Jusqu’à présent, les commémorations du 11 Novembre célébraient l’issue victorieuse de la Grande Guerre mais également la fin d’un conflit dont le prix du sang fut terrifiant. La France était durablement et profondément meurtrie dans sa chair et dans son esprit. La mort du dernier poilu, Lazare Ponticelli, en mars 2008, a été l’occasion de s’interroger sur le sens à donner à ces célébrations. Nul besoin, en effet, de commission d’enquête pour s’apercevoir qu’elles suscitent un intérêt fléchissant des français, et c’est un euphémisme ! Ingratitude, légèreté, individualisme outrancier de l’homme moderne ? Plus probablement, la souffrance de tout un peuple a passé et ce dernier ne trouve plus sa place dans ces cérémonies.
Il y a bientôt un an, Nicolas Sarkozy annonçait vouloir faire du 11 Novembre « la date de commémoration de la Grande guerre et de tous les morts pour la France ». Il s’agissait d’éviter la « fossilisation » assurait l’entourage présidentiel ; en somme, de redonner un nouveau souffle. Cette annonce fut diversement appréciée mais ne déchaîna pas les passions et une loi fut votée en ce sens le 28 février dernier. On nota sobrement une analogie avec le « Memorial Day » au cours duquel, chaque dernier lundi du mois de mai, les Américains honorent les soldats morts au cours des guerres menées par les Etats-Unis. À peine, amabilités politiciennes obligent, intenta-t-on, sans grande ardeur, un procès en « américanisation » du 11 Novembre.
La formulation provocante du constat ne lui ôte pourtant pas sa pertinence : le souvenir est une réalité vivante qui meurt quand on l’immobilise. Si elles ne parviennent pas à s’affranchir d’un cérémonial qui s’est figé avec le temps, ces cérémonies perdront leur sens et donc leur légitimité aux yeux des français. Elles ne seront guère plus qu’un anachronisme auquel s’accrochent quelques anciens combattants amers de constater, impuissants, l’incompréhension et le désintérêt de leurs concitoyens.
« Les peuples heureux n’ont pas d’histoire » disait Hegel. Peut-être! Plus sûrement, les peuples qui ne comprennent plus la leur se cloîtrent définitivement dans une schizophrénie absurde. Alors, oui, ces célébrations sont nécessaires pour donner du sens à notre histoire. Qui voyage en Australie un 25 avril peut vivre – le mot est particulièrement approprié – l’ANZAC Day[1. L’ANZAC Day célèbre chaque année le premier jour du débarquement du corps australien et néo-zélandais à Gallipoli -détroit des Dardanelles- en 1915. Impliquant également des forces britanniques et françaises opposées à l’armée turque, les opérations se soldèrent, après plusieurs mois de violents combats, par un échec sans appel et la mort de dizaines de milliers de jeunes soldats.]. On ne peut qu’être impressionné par la ferveur populaire, l’enthousiasme et la fierté de ces foules qui participent et assistent ce jour-là à des manifestations patriotiques. Paradoxalement, alors qu’une multitude de soldats connut un destin funeste, les gens que l’on croise semblent heureux. Qui aurait ainsi l’idée saugrenue de fêter joyeusement l’assaut du chemin des Dames ou l’enfer de Verdun ?
En fait, et c’est le secret d’un peuple qui s’est approprié son histoire, les Australiens ne célèbrent pas ce jour-là un fait d’arme ni leur institution militaire. En honorant tous les citoyens qui ont un jour porté les armes, ils s’honorent eux-mêmes en tant que Nation.
Un soldat mort n’est pas un mort ordinaire. Indépendamment des raisons qui ont poussé l’Etat à lui demander de se battre, son statut est celui de héros. Il appartient ainsi, et c’est bien là le sens du Soldat Inconnu, à la Nation toute entière. Mais après le temps du deuil, vient celui du souvenir. Nos anciens, survivants d’un cataclysme de souffrance, ont porté, leur vie durant, le voile du premier. Nos générations peuvent aujourd’hui, sans craindre de paraître désinvolte, cultiver la flamme du second. La souffrance a passé.
En Australie, lors de l’ANZAC Day, tous les citoyens sont invités à arborer leurs propres décorations militaires, celles de leurs parents, grands-parents, proches ou bien le fameux « poppy », fleur de coquelicot en tissu, pendant britannique du Bleuet de France. Point de concours de gloire, mais la joie simple du souvenir, une envie de partager un moment fort et symbolique qui rassemble la Nation à travers les époques.
Pour affermir la cohésion morale des Français, nous pouvons probablement nous imprégner de cet état d’esprit et faire ainsi du 11 Novembre un hommage du peuple à tous ses soldats en vivant l’idéal pour lequel ils se sont battus : un peuple en paix et heureux de vivre ensemble.
*Photo : Xavier de Jauréguiberry.
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