Propos recueillis par Elisabeth Lévy
Comment qualifieriez-vous Marine Le Pen ? Populiste ? D’extrême droite ?
Le problème vient de loin. Avant de qualifier, il faut appréhender. Le problème est que, depuis trente ans, on a cherché à qualifier, ou plutôt à disqualifier, enfin à diaboliser. Accusé d’être successivement fasciste et nazi, tortionnaire, raciste et antisémite, Jean-Marie Le Pen est ainsi devenu le Goldstein de la vie politique française.[access capability= »lire_inedits »] Au passage, cette opération, outre l’entretien d’un petit milieu professionnel de l’antifascisme, a permis d’ignorer tous les problèmes soulevés par les saillies frontistes : l’immigration, l’insécurité, la désertification industrielle, etc. Puisque c’était Le Pen qui soulevait ses questions, c’est bien qu’elles étaient indécentes ou qu’elles n’existaient pas. Mais Goldstein n’avait pas de fille : on ne trouvera pas la suite de l’histoire chez Orwell. Le camp antiraciste a largement démontré, ces vingt dernières années, que la droite n’avait pas le monopole de la bêtise. La question est maintenant de savoir si les antifascistes d’opérette parviendront à enfermer Marine Le Pen dans le même corner que celui dans lequel son père s’est laissé piéger – souvent en y mettant beaucoup du sien.
Et avec sa sortie sur la rue Myrha « occupée », n’y a-t-elle pas, elle aussi, mis du sien ?
Cet épisode montre à la fois que la tentation d’un rebond diabolisant existe – j’ai comptabilisé plusieurs centaines d’articles sur le Net en vingt-quatre heures pour une phrase somme toute très anodine – mais que ce sera plus difficile avec la fille Le Pen. D’abord parce que la répétition n’est pas une chose joyeuse, même pour des antiracistes idiots. Ensuite parce que Marine Le Pen est sacrément habile pour retourner ceux qui la réduisent à un clone féminin de son paternel.
Est-elle, selon vous, capable de changer le FN pour en faire un parti de gouvernement ? Et dans quel camp ?
En politique, le temps est une donnée essentielle. Pourquoi Marine Le Pen se fatiguerait-elle à faire du FN un parti de gouvernement puisqu’une alliance avec la droite serait pour elle suicidaire et, de toute façon, impossible tant que celle-ci n’est pas revenue sur le principe du cordon sanitaire qui doit séparer les partis républicains du Front national ? À mon avis, elle cherche pourtant à donner des signes de cette transformation du FN en parti de gouvernement, d’où un début de concertation avec des hauts fonctionnaires anti-euro, sans pour autant se montrer trop précise sur un plan programmatique. Pour tout un tas de raisons, Marine Le Pen se contentera, un long moment encore, de jouer en contre.
Peut-elle alors « faire turbuler le système » et casser le clivage droite-gauche ?
Non, je ne le pense pas. Le Front national peut continuer à séduire les milieux populaires sans pour autant remettre en cause le clivage entre droite et gauche qui a partie liée, qu’on le veuille ou non, avec l’identité de la démocratie dans les pays développés.
Elle affirme en avoir fini avec les vieilles lunes racistes, antisémites, etc., pour adopter le logiciel républicain ? Croyez-vous à ces convictions ?
La sincérité est-elle si importante en politique ? Ce qui compte est qu’elle a compris qu’avec la République, elle pouvait réussir le même hold-up politique que celui réalisé par son père avec la nation. La droite et la gauche mettront-elles autant de temps à défendre la République qu’elles en ont mis à réhabiliter le drapeau tricolore ? De cela dépend en partie la prospérité à venir du Front national et du « marinisme » puisque, sur ce point, je crois qu’elle se distingue beaucoup de la génération de son père.
Comment jugez-vous son programme économique ? Sur ce point, en quoi se distingue-t-elle de Mélenchon ?
Je ne vois pas, pour le moment, se profiler un programme économique du côté du FN ou de Marine Le Pen. Cela viendra sans doute. Mais je perçois davantage cette étape comme celle du refus : refus de l’euro, refus de la retraite à 62 ans (encore une différence avec son père), refus de la mondialisation. Jean-Luc Mélenchon aussi, mais cela ne l’empêche pas de se distinguer du Front national sur d’autres plans, la Chine ou l’immigration par exemple. En fait, la bataille de ceux que l’on désigne comme « populistes » pour conquérir les voix populaires est l’un des enjeux les plus excitants de la bataille de 2012.
*Rédacteur en chef de Marianne 2, chargé du FN à Marianne[/access]
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