Élisabeth Lévy. Contrairement à votre père qui assumait, voire désirait la diabolisation du Front national, vous semblez vouloir en finir avec l’ostracisme. Comment espérez-vous y arriver ?
La diabolisation a toujours fait débat au Front où deux stratégies s’affrontent. Contrairement à Bruno Gollnisch, qui pense qu’on peut arriver au pouvoir grâce à elle, j’ai toujours pensé qu’on y arriverait malgré elle. Pour autant, il ne s’agit pas de tomber dans le consensus mou typique de l’énarchie politique. De toute façon, quand on va à l’encontre du courant majoritaire, il faut s’attendre à susciter une réaction violente. De plus, une bonne polémique peut être utile : l’affaire Frédéric Mitterrand en est un exemple. Elle a permis de mettre au cœur du débat la question de la moralisation de la vie publique et de forger une grille de lecture à travers laquelle on a jugé l’affaire de l’EPAD, l’affaire Woerth-Bettencourt et, maintenant, celle du Médiator.[access capability= »lire_inedits »]
E.L. J’insiste. Pour sortir de la diabolisation, il faut être deux. Du reste, avec vos propos sur la rue Myrha « occupée », on se demande si vous-même n’y avez pas pris goût…
J’ai toujours pensé qu’il était nécessaire d’éviter de nourrir la suspicion qui pèse sur le FN, notamment celle de l’antisémitisme. Surtout qu’à l’heure actuelle, des problèmes graves méritent toute notre énergie. Dans cette perspective, mon discours de Lyon appelait à lutter contre toutes les féodalités, religieuses, régionalistes et financières. Dans certains territoires devenus des zones de non-droit, la souveraineté nationale est menacée non seulement par les lois religieuses mais aussi par les lois mafieuses imposées par des trafiquants de drogue au détriment des lois de la République française. Trouvez-vous normal que des habitants soient obligés de passer au détecteur de métaux avant d’être autorisés à rentrer chez eux ? Evidemment, certains ont voulu me coincer en me plaçant du coté des nazis, alors que je me plaçais du côté de la Résistance.
E.L. La suspicion dont vous parlez a quelques fondements ! Concernant le vieux vivier des militants du Front national, l’antisémitisme et le racisme ne relèvent pas des seuls fantasmes…
Si beaucoup. J’ai pris des risques pour faire évoluer l’image du parti. Avec le nom que je porte, j’aurais pu me couler dans le moule et brosser chacune des chapelles dans le sens du poil. J’ai préféré affronter mes adversaires pour les convaincre. J’ai fait 51 déplacements pour expliquer mes projets en toute franchise. Je n’ai pas tenu compte des Cassandre qui me déconseillaient de parler de laïcité au risque de heurter les cathos intégristes. Les adhérents choisiront en toute connaissance de cause. À en croire les sondages, 91 % des sympathisants du Front sont en adéquation avec mon projet. En deux ans, leur nombre a triplé et je pense qu’ils sont prêts à faire leur révolution culturelle. S’ils me choisissent, le FN sera le premier et le seul parti dont les militants seront en adéquation avec les électeurs. Ce sera une nouvelle vision du Front national. En tout cas, c’est le pari que je fais. Alors, vous pouvez ne pas croire à la sincérité de mes convictions − ce en quoi vous auriez tort −, mais vous devez admettre que mon discours est parfaitement clair.
Daoud Boughezala. En attendant, votre ligne ne fait pas encore tout à fait l’unanimité. Que pensez-vous des papiers truculents de Christian Boucher sur le rôle du lobby juif dans l’affaire des mosquées ?
Pour parler de mon entourage sulfureux, on me ressort toujours les trois mêmes compères. Boucher, je l’ai vu trois fois dans ma vie ! Et c’est lui qui me soutient, pas l’inverse. Chatillon est un ami de longue date, ce qui ne m’empêche pas d’être en désaccord avec lui. Quant à Latruwe, il est technicien pour le site pour Nation Presse Info, un site qui me soutient. On finira par aller chercher ma boulangère pour savoir si elle n’avait pas des relents racistes…
E.L. Et vous, êtes-vous raciste ?
Dois-je répondre à cette question ?
E.L. Ne faites pas la naïve ! Vous savez bien qu’un certain nombre de militants et d’électeurs du FN s’opposent à l’immigration non pas parce qu’elle sape les fondements de la République en empêchant l’intégration, mais parce qu’ils n’aiment pas les Arabes !
J’ai toujours considéré scandaleux qu’on assimile à du racisme le combat contre l’immigration (le problème des journalistes, c’est qu’ils nous ressortent les schémas développés contre le FN). Or, pendant des années, on a expliqué qu’être contre l’immigration, c’était être raciste. Du coup, si vous demandez aux gens dans les bistrots s’ils sont racistes, ils vous répondront par l’affirmative. Arrêtons avec ces accusations de racisme, le Front National n’a pas une vision ethnique de la Nation. Je vous rappelle que le Front était pour l’Algérie française, ce qui impliquait que des millions de musulmans algériens deviennent français et qu’il soutient les harkis.
D.B. En ce cas, pourquoi ne pas changer de cheval de bataille et déclarer clairement que votre ennemi est le capitalisme mondialisé dont l’immigration n’est qu’une conséquence ?
Parce qu’il nous faut marcher sur nos deux jambes. En acceptant pendant des années d’incarner uniquement, aux yeux de beaucoup de Français, la lutte contre l’insécurité et l’immigration, le FN a subi une interprétation partielle et donc déséquilibrée. Je veux redonner une cohérence au projet politique du Front en m’appuyant sur mon programme économique et social.
Isabelle Marchandier. Peut-être, mais votre défense de la laïcité peut sembler surprenante quand on se rappelle que le FN était le parti des cathos intégristes…
Arrêtez avec cette histoire de cathos intégristes ! Le Front National est beaucoup plus divers que cette caricature. Venez plutôt assister au Congrès et vous verrez… Cela dit, je pense que les religions peuvent être un élément de paix civile. Mais je veux qu’elles restent à leur place parce que sinon, c’est la guerre civile qui nous attend. Je lutte contre ceux qui appellent de leurs vœux un « combat des civilisations ».
Muriel Gremillet. Vous noyez le poisson ! C’est avec l’islam que vous avez un problème… Est-il, selon vous, compatible avec la République ?
C’est aux musulmans de répondre. L’avancée de l’islam radical en France et en Europe est facilitée par la démission des pouvoirs publics. Tout le monde a peur d’être accusé d’islamophobie et de racisme. J’attends que les musulmans modérés prennent la parole. Ce sont les intégristes qui les empêchent de respecter les règles de la République. Il suffit qu’il y ait, dans un petit village, une seule famille réclamant que les interdits alimentaires religieux soient respectés à la cantine de l’école pour que l’application suive immédiatement. La minorité impose sa loi à la majorité et c’est la victoire du droit à la différence. Tant que l’assimilation fonctionnait, la pratique de l’islam respectait parfaitement l’environnement identitaire et social français. C’est à partir du moment où les immigrés musulmans sont devenus de plus en plus nombreux que les problèmes sont survenus et que l’intégrisme musulman s’est développé.
Cyril Bennasar. Faut-il alors, comme les extrémistes laïcs qui s’insurgent contre les crèches ou les sapins de Noël, refuser toute tolérance à l’égard des pratiques religieuses ou culturelles qui ne posent pas de problème ?
Nous étions parvenus à un équilibre dans lequel la laïcité respectait les racines chrétiennes qui font partie de notre identité nationale. La séparation de l’Eglise avec l’Etat a eu lieu. Maintenant, il faut séparer la mosquée et l’Etat et, pour cela, imposer une laïcité intransigeante sans pour autant renoncer à nos racines judéo-chrétiennes. C’est un défi.
C.B. Comment faire pour que les musulmans n’aient pas l’impression d’être victimes d’une loi d’exception ?
L’islam est une religion importée, c’est à lui de s’adapter.
M.G. Ne craignez-vous pas de transformer le FN en syndic de défense des « petits Blancs » ?
Dans le syndic des « petits Blancs », il y a aussi des petits musulmans, soit Français depuis de nombreuses générations, soit parce qu’ils ont choisi de venir en France, parce qu’ils voulaient vivre selon le mode de vie occidental et voir leurs filles se balader en jupe, faire des études et avoir le droit de travailler.
M.G. Vous en connaissez ?
Bien sûr. Je reçois des mails de Français musulmans qui ont peur de subir des représailles lorsqu’ils n’observent pas le ramadan et vivent avec la crainte de voir leurs voisins fouiller dans leur poubelle pour vérifier s’ils n’ont pas mangé de porc, comme cela s’est vu en banlieue !
M.G. À vous entendre, l’immigration serait l’alpha et l’oméga de tous nos problèmes et il suffirait de le résoudre pour aller vers un avenir meilleur. Pensez-vous vraiment que c’est la thématique sur laquelle vont se jouer les élections ?
Je n’ai jamais considéré que l’immigration était le seul problème de la France. Mais nier qu’elle est l’un des problèmes les plus importants de notre pays, notamment économique, c’est faire preuve d’une irresponsabilité inquiétante. De plus, les chiffres officiels sont très sous-évalués. Lors de la rentrée scolaire, certains maires s’aperçoivent qu’ils ont besoin de 40 classes de primaires supplémentaires par rapport aux données du recensement. Les hôpitaux sont surchargés par l’immigration sanitaire. Or, soigner est une chose mais prendre en charge des cures thermales ou des traitements contre l’infertilité en est une autre. Les logements sociaux sont réservés aux immigrés pour des raisons mécaniques : ils arrivent et n’ont rien. Ils passent donc devant des Français qui ont un peu plus de moyens, mais qui sont aussi dans le besoin. Résultat : ce sont les banlieues qui captent le plus d’allocations au détriment de nos campagnes où résident aussi de vrais pauvres. D’ailleurs, comme le dit Éric Zemmour, la France aura beau être couverte de logements sociaux, on ne pourra pas loger l’Afrique entière !
E.L. Quoi qu’il en soit, le problème de la France n’est pas tant l’immigration que l’intégration des Français de souche récente. À moins que vous établissiez une distinction, non pas entre nationaux et étrangers, ce qui est légitime, mais entre Français, ce qui laisserait penser que votre révolution culturelle n’est pas si profonde que ça…
C’est reparti ! D’abord, il est faux de prétendre que tous les habitants de nos cités sont français. Par ailleurs, avec les étrangers comme avec les Français, on doit conjuguer justice et fermeté. Enfin, si on veut arrêter l’immigration, il faut en finir avec le droit du sol et appliquer la préférence nationale, c’est-à-dire, à compétence égale, donner la priorité au citoyen français. Ainsi, il me paraîtrait normal d’imposer un surcoût au patron qui veut employer des étrangers.
E.L. Vous savez très bien que le droit du sol a déjà été limité. Par ailleurs, dès lors que la France n’est pas une nation ethnique, comment devient-on français si on supprime le droit du sol ? Enfin, comment restreignez-vous l’immigration, notamment illégale ?
Comme le dit le FN depuis toujours, la nationalité française, on en hérite ou on la mérite. Si je suis élue, on ne deviendra plus français automatiquement sous prétexte qu’on est né sur le territoire. Par ailleurs, il faut mettre en place une politique plus dissuasive que celle des autres pays européens, en particulier en matière de prestations sociales. Des immigrés viennent parce qu’ils savent qu’ils vivront mieux chez nous sans travailler que chez eux en travaillant. C’est aberrant! Les 900 000 clandestins qui entrent chaque année dans l’Union européenne sont logiques : ils privilégient le pays qui n’a pas durci l’accès aux prestations sociales.
E.L. Vous ne répondez toujours pas sur l’intégration. Considérez-vous, comme un certain nombre de vos électeurs, qu’un Français d’origine maghrébine ou africaine, même naturalisé, n’est pas vraiment français ?
Là encore, c’est aux intéressés de savoir s’ils veulent être vraiment français, c’est-à-dire adopter nos valeurs, notre mode de vie, nos codes, nos mœurs… Le multiculturalisme, qui est une conséquence de l’immigration de masse, n’est pas viable. C’est lui qui engendre des distinctions raciales entre Français. Nous devons revenir à l’assimilation.
E.L. Il est déjà difficile de faire respecter la loi, alors comment imposez-vous un mode de vie sans attenter à nos libertés ? Par la force ?
Oui, par la force du rouleau compresseur républicain. Il faut condamner ceux qui ne respectent pas les règles et refuser toute revendication communautariste, financement des mosquées, suppression du porc dans les cantines, prières dans la rue. Cessons aussi de proposer aux enfants des cours de culture et de langues d’origine. Je propose d’inscrire dans la Constitution que la République ne reconnaît aucune communauté. Combien de fois faudra-t-il rappeler qu’elle est « une et indivisible » ? Le gouvernement actuel agit à l’encontre de nos valeurs en favorisant le retour aux féodalités. Alors, certains pensent que tout est déjà foutu mais, si on ne mène pas la guerre pour la République et la nation, il est certain qu’on la perdra !
E.L. Etes-vous pour le retrait de la nationalité française, et si oui, dans quels cas ?
Dans les dix ans qui suivent l’acquisition de la nationalité française, il doit être possible de la retirer en cas de crime, de délit grave, de récidive.
E.L. Qu’avez-vous à dire à un jeune Français musulman qui respecte les règles, fait le parcours du combattant pour décrocher des diplômes et qui, au final, se heurte au racisme d’un employeur ?
Il est absolument essentiel de distinguer les voyous de ceux qui respectent les règles.
M.G. Cette révolution culturelle ne va-t-elle pas vous aliéner les électeurs qui pensent que vous faites muter l’ADN du FN pour vous rapprocher de l’UMP ?
Vous rigolez ! Il est impensable que le FN s’allie avec l’UMP. Dans les années 1980, la différence entre le RPR et nous était une question de degré. Aujourd’hui, le gouffre est tellement béant que toute négociation est impossible, car notre différence est aujourd’hui de nature. C’est la raison pour laquelle ils ne peuvent ni nous menacer ni nous acheter. Certes, nous ne sommes pas à l’abri d’une manipulation du type Carpentras que nous nous sommes pris en pleine figure. Mais nous savons nous défendre.
E.L. Vous ne vous considérez pas d’extrême droite, mais vous diriez-vous « de droite » ?
Non. Notre slogan est « Ni droite, ni gauche, Français ! ».
M.G. En attendant, notre paysage politique est toujours structuré par le clivage droite/gauche : alors, où vous situez-vous ?
Le clivage gauche/droite existe dans les médias mais plus dans la vie politique. Regardez comment la droite et la gauche votent ensemble la grande majorité des directives européennes.
E.L. Oui mais, au final, il y aura bien à l’arrivée un candidat de droite et un de gauche…
C’est toute la question qui va se poser aux Français. Soit ils décident de choisir entre deux candidats du parti global, soit ils optent pour l’alternative entre un candidat national et un candidat mondialiste, c’est-à-dire quelqu’un qui propose une politique radicalement différente de celle menée par le PS ou l’UMP.
I.M. En somme, vous cherchez à substituer au clivage droite/gauche le clivage entre les républicains et les autres ?
Je parlerai plutôt du clivage entre nationaux et mondialistes. Pour moi, le mondialisme est un totalitarisme. Je veux maintenant réconcilier République et Nation. D’ailleurs, certains m’ont assez reproché, au sein de mon parti et dans l’entourage de Bruno Gollnisch, de ne pas croire à la France charnelle. Moi, je ne crois pas que la France soit née en 1789 mais, contrairement à certains, je ne crois pas qu’elle soit morte en 1789. En acceptant l’opposition entre républicains et nationaux, nous avons contribué à construire le piège dans lequel nous nous sommes enfermés. Je suis résolument républicaine et charnellement nationale.
D.B. Reprenez-vous à votre compte l’analyse d’Alain de Benoist qui, en 2007, expliquait que l’avenir du FN était de devenir le parti des exclus de la mondialisation, des classes moyennes déclassées, des couches populaires victimes des délocalisations ?
Oui, cette analyse me semble très juste. Le FN est le parti des « petits » contre les « gros ». Et alors que tous les membres des classes moyennes sont hélas des « petits » en puissance, nous rallierons un nombre croissant de Français.
E.L. Dès lors que vous refusez toute alliance à droite et que la gauche n’est pas prête à vous accueillir, comment faites-vous pour sortir de l’ostracisme ?
Je m’appuie sur le peuple. Dans l’affaire des prières de rue, on a eu beau me traiter de fasciste ou de nazi, 40 % des gens sont d’accord avec moi, sans compter tous ceux qui n’osent pas le dire. Sur la sortie de l’euro, beaucoup me suivent également. Maintenant, il s’agit de transformer les victoires idéologiques en victoire politique.
M.G. Comment comptez-vous avoir un groupe parlementaire ?
En atteignant le seuil critique. Le scrutin majoritaire à deux tours est conçu pour imposer la bipolarisation. Sauf qu’à partir d’un certain seuil, la bipolarisation nous intégrera au lieu de nous éjecter.
E.L. À combien estimez-vous ce seuil ?
À 25-30 %. À votre avis, entre un candidat socialiste et un candidat frontiste au deuxième tour, pour qui voteront les électeurs de l’UMP ? Et les communistes ? Ce sont les questions que se pose Nicolas Sarkozy tous les matins. Regardez ce qui s’est passé à Hénin-Beaumont. L’UMP a appelé à voter socialiste. Et nous avons perdu à 250 voix alors que tous les journalistes et politologues à poils longs affirmaient que le FN n’avait aucune marge de progression.
E.L. Pourquoi ne pas prendre d’assaut l’UMP ?
Mais parce qu’il est nécessaire qu’elle explose pour récupérer les patriotes et créer un parti national contre le parti mondialiste !
E.L. Avez-vous beaucoup de contacts dans la sphère politique ? Des correspondants à l’Élysée ?
Oui, j’ai des gens qui m’informent à l’Elysée sur ce qui s’y dit. Et j’ai pas mal de contacts avec des élus qui envisagent mon action avec beaucoup de sympathie. Sarkozy ne peut s’en prendre qu’à lui-même : en 2007, il est venu sur notre terrain, pas par conviction mais par ambition électoraliste. Ce faisant, il a ouvert la voie à la dédiabolisation du Front, ce que Chirac s’était toujours refusé à faire. Mais sur le fond, c’est Guaino qui est proche de nous ! Parce que lui est souverainiste, gaulliste et patriote.
E.L. Je ne crois pas que lui se considère comme « proche » de vous. Votre problème, c’est que vous n’avez pas grand-monde. Supposons que vous arriviez au pouvoir, avec qui gouvernez-vous ?
Aujourd’hui, ce sont des techniciens qui gouvernent la France. De Gaulle décidait et les fonctionnaires appliquaient. Moi, j’ai une vision gaullienne de l’action politique. Mais ne vous inquiétez pas, je suis entourée d’économistes performants qui travaillent dans les ministères et les grandes institutions financières.
E.L. Peut-être, mais ils se cachent !
Mais parce que, s’ils sortaient du bois, ils se feraient virer ! Par ailleurs, vous pointez mon prétendu isolement, mais c’est une grande chance pour les Français que le Front n’ait pas de réseau de copinage. Avec nous, ils auront un gouvernement qui pourra appliquer les règles, en toute impartialité, sans avoir à faire des concessions à tel ou tel lobby. Le Front n’est soutenu par aucun média, aussi pourra-t-il observer la plus grande éthique en matière d’information. Le Front n’est proche d’aucun patron du CAC 40, aussi sa politique économique sera-t-elle entièrement libérée des intérêts particuliers des uns et des autres et donc des pressions afférentes.
C.B. N’avez-vous pas l’impression que la vie politique fonctionne à rebours du volontarisme gaullien que vous évoquiez ? Que pensez-vous du Conseil constitutionnel, qui défait souvent ce que les élus font ?
Je suis pour sa disparition parce que c’est une institution qui va à l’encontre de la souveraineté populaire et de la démocratie.
C.B. À vous entendre, le peuple est une entité homogène aux intérêts identiques, opposée aux élites mondialisées qui défendent leurs privilèges. Or, ce ne sont pas les élites mondialisées qui refusent la présence de la police à la sortie des écoles, mais les enseignants. Comment éviterez-vous que le pouvoir se heurte au peuple et comment gérerez-vous les corporations présentes dans le peuple ?
Le référendum d’initiative populaire me paraît une solution intéressante. La démocratie représentative est morte. Il s’agit donc aussi de réconcilier le peuple avec ses représentants. Refuser la proportionnelle revient à rejeter un grand nombre de Français en dehors du processus électoral, et donc à créer une fracture entre les élites et le peuple qui est extrêmement dommageable au bon fonctionnement des institutions.
Cela dit, les crispations qui minent la société sont attisées par l’aveuglement du pouvoir qui mène des réformes sans tenir compte des difficultés sociales et sans arrêter la gabegie. Il est urgent de recréer les conditions d’un vrai dialogue social, ce qui suppose de permettre à des syndicats véritablement représentatifs d’émerger et de devenir de véritables interlocuteurs. Quand on envisage une réforme, il faut assoir à la même table ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Pendant le conflit sur les retraites, on a entendu uniquement les opposants. Je trouve cela absurde et pourtant je suis contre cette réforme ! Par ailleurs, on doit être plus exigeant à l’égard des organisations patronales qui ont corrompu les syndicats agricoles et industriels et avec les syndicats qui se sont laissé acheter. Où est passé l’argent de l’UIMM ? Rien n’est plus grave que de corrompre le dialogue social, qui est essentiel au bon fonctionnement de la société.
M.G. Vous défendez une ligne économique beaucoup moins libérale que celle de votre père…
Peut-être ai- je une vision plus étatiste et plus sociale que lui. L’intervention de l’Etat est encore plus nécessaire aujourd’hui pour préserver l’indépendance nationale avec la crise et son cortège d’abus, de dérégulations et d’excès. À chaque fois qu’un secteur est transféré du public vers le privé, cela se traduit par une régression de l’égalité et par une explosion des coûts. Je suis donc pour un service public des transports, de l’éducation, de la santé, des banques et des personnes âgées. Et je suis également pour l’intervention de l’Etat dans des secteurs stratégiques : énergie, communications, télécommunications et médias. Je réfléchis par ailleurs à une révolution fiscale qui rétablirait notamment l’équilibre entre le capital et le travail.
E.L. Et la socialisation des moyens de production, c’est pour quand ? En 2002, le FN critiquait les prélèvements obligatoires et l’Etat-providence. Ambitionnez-vous d’en faire un parti d’extrême gauche ?
Non bien sûr ! Mais le passage d’un système national à un système mondialiste a changé ma conception des choses. Bruno Gollnisch était pour la réforme de la retraite, j’étais contre. Il voudrait laisser sa chance à l’euro. Pour moi, l’euro est la monnaie des gangsters et des rentiers. Les choses sont simples : soit on sauve l’euro, soit on sauve la politique sociale. De toute façon, lorsque j’arriverai au pouvoir, je pense que l’euro n’existera déjà plus ! Alors, il faut anticiper sa fin plutôt que la subir.
E.L. Comment le prenez-vous quand on vous compare à Mélenchon, dont les orientations économiques sont proches des vôtres ?
Je sais que ça lui déplaît, donc la comparaison me plaît. Cela dit, je ne vois pas comment il compte appliquer son programme sans revenir au franc. De plus, sa vision immigrationniste et communautariste est en contradiction avec sa prétention à défendre les salariés français. Marchais était contre l’immigration, légale ou illégale, mais aujourd’hui le PC, qui est dans l’orbite de Mélenchon, est devenu un défenseur des minorités de tout poil. J’aimerais bien savoir comment il va concilier cela avec son discours républicain.
E.L. Etes-vous pour un protectionnisme français ou européen ?
Français bien sûr. Il faut bien comprendre que l’Union européenne est ultralibérale dans ses gènes et qu’il n’y aura jamais de protection aux frontières européennes. Il existe trois possibilités : la première, c’est la mondialisation actuelle, c’est-à-dire le grand torrent qui emporte tout ; la deuxième, c’est le barrage total, c’est-à-dire l’autarcie. Moi, je suis pour placer des écluses à nos frontières, afin de réguler les différences de niveau.
E.L. Donc, vous dénoncez les traités européens ?
Bien sûr. Et ensuite, je fais pendant quelques mois une dévaluation compétitive pour oxygéner l’économie française et retrouver une expansion économique comme le font les Etats-Unis et la Chine.
D.B. Pour réindustrialiser nos campagnes, ne faut-il pas repenser notre modèle de consommation centrée sur les biens « high tech » ?
Il y a plusieurs axes à envisager. La grande distribution a tué le petit commerce et a éliminé la concurrence sous prétexte, d’ailleurs, d’une concurrence libre et non faussée. Il faut intervenir sur ce secteur en limitant la captation de marchés entiers de biens fournis par les centrales d’achat. Je pense également qu’il faut réfléchir plutôt qu’à une TVA sociale, à une TVA de localisation qui varierait selon le lieu de fabrication. Enfin, j’imposerai aux fabricants des exigences de durabilité. Il est anormal de devoir changer de machine à laver tous les cinq ans.
E.L. Sur la sécurité, que faites-vous ?
J’applique la loi et c’est déjà beaucoup. Est-il responsable de permettre à un délinquant condamné à deux ans de prison ferme de faire zéro jour de prison ? D’accord, on manque de places de prison : 50 000 places pour une population carcérale de 70 000 personnes. Pourquoi ne pas avoir transformé les hôpitaux et les casernes désaffectés en centres semi-fermés pour des délits mineurs ? Cela aurait permis de séparer les petits des grands délinquants et donc de libérer les places de prison pour les criminels les plus dangereux. D’un côté, des criminels ne purgent pas leur peine et, de l’autre, des délinquants, outre la privation de liberté, subissent sévices sexuels et violences physiques.
E.L. À qui la faute ? A la police ? Aux magistrats ?
Parfois aux magistrats, parce qu’ils savent qu’il n’y a pas de place dans les prisons et préfèrent prononcer des condamnations avec sursis et parce que, pour certains, ils sont politisés et se placent systématiquement du côté « du délinquant contre la police, du côté de la femme contre le mari, du côté de l’enfant contre les parents » comme le rappelait un discours célèbre prononcé à la création du syndicat de la Magistrature… Quant à la police, elle est démoralisée. On sacralise la parole des accusés perçus non plus comme des criminels mais comme des victimes de bavure policière ou de racisme. L’usage de la force est toujours perçue comme illégitime et suspect. Résultat, face à une kalachnikov, le policier a peur de se défendre en raison des menaces de sanctions administratives. Les policiers sont donc pris en tenaille entre la pression de leur hiérarchie, les magistrats et les criminels qu’ils sont censés combattre. Ça me fait bondir de voir que les trafiquants de drogue qui ont pignon sur rue ne sont pas arrêtés parce que l’Etat a peur de créer des émeutes.
I.M. Etes-vous pour la réhabilitation de la peine de mort ?
Tout d’abord, je comprends que l’on soit contre. Je suis donc favorable à un référendum, d’abord au sein du Front, qui est divisé sur cette question, puis parmi les Français. Personnellement, étant avocate de formation, je juge la peine de mort sur le plan de l’efficacité juridique et non d’un point de vue moral, elle redonne une gradualité aux peines.
E.L. Quid des arguments de principe ?
Je trouve logique que l’on soit à la fois contre la peine de mort et contre l’avortement, mais j’ai du mal à comprendre que l’on s’oppose à la première et que l’on accepte la seconde.
M.G. Sauf qu’il y a une logique privée et une logique publique : avec la peine de mort, c’est l’Etat qui fait respecter l’ordre social par une violence définie comme légitime…
Oui, la logique publique est de protéger la société de la récidive et d’user de la dissuasion.
E.L. Êtes-vous certaine de remporter l’investiture du parti ou pensez-vous qu’il y a un risque ?
Il y a toujours un risque en démocratie. Je ne crois pas en ma défaite, mais je peux me tromper…
E.L. Alors que vos adversaires vous accusent de mener une épuration, votre élection ferait-elle exploser le parti ?
D’abord, il est curieux que des gens qui ont choisi de partir m’accusent d’être une épuratrice. Si je suis élue, ils verront que je suis beaucoup moins terrible et beaucoup plus rassembleuse que certains croient. Et je suis sûre que la plupart travailleront loyalement avec moi.
E.L. Que faites-vous, si Bruno Gollnisch gagne ?
Un quatrième enfant.
Question internet de Basile de Koch : Si on vous dit que la France n’est ni le problème ni la solution, est-ce que ça vous vexe ?
Je ne suis pas vexée, mais je pense que c’est une erreur. La France est la solution.[/access]
Par Cyril Bennasar, Daoud Boughezala, Muriel Gremillet, Elisabeth Lévy et Isabelle Marchandier.
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