dans un monde où la loi n’est plus perçue que comme castratrice. En cela, la parade du 14 juillet est à la fois antimoderne et instagrammable, ce qui ne l’empêche pas, hélas, de subir quelques crimes esthétiques. Nous n’oublierons jamais qu’en clôture de l’édition 2017, le président Emmanuel Macron avait incité la fanfare interarmées à faire jouer les cuivres au son de « Get Lucky » des Daft Punk sous le regard taiseux de Donald Trump. Nous n’oublierons pas qu’en 2018, un Alphajet de la Patrouille de France a inversé les fumigènes censés dessiner le drapeau tricolore, donnant aux spectateurs l’impression d’être devenus daltoniens. Nous n’oublierons pas qu’en 2020, l’exécutif a préféré laisser les avions cloués au sol par précautionnisme sanitaire.  

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Taha ta gueule à la récré

Il n’empêche qu’il faut la défendre, cette parade que certains voudraient voir disparaître. Des voix « progressistes » toujours plus nombreuses s’élèvent ces dernières années pour sa dissolution au nom justement des symboles qu’elle promeut et qu’ils jugent insupportables. En 2011, Eva Joly faisait scandale en proposant de la supprimer. En 2017, Philippe Poutou donnait tranquillement ses raisons de détester cette « parade virile et nauséabonde » qu’il décrivait comme un « étalage de matériel de mort, ce parterre de gradés plus ou moins médaillé, bêtement au garde à vous, qui passent devant une tribu d’officiels, d’hommes de pouvoirs et de possédants ». Ils ont plus qu’on ne le croit en commun avec ceux qui sortent de leur tanière lorsque la fête est finie et que le soleil se retire pour « niquer la France », reprendre les bonnes habitudes, picoler et casser des voitures, violenter les pompiers et les policiers. Le 15 juillet, beaucoup se réveillent avec une gueule de bois sans avoir bu une goutte d’alcool, ce sont ceux qui ont assisté au défilé militaire et qui entendent dans les premiers bulletins d’informations matinaux le décompte des voitures calcinées et des violences nocturnes. Le réveil est un peu difficile, comme quand on passe d’un rêve à la réalité. Et s’ils avaient une raison supplémentaire de vouloir la défendre, cette France ? Rappelons ces mots prononcés par le philosophe Alain Finkielkraut lors de son entrée à l’Académie française : « J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi, était mortelle » …  

Les uns contre les autres - Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé

Price: 19,00 €

26 used & new available from 2,94 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Le « Elle et Lui » d’Alfred Hayes
Article suivant Drôle de fête nationale que la nôtre!
Rédactrice en chef au bureau parisien d'i24news

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération