Le porte-parole du gouvernement a annoncé qu’il y aurait en France «un moment d’hommage et de deuil». Célébrer la «mémoire» des malades morts du Covid, envisager un mémorial, est-ce vraiment une bonne idée?
La Covid Pride aura bien lieu. Gabriel Attal a annoncé mercredi qu’il y aurait « un moment d’hommage et de deuil ». Le député Mathieu Orphelin souhaite une journée annuelle de commémoration, un Covid Day qui aurait lieu tous les 17 mars, en souvenir du jour funeste où nous avons été confinés la première fois – d’habitude, on célèbre plutôt la victoire que l’entrée en guerre, mais passons. La Mairie de Paris n’allait pas rester à l’écart de ce concert de grands sentiments. Dans son inimitable jargon, Anne Hidalgo a donc proposé la construction d’un « lieu de mémoire active » : « Nous voulons analyser ce bouleversement que constitue la pandémie du Covid-19 et contribuer ainsi à l’édification d’une mémoire vivante de ses effets psychologiques, sociaux, politiques et économiques.» Le Conseil de Paris a approuvé à l’unanimité ce vœu de la maire. Des Insoumis aux lepénistes, de New York à Bergame, la politique de l’effusion fait consensus. Plusieurs villes dans le monde se sont déjà dotées d’un mémoriel – si j’ai bien compris on dit mémoriel quand c’est virtuel. À Londres, des milliers de cœurs ont été dessinés sur un mur le long de la Tamise.
Une idée ridicule
Qu’on ne se méprenne pas, je comprends la douleur des familles endeuillées, douleur décuplée par des règles inhumaines et, pour beaucoup, par l’absurdité d’une maladie contractée à l’hôpital. Ces morts et leurs proches méritent notre compassion. Mais la compassion n’est pas l’admiration. Pourquoi admirerait-on les victimes du Covid, plus que celles du sida, du cancer ou des accidents de la route ? Certes, il semble qu’on ait passé le nombre de 100 000 morts du Covid. On ne voit pas pourquoi les patients atteints de maladies rares seraient privés de leur quart d’heure de gloire posthume. Peut-être faudra-t-il instaurer, comme le suggérait Muray « Le jour des asthmatiques et des syphilitiques, l’année des schismatiques et des paraplégiques ». On trouvera peut-être cette ironie inconvenante alors que des gens sont morts. Ce que je trouve inconvenant, c’est cette ridicule idée d’hommage. Personnellement, j’aimerais que personne ne s’avise de dessiner un cœur en mon honneur (d’accord, il y a peu de chances). Je préfère imaginer qu’on viendra rigoler sur ma tombe.
A lire aussi, Elisabeth Lévy: Quand la gauche s’éveillera
L’hommage de la nation est légitime dans deux cas de figure.
Tout d’abord, il s’adresse à ceux qui, par leur héroïsme, leur courage, leur abnégation, ont servi la collectivité. Qui incarnent quelque chose de plus grand qu’eux, comme la liberté. Les morts du Covid n’ont pas choisi de tomber malades et, si on excepte le cas des soignants, ils n’ont rendu service à personne en mourant.
Sommes-nous devenus incapables d’affronter le tragique?
Ensuite, on honore les victimes de génocide et de crimes de masse – Auschwitz, Cambodge, Rwanda, esclavage. Il s’agit à la fois de rendre à des millions d’anonymes leur dignité bafouée par l’histoire, mais plus encore de ne pas oublier de quelle monstruosité les hommes sont capables – pour que « plus jamais ça ». Bien que des zozos d’extrême gauche prétendent que les victimes du Covid sont mortes pour nos profits, il n’y a pas de barbarie virale ni de bête immonde au ventre toujours fécond – à part le pangolin certes, mais on peut difficilement lui imputer un projet criminel.
On me demandera en quoi ces célébrations annoncées me gênent alors qu’elles semblent réconforter tant de monde. Elles témoignent de ce que nous sommes devenus : des êtres pleins de sensiblerie, incapables d’affronter le tragique, à qui l’émotion tient lieu de pensée. Autrefois on admirait les héros, ceux qui triomphent du sort, aujourd’hui on adule ceux qui le subissent. On allume des bougies contre le terrorisme et on dessine des cœurs contre la mort.
La primauté de la vie biologique
Il faut aussi s’interroger sur cette demande généralisée de collectivisation, de nationalisation, d’officialisation, des peines intimes. On dirait qu’à l’ère de l’arraisonnement médiatique du monde, ce qui est privé n’existe pas vraiment. Cette rage de partager les expériences les plus indicibles est la négation de la condition humaine et de son inaltérable solitude.
Il est vrai cependant que nos excellentes intentions nous ont fait commettre un crime à l’égard de ces victimes de l’épidémie. Pas parce que nous avons échoué à les sauver, parce que nous les avons laissées mourir seules, au nom de la primauté de la vie biologique sur tout autre considération. Si nous voulons vraiment les honorer, ce n’est pas en nous admirant en train de pleurer sur leurs tombes mais en jurant qu’à l’avenir nous refuserons cette barbarie du Bien.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !